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Philippe Pelletier livre, pour « Immoweek », une nouvelle tribune avec pour thème « la refondation de la location ». Le président du directoire d’Habitat et Humanisme imagine et propose une politique publique 2024-2027 dopant l’offre locative…
Pour répondre à l’exigence de sortie de crise, qui caractérise l’économie immobilière, au moins trois grands chantiers structurants justifieraient d’être ouverts : la décentralisation des politiques du logement, avec transfert de ressources et capacité d’ajustement territorial de la règle générale ; une agilité et une souplesse nouvelles, à l’anglaise, données aux financements immobiliers ; et la mobilisation des emplois et compétences de nature à accroître la productivité, renforcer la valeur ajoutée des services à la personne et à l’immeuble, et garantir les performances annoncées. Ces évolutions nécessaires prendront du temps. Et puisque chacun a compris que les pouvoirs publics n’entendent pas avec raison rebrancher des perfusions sur un modèle immobilier essoufflé, il nous faut repérer ensemble les blocs thématiques susceptibles de susciter rapidement un mieux-logement, dont la mise en action collective peut s’opérer à moyen terme : la refondation de la location est clairement l’un de ces champs d’action, qui devrait nous mobiliser tous.
Voilà donc comment j’imagine une politique publique 2024-2027 dopant la location de logements.
Fixer d’abord un cap intelligible, stimulant et mobilisateur qui peut s’énoncer ainsi : développer tous azimuts l’offre locative à usage de résidence principale et, pour une fois, ne pas jouer petit bras.
Cela passe par quelques clarifications de nature à recentrer l’action, au premier chef supprimer ces distinctions absconses entre location nue, location meublée, location professionnelle en meublé, qui sont autant de niches juridiques et fiscales dénuées d’intérêt social. Et dans le même mouvement, faire cesser cette étrange distorsion de concurrence qui transforme des particuliers en hôteliers, sans en avoir ni la compétence ni les contraintes : aucune raison déterminante de leur consentir une faveur fiscale ou d’assouplir à leur égard les règles du droit hôtelier.
L’action suppose ensuite qu’on installe une meilleure considération de la relation locative : ne plus devenir par défaut locataire dès lors que celui-ci y trouvera la sécurité, la pérennité, le confort qui lui sont dus ; et cesser corrélativement de dénigrer le bailleur, qui n’est plus ce rentier dont on continue à colporter l’image éculée, mais cet entrepreneur d’un service d’intérêt public qu’est l’offre locative d’un logement. En somme, s’inspirer du modèle allemand ou suisse qui génère des locataires heureux de vieillir sans crainte dans leur logement loué, et développe l’attrait des investisseurs à produire une offre locative abondante et bon marché. Trois signes marqueront cette considération nécessaire : un statut fiscal du bailleur lui permettant d’amortir sur 40 ou 50 ans son investissement ; une stabilité accrue du locataire en place, assurée par la suppression des congés-vente et la généralisation des droits de préemption du locataire ; enfin, une fixation de loyers-plafond, non plus opérée par des autorités administratives, mais concertée entre bailleurs et locataires, à l’allemande, dans le cadre des commissions départementales de conciliation.
Pour déployer un parc locatif abondant, et sans attendre l’effet puissant que produirait le statut nouveau du bailleur, actionnons simultanément plusieurs leviers en pensant que le faisceau de ces actions donnera immédiatement du fruit : soutenir la rénovation des logements actuellement énergivores et donc voués à quitter le champ locatif, en permettant au bailleur, par une fiscalité exceptionnelle ces trois prochaines années, d’amortir rapidement le coût des travaux de rénovation en contrepartie d’un engagement de location ; inciter les propriétaires de logements vacants à les remettre sans délai sur le marché locatif en leur offrant une franchise fiscale des revenus fonciers des trois prochaines années : une mesure dynamique qui ne coûte rien à l’Etat en raison de l’absence actuelle de loyers taxables ; et on peut aussi envisager de contractualiser avec les grandes foncières et les organismes de placement un engagement minimum de détention d’actifs résidentiels.
Plus encore, il faut renforcer le développement d’une offre locative sociale : d’abord pacifier la relation avec les bailleurs sociaux en leur redonnant le pouvoir financier d’entretenir, rénover et développer leur parc ; simultanément, accroître sensiblement l’incitation Loc’avantages et favoriser l’accompagnement corrélatif des locataires de nature à rassurer le bailleur solidaire sur le caractère paisible de la relation locative ; confirmer le Plan logement d’abord 2 et la production à haute intensité de pensions de famille pour y accueillir les personnes en situation de grande fragilité ; et si persiste le projet d’ouvrir les critères SRU au logement intermédiaire, marquer clairement que la production de tels logements exige en contrepartie la production d’un quota de logements très sociaux.
Derrière ces orientations qui envisagent la location dans tous ses états et dont la mise en œuvre est à notre portée, c’est une autre vision économique que l’on porte sur la société française : au lieu que le patrimoine des Français demeure pour plus de la moitié investi en immobilier d’occupation, l’épargne disponible des ménages locataires sera incitée à soutenir davantage les autres branches de l’économie, comme en Allemagne. Et ce faisant, les personnes morales retrouveront le chemin de l’investissement résidentiel, au premier chef les promoteurs qui, recapitalisés, conjugueront désormais production de logements et exploitation du stock détenu. Une condition essentielle à cela : que la location d’un logement, désormais considérée comme désirable pour le locataire, rémunératrice pour le bailleur et utile pour notre économie, assure un habitat choisi parce qu’il conjuguera la réduction du coût d’accès au logement, le bien-être de l’occupation d’un toit confortable et la sécurité d’un chez-soi pérenne.
Rappelons-nous que les deux terreaux locatifs les plus puissants d’Europe sont les parcs allemand et suisse : l’importance de l’offre locative d’un pays traduit bien sa vitalité économique. Alors, location : en avant toute !