Logement

"Une élection discrète : la présidence de l’Union Sociale pour l’Habitat" par François Rochon

10 Fév 2025 - 12h19

François Rochon, acteur de l’habitat et du logement social depuis une quinzaine d’années, docteur en urbanisme de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, revient sur l’élection qu’il qualifie de « discrète » de la présidence de l’USH (Union Sociale pour l’Habitat), remportée pour un second mandat par Emmanuelle Cosse

Voilà quelques mois, le mouvement HLM, à travers un collège d’une soixantaine de représentants des fédérations d’organismes de logement social, a procédé à l’élection de la présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat, son association confédérale. Emmanuelle Cosse, qui a été ministre du Logement, figure bien connue du secteur venant du monde politique, a été réélue haut la main à cette fonction qu’elle occupait depuis quatre ans. L’autre candidature enregistrée était celle de Valérie Fournier, présidente de la Fédération des ESH, également engagée de longue date dans le secteur du logement social à travers ses différentes fonctions. Ces deux personnalités ont pour point commun d’être reconnues pour leur expertise.

Elles représentent deux approches davantage complémentaires qu’opposées. Si Emmanuelle Cosse insiste sur la nécessité de renouer avec un partenariat stratégique avec l’Etat en rapport avec les attentes d’une politique du logement conséquente, Valérie Fournier met en avant la vitalité d’un mouvement professionnel tourné vers la maîtrise technique, l’engagement social et l’excellence opérationnelle. C’est pourquoi il est intéressant de rappeler quelques éléments historiques, pour en venir ensuite aux enjeux auxquels peut renvoyer cette élection, inscrite dans la continuité du secteur, renvoyant par là même aussi à une certaine inertie.

En effet, ce rendez-vous électoral au suffrage indirect, au sein d’un « corps intermédiaire » ou de la « société civile », a la particularité d’interroger la place du politique, le rôle des élus locaux qui sont nombreux à siéger dans les conseils d’administration. Statutairement, ce sont les présidents d’organismes de logement social qui choisissent leurs représentants dans les conseils fédéraux, élus locaux ou en lien direct avec eux à travers les projets menés sur le terrain, lesquels désignent ensuite leurs représentants dans l’assemblée générale du mouvement confédéral.

Ainsi, le choix de la présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat répond à une logique propre au domaine du logement social, tout en étant relié au débat politique décentralisé dans les collectivités locales et au débat sur l’habitat en France, à l’échelle nationale. Si l’écart est grand entre les 63 votants et les 8 000 administrateurs bénévoles, il reste plus de deux fois moindre comparativement aux élections sénatoriales. Il faut noter, par ailleurs, que ce vote s’inscrit dans une approche gestionnaire centrée sur le parc, l’avenir d’une politique publique. Il laisse donc de côté la participation des 11 millions d’habitants qui en sont les usagers.

La réélection d’Emmanuelle Cosse s’inscrit, à de faibles nuances près, dans l’histoire du demi-siècle écoulé (pour se limiter à la période contemporaine) qui fait preuve de constance : la présidence de l’Union HLM échoit toujours à un socialiste. Avec Albert Denvers jusqu’en 1985, c’est l’homme fort de Dunkerque et parlementaire, qui contribue à la critique des grands ensembles tout en défendant le logement social, incluant le tournant de la réforme Barre. Puis avec Roger Quilliot, maire de Clermont-Ferrand et parlementaire, c’est le proche de François Mitterrand qui introduit notamment la dimension européenne et met en relief le centenaire du logement social comme pilier républicain, au moment du bicentenaire de la Révolution Française.

En 1999, Michel Delebarre lui succède, un autre homme de Dunkerque, parlementaire et ministre qui inaugure le portefeuille de la Ville. Il quitte ses fonctions en 2008, remplacé par Thierry Repentin, parlementaire proche de Louis Besson, qui lance notamment les Etats généraux du logement, jusqu’à son entrée au gouvernement lors de l’alternance de 2012, où Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre qui avait succédé à Louis Besson, assure l’intérim, avant l’élection de Jean-Louis Dumont, parlementaire et homme de terrain, dont la fin de mandat est marquée par la lutte contre la RLS dans le projet de Loi de finances 2018.

L’arrivée d’Emmanuelle Cosse à la présidence de l’Union HLM en 2020 témoigne de plusieurs inflexions dans le profil sociologique de la fonction. D’abord, l’élection d’une femme, et qui n’a jamais été parlementaire, ce mandat ayant été jugée incompatible d’après la loi Sapin, impliquant une modification des statuts. De plus, une personnalité politique proche des socialistes, mais non membre de ce parti, puisqu’elle quitte la tête des écologistes pour devenir ministre lors du deuxième remaniement du gouvernement Valls 2, puis dans le gouvernement Cazeneuve jusqu’à la fin du mandat de François Hollande. Enfin une personnalité de la région capitale, et non associée à une ville moyenne.

La période de son mandat est marquée, sur le plan technique, par la reconduction de la RLS instaurée depuis 2018 et le développement parallèle des regroupements d’organismes. Plus globalement, le Mouvement HLM doit faire face à la crise sanitaire, puis à l’inflation et, enfin, à la crise immobilière la plus aiguë depuis des décennies. Dans ce contexte complexe, où s’approfondit la financiarisation du secteur et l’augmentation du nombre de demandeurs de logement social, révélateur d’un grippage de la mobilité entre statuts d’occupation, les partitions des différentes « familles » du logement social doivent trouver leur harmonie d’ensemble, comme toujours en fonction de leurs histoires respectives.

C’est l’enjeu classique que traduit l’élection de la présidence de l’Union HLM. Avec la spécificité cependant qu’aujourd’hui, la moitié des logements sociaux sont produits en Vefa, dans une hybridation avancée avec la promotion privée. En outre, la production se concentre autour de quelques groupes, puisque les dix premiers pèsent 60 % de la production, renvoyant de fait les autres à un horizon principalement gestionnaire. La massification de la rénovation énergétique est à entreprendre dans une politique d’ampleur nationale dont les contours ne sont pas encore définis et où, par conséquent, le logement social ne peut arrêter son rôle, ou tout du moins peut seulement le proposer. Enfin, les émeutes de l’an passé révèlent que les vingt ans de renouvellement urbain, pourtant massif, n’ont pas résolu la question des quartiers.

Le défi de cette nouvelle mandature est donc de taille, probablement historique même. Mais l’évocation rapide du demi-siècle écoulé nous rappelle aussi un moment stratégique qui pourrait encourager la présidente reconduite à marquer son second mondant d’une prise d’initiative, esquivée sous l’accumulation des crises. En 1975, sous l’impulsion de Robert Lion (qui s’engagera ensuite dans le mouvement écologiste), paraît le Livre Blanc, propositions pour l’habitat, en hors-série de la revue du Mouvement HLM. Ce texte d’orientation stratégique influencera le compromis de la réforme Barre plus en faveur du projet qu’aura porté, dans une vision généraliste sur la question de l’habitat, le secteur du logement social après un débat d’une haute exigence intellectuelle et citoyenne. Ce travail influencera durablement le secteur.

Cet épisode est cité en référence dans le récent rapport sénatorial sur le logement, qui propose d’envisager un nouveau livre blanc de la politique du logement, afin de mener une réflexion d’ensemble pour aboutir à une loi de programmation. Souhaitons que le mandat qui vient s’inscrive dans cette belle ambition, pour cet anniversaire du demi-siècle du Livre blanc HLM.

Valérie Garnier