Par analogie avec la métaphysique d’Aristote (« les principes essentiels de la physique »), c’est un célèbre Savoyard, Joseph de Maistre, qui est l’inventeur, en France, du concept de « métapolitique » (« les principes essentiels qui sous-tendent la politique »). Dans l’esprit de ce contre-révolutionnaire monarchiste, il s’agissait de l’accomplissement du dessein divin, ni plus, ni moins, ce qui nous renvoie nécessairement au « sens de l’Histoire » de Hegel.

La métapolitique n’est pas une idée pour temps calme

C’est un révolutionnaire fondateur du parti communiste italien, Antonio Gramsci, qui nous propose une déclinaison actuelle d’un concept analogue : l’hégémonie culturelle, en tant que condition première de la conquête du pouvoir. Dans les deux cas, il s’agit de refonder l’ordre social sur un soubassement idéologique ou culturel fondamental. Telle est, d’ailleurs, l’origine de la profonde divergence théorique entre Marx et Gramsci : pour le premier, c’est l’infrastructure économique, à savoir le capital au cœur du processus productif qui détermine le modèle social ; pour le Sarde, c’est le fonds idéologique et culturel. En quelque sorte, à la « Philosophie marxiste de la misère » (dénoncée par Pierre-Joseph Proudhon) s’oppose « la misère de la philosophie » (vilipendée par Karl Marx).

Il n’est donc guère surprenant de constater la persistance de désaccords entre « compagnons de route » : non pas Alain de Benoist qui inspire aujourd’hui les représentants de la droite traditionaliste, mais bien Pierre Bourdieu, théoricien du déterminisme culturel à l’origine de la reproduction des élites dominantes, qui récuse toute parenté et même toute parentèle entre sa pensée et celle du militant condamné à produire son œuvre et à terminer sa vie en prison.

De ce bref préambule, une évidence émerge : la « métapolitique » n’est pas une idée pour temps calme et revient invariablement dans l’actualité en période de transition. Notre époque répond-elle à ces caractéristiques ? A chacun d’en juger !

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, de la loi Loucheur (1928) au plan Courant (1953), la « métapolitique du Logement » est fondée sur l’idée de progrès, technique, administratif et financier, organisé par l’Etat central, à travers l’action d’une technostructure éclairée, celle des ingénieurs des Ponts, bien sûr, mais aussi d’urbanistes inventeurs d’une science nouvelle accompagnant, avec le développement industriel, l’urbanisation du pays.

De la même manière que sous l’impulsion du Centre National des Jeunes Agriculteurs (CNJA) l’exploitation agricole s’est progressivement transformée, d’un noyau familial assurant l’existence d’une France rurale (destinée à contrebalancer les excès redoutés d’une population ouvrière urbanisée) pour devenir une entreprise productiviste, le logement, dans l’accompagnement indispensable de l’industrialisation périurbaine, est devenu l’objet d’une industrie à part entière, celle des grands ensembles et des « chemins de grues ». A la maison individuelle des villages et des faubourgs a succédé l’immeuble collectif des banlieues laborieuses.

Le corollaire de cette mutation culturelle, amorcée dans l’Entre-deux-guerres et solennellement affirmée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale selon l’inspiration moderniste du Programme national de la Résistance consiste dans une transformation drastique de la politique du logement : territoriale par nature, elle est devenue sectorielle.

La mise en place d’une politique sectorielle, basée sur l’idée de progrès « technocratique », a produit d’indéniables effets dans de multiples domaines : productivité agricole exponentielle, jusqu’à conquérir passagèrement une deuxième place mondiale à l’export ; accroissement de 75 % de l’offre d’habitat en quelques décennies.

Toutefois, elle comporte des conséquences inavouées. En premier lieu, conformément aux travaux de Durkheim relatifs aux « coopérations fonctionnelles », toute politique sectorielle entre en concurrence avec d’autres politiques sectorielles (environnement, équilibre budgétaire…) et nécessite une implication accrue de l’Etat central en terme d’arbitrage.

Alors qu’une politique territoriale s’applique « in concreto », une politique sectorielle se déploie nécessairement « in abstracto » de telle sorte qu’elle engendre une multitude de cas d’espèce, sources d’incompréhension et, au fil du temps, d’exceptions et donc de complexité.

L’édification de politiques sectorielles est nécessairement centralisatrice

Ainsi, l’édification de politiques sectorielles est nécessairement centralisatrice. Par ailleurs, la construction d’un modèle culturel dominant (« le progrès social passe par la construction de nouveaux logements ») repose toujours sur la mobilisation de vecteurs d’opinion intéressés dans le processus, en terme de captation de flux de ressources publiques et de pouvoir : en l’occurrence, il s’agit du secteur du logement social et de celui de la promotion privée, chacun d’entre eux s’appuyant sur des segments importants de « clientèles » (les catégories les plus modestes pour le premier prescripteur, les classes moyennes pour le second). Ainsi figurent ceux que Gramsci dénommait les « médiateurs organiques », expression savoureusement datée, et que l’on qualifierait aujourd’hui de « prescripteurs », ou d’ « influenceurs ». Quoi qu’il en soit, voilà, succinctement exposés, les traits fondamentaux de la « métapolitique du logement ».

Toute la question, aujourd’hui, consiste à se prononcer sur la pertinence de cette construction collective.

En vérité, il s’agit d’apprécier la prégnance de l’ancienne éthique du progrès confrontée à celle de la préservation, en tant que fondements alternatifs, et parfois contradictoires, de la transmission ; et donc, en tant que socle intemporel de la métapolitique du logement. En d’autres termes, s’agit-il d’abord d’instiller dans la culture dominante la foi dans la justification par les œuvres, ou bien de s’en remettre au salut par la prédestination, c’est-à-dire au jugement édicté par la loi de la Nature ? « That is the question ! », et elle n’est ni récente, ni même nouvelle !

En termes organicistes, la réponse s’impose d’évidence : le logement, en tant que service public, se trouve désormais subordonné à l’environnement. Donc, la métapolitique a tranché ! Sur le plan de la culture dominante, il en va de même. Depuis la COP 21, le débat est clos : le logement participera d’abord à la transition écologique et ses critères de légitimation en découlent, à savoir la performance énergétique et, désormais, la non-artificialisation des sols. Donc, pour s’inspirer de Voltaire en toute révérence, « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ».

Des précédents viennent à l’esprit : lorsque la désindustrialisation s’est imposée comme une évidence irrévocable, le ministère en charge du secteur concerné a été absorbé par Bercy ; et lorsque le poids électoral des Anciens Combattants s’est amenuisé, le secrétariat d’Etat « ad hoc » s’est fondu dans celui de la Défense (aujourd’hui devenu « des Armées » depuis le départ de la gendarmerie vers l’Intérieur et le déclassement de la DGA, anciennement DMA, en direction générale), négligeant le poids politique et électoral de la France de ceux qu’Hillary Clinton aurait qualifiés de « déplorables », désormais confiés au simple maillage territorial du « Souvenir Français ».

Bref, dès lors que le socle idéologique se lézarde, la politique sectorielle se dévitalise et la superstructure politico-administrative chargée de l’animer tend à se dissoudre.

Les véritables termes du débat

Toutefois, pour tempérer l’adhésion à cette nouvelle théologie, inspiration d’un nouvel « augustinisme politique » qui s’ignore, vient la distance thomiste : « Nisi a deo, sed per populum ! ». Ainsi point, dès le XIVème siècle, le principe démocratique. Qu’en est-il aujourd’hui ?

La préoccupation dominante, appréciée en terme d’opinion publique, porte concrètement sur le pouvoir d’achat, c’est-à-dire sur l’offre, bien plus que sur les modalités de production de l’offre qui constituent un impératif de second rang, en termes parétiens. Les effets de l’augmentation du prix de l’énergie, s’agissant par exemple de l’adhésion collective au redéveloppement du nucléaire, ne tarderont pas à illustrer cette réalité. De même, quoi qu’on en ait, l’engouement pour la maison individuelle, accentué par un recours accru au télétravail, ne faiblit pas. Ainsi, les effets d’une politique sectorielle donnée (la faveur officielle accordée au « travail à distance » et au « flex-office ») viennent souvent contrarier d’autres politiques sectorielles. Telle est l’origine de la « crise de l’Etat ».

Les conséquences de cette situation de divergence objective entre la doxa des élites éclairées et l’opinion populaire sont claires et nettes : la métapolitique du logement impose un arbitrage entre deux voies envisageables : la réinstallation du logement en tant que ministère politique, c’est-à-dire autonome et décisionnel, ou bien le renoncement au logement en tant que politique sectorielle, et son retour à la territorialisation.

Tels sont les véritables termes du débat.

André Yché

Réflexions sur la métapolitique du logement, par André Yché