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Philippe Pelletier, président du directoire d’Habitat et Humanisme, s’interroge sur la « pertinence du projet » visant à inclure dans les « logements sociaux » prévus à l’article 55 de la loi SRU les « logements intermédiaires » et propose deux solutions si on souhaite vraiment intégrer les dits logements à cette obligation légale…
« Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » : cette affirmation d’Usbek, dans la 79ème Lettre persane de Montesquieu, trouve ici une particulière acuité. L’article 55 de la loi du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, constitue, en effet, l’une de ces colonnes du temple, qu’on ne doit reconsidérer qu’avec une extrême prudence. Depuis bientôt deux générations, ce texte énonce deux objectifs ambitieux, mais clairs : recréer un équilibre social dans chaque territoire et répondre à la pénurie de logements sociaux. Et malgré l’efficacité très relative du texte (une commune sur deux ne respecte pas la loi, 60 % d’entre elles n’ont pas satisfait les objectifs triennaux de progrès qu’elles s’étaient assignés en 2020), tous ceux qui ont tenté d’en ajuster le champ et d’en améliorer la portée s’y sont cassés les dents : cette ministre qui voulait prendre en compte l’accession sociale à la propriété, ce ministre qui pensait pertinent de raisonner au plan intercommunal, et tant d’autres téméraires battant retraite. Les nouveaux venus au sacrilège sont donc avertis : si talentueux soient-ils, il ne leur sera fait aucun cadeau.
Voilà pourtant que, dans un contexte de crise du logement, fruit de trop longues années de mauvais traitements, le nouveau Gouvernement remet l’ouvrage de l’article 55 sur le métier en évoquant deux pistes de travail : favoriser le logement intermédiaire dans les métropoles et, corrélativement, renforcer le logement très social. Par-delà l’émotion légitime que suscite la perspective d’une retouche à la loi, on doit s’interroger sur la pertinence du projet : est-il en premier lieu si absurde de vouloir inciter à la production de logements intermédiaires sur des territoires soumis à la loi SRU, où le flux des logements sociaux marque le pas ? N’est-il pas choquant de continuer à écarter des centralités métropolitaines tous ces demandeurs infructueux d’habitat, dits des classes moyennes, qui sont au demeurant, et pour le grand nombre, éligibles au logement social ?
Il est un moment, sans doute arrivé, où il faut arrêter de se gausser de mots et regarder les réalités en face : à défaut de réussir, malgré les contraintes, à multiplier les bâtiments sociaux en zone dense, implantons des logements intermédiaires pour les classes moyennes, ce qui devrait desserrer la pression de la demande de logement et maintenir au moins une offre locative et une mixité sociale qui se délitent sous nos yeux. Tout est affaire ici non de principe, mais de mesure.
En second lieu, on ne peut qu’acquiescer au volet très social du projet annoncé par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires : oui, il est indispensable d’asseoir en centre-ville l’habitat des plus précaires d’entre nous, et cela passe par le développement du Plan Logement d’abord, par des financements PLAI mieux ajustés, par une aide à l’accompagnement de ces personnes en situation de fragilité ; sans accompagnement, spécialement associatif, bien peu d’espoir en effet d’une réinsertion sociale par le logement.
Si l’ouverture à l’intermédiaire se confirme, ce ne peut donc se réaliser sur le dos de l’engagement social fondateur de la loi. Travaillons alors ensemble à trouver le juste équilibre pour amplifier dans nos villes la diversité d’habitat ; deux méthodes se profilent en conséquence : soit rehausser le seuil de 25 % et y inclure une part intermédiaire, soit lier la production intermédiaire à un renforcement corrélatif et clair d’une production très sociale.
Philippe Pelletier
Président du directoire
Habitat et Humanisme