Connexion
Alors que l’équipage du P.C. volant a quitté la cabine de pilotage pour se réunir dans la « war room » aux écrans constellés du « mapping » du champ de bataille, le cockpit résonne des alarmes signalant l’approche du décrochage, tandis que clignotent les « warnings » écarlates annonçant le désengagement du pilote automatique : c’est l’instant où un captain expérimenté, de retour aux commandes, doit « rendre la main » pour reprendre de la vitesse et contrer les embardées annonciatrices d’un départ en vrille…
Qu’en est-il du tableau de bord ? La dernière note du Grecam consacrée à l’immobilier résidentiel en Ile-de-France ne laisse guère de doutes à ce sujet : la baisse de production, consécutive à celle des transactions, se poursuit inexorablement, à l’image de la situation dans l’ensemble du pays ; qui plus est, l’approche – particulièrement précoce – des élections municipales de 2026 ne laisse guère présager d’une accélération de la délivrance des permis de construire.
Sur le front des bureaux, s’agissant de la seule Ile-de-France, le seuil des cinq millions de mètres carrés vacants a été franchi ; excepté dans Paris intra-muros et, notamment, dans le « quartier central des affaires » où les loyers fluctuent entre 1 100 et 1 200 euros/m2, ceux-ci sont en chute de l’ordre de 30 % (hormis dans quelques communes de l’Ouest parisien : Boulogne, Neuilly, Puteaux, ainsi qu’à Issy-les-Moulineaux), tandis que les « remises commerciales », avoisinant jusqu’alors 25 % de la durée du bail, peuvent atteindre désormais 40 %, préservant ainsi la fiction des tarifs nominaux.
Si les livraisons se poursuivent, aggravant le déséquilibre du marché, les investissements nouveaux sont en net retrait, tandis que certains programmes récemment livrés ne trouvent pas preneurs et que le premier quartier d’affaires d’Europe, celui de La Défense, n’échappe pas à la crise.
Les centres commerciaux destinés à des opérations de reconfiguration se multiplient, tandis que l’Etat vient d’annoncer son projet de désaffecter le quart des surfaces de bureaux qu’il occupe, ce qui implique la remise sur le marché de cinq millions de mètres carrés, en Ile-de-France et en régions, tandis que se prépare un véritable tsunami des zones d’activité à reconvertir, en périphérie de nos villes moyennes. Et tandis que les lecteurs parcourent ces lignes, le délai de grâce accordé aux propriétaires de logements locatifs obsolètes en regard des nouvelles normes thermiques s’égrène inexorablement…
L’économie immobilière dans son ensemble est en crise, les investisseurs, qu’il s’agisse de souscripteurs de pierre-papier, de foncières cotées ou non, d’assureurs-vie ou de fonds d’investissement, sont à la veille d’enregistrer un « write-off » de plusieurs dizaines de milliards d’euros, désormais inéluctable…
Dans ce contexte, il s’agit d’abord d’embrasser le champ de cette immense industrie qui génère 10 % du PIB, des centaines de milliers d’emplois et qui constitue un des principaux supports de l’épargne des Français. Et il s’agit ensuite d’imaginer une stratégie de redressement qui passe par l’interconnexion des secteurs tertiaire et résidentiel traditionnellement organisés en silos, alors que les mutations technologiques et sociologiques, s’agissant notamment de la pratique du travail tertiaire et des modes de la grande distribution, conjuguées aux limites des transports collectifs, engendrent inévitablement la péremption de notre modèle d’urbanisme métropolitain, fondé sur le monocentrisme et la spécialisation de l’espace, deux caractéristiques essentielles qui expliquent qu’il soit aujourd’hui frappé d’obsolescence.
Dans le passé, le pays a connu des mutations urbaines majeures : les travaux d’Haussmann, la reconstruction de l’après-guerre, conduite par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, les villes nouvelles supervisées par Paul Delouvrier… Ces grandes périodes de notre histoire urbaine ont toujours obéi à une séquence immuable : destruction de valeur, remembrement foncier, densification, création de valeur… Il reste à inventer un processus de transformation des actifs immobiliers adapté à notre époque : il s’agira d’investir pour reconvertir, de déconstruire pour renaturer, de reconstruire en densifiant… Simplement, le remembrement ne saurait guère se concevoir sur le modèle des Safer des années soixante, mais passera nécessairement par la constitution de « bouquets d’opérations » comportant suffisamment de diversités d’environnement et d’usages pour qu’au total, le potentiel de création de valeur de chacun d’eux soit suffisant.
Il s’agira donc d’enrichir le Code de la construction et celui de l’urbanisme d’un corpus adapté à cette nouvelle industrie de la transformation appelée à occuper, dans un proche avenir, une place centrale dans la nouvelle économie immobilière. Du moins, dès que l’équipage aura regagné sa place, dans la cabine de pilotage… en espérant n’être pas descendus en-dessous de l’altitude de sécurité, tout en évitant de dériver vers le « triangle des Bermudes » !
André Yché