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Le statut du bailleur privé revêt une importance cruciale dans le paysage immobilier français. En tant que propriétaire d’un bien locatif, le bailleur privé est soumis à des obligations légales précises tout en bénéficiant de droits spécifiques. D’autre part, l’encadrement des loyers est une mesure législative qui vise à réguler les prix des locations immobilières afin de protéger les locataires contre des hausses abusives. Philippe Pelletier, ancien président de l’Agence Nationale pour l’Habitat (Anah), clame que « le moment est largement venu d’être collectivement efficace pour assurer l’habitat de tous » dans cette tribune que nous vous livrons…
Mais quelle mouche pique la représentation nationale ces derniers jours pour légiférer si légèrement et maladroitement à propos du bail privé d’habitation ? Deux mesures, l’une désespérante, l’autre intempestive, viennent en effet d’être votées, qui ruinent au moins pour un temps tout espoir de développement d’une offre locative nouvelle dont notre pays a tant besoin : la première mesure vide de sa substance l’amorce d’un statut du bailleur privé, la seconde décide à la va-vite de généraliser et perpétuer l’encadrement des loyers, alors que le calendrier parlementaire n’appelait rien de tel. Deux mesures en somme qui tournent le dos à la relance si attendue du locatif privé.
Un double rappel pour commencer et, en premier lieu, une évidence : le parc locatif privé d’aujourd’hui et de demain est et sera détenu par des personnes physiques qui ont une hyper sensibilité à la charge normative du secteur et un ardent besoin de stabilité législative. Rappelons-nous que le tournis parlementaire des années quatre-vingt (le choc en 1982, 1986 et 1989 des lois Quilliot, Méhaignerie, puis Mermaz-Malandain) avait entraîné la disparition d’un million de logements locatifs et observons combien, durant quarante ans, les incitations persistantes à l’investissement locatif neuf, à travers des lois changeantes à l’excès, du Quilès en 1985 jusqu’au Pinel en 2024, n’ont en rien suscité l’apparition de nouvelles générations de bailleurs, le prisme fiscal n’y suffisant évidemment pas. En deuxième lieu, une exigence manquée : on sait que l’activité locative se nourrit de conciliations et concertations menées dans des enceintes paritaires, la Commission nationale de concertation et les commissions départementales de conciliation, où se côtoient et s’apprivoisent associations de locataires et groupements de propriétaires : quelle erreur de légiférer en passant outre ces cénacles qui demain feront vivre les lois nouvelles !
En somme, nos parlementaires ne mesurent pas bien l’impact déprimant de leurs réformes, sûrement pétris de bonnes intentions, mais qui nous maintiennent durablement dans l’impasse économique et sociale de la pénurie de logements locatifs.
Le statut du bailleur privé
C’est la bonne idée et au-delà, la seule recette connue : tant que le bailleur ne sera pas traité comme un agent économique à part entière, reconnu non comme un vilain rentier mais comme un prestataire du service du logement, il n’y a aucun espoir de voir croître le parc locatif privé. A l’instar d’un entrepreneur, le bailleur doit donc amortir son investissement, neuf ou ancien, et l’on sait qu’en Allemagne, un tel statut a permis le développement d’un parc abondant, et par un suramortissement proposé, d’une offre locative sociale efficace. La croissance de cette offre a aussi naturellement entraîné la limitation des loyers et favorisé l’acceptabilité d’un encadrement des loyers en zone tendue, à l’initiative des partenaires associatifs de la relation locative. En France, la naissance d’un statut similaire avait bien débuté, par une large consultation menée par MM. Daubresse et Cosson, puis la détermination de Valérie Létard, ministre en charge du Logement, épaulée par l’arbitrage de François Bayrou, alors Premier ministre. Désormais, c’est pourtant une coquille quasi vide qui s’offre à nous : si le principe de l’amortissement est posé, son plafonnement, puis l’absence d’imputation du déficit foncier sur le revenu global retire au statut toute consistance et partant, son attractivité. Une occasion ratée au plus mauvais moment.
L’encadrement des loyers
Un système juridique, institué en 2018 pour cinq ans, puis prorogé de trois ans, est en vigueur jusqu’à fin novembre 2026, et fort intelligemment, une étude approfondie est en cours pour tirer le bilan de sept années déjà accomplies d’encadrement des loyers en zone tendue : un chemin de bon sens et de raison permettant à la représentation nationale de délibérer ensuite en connaissance de cause. Or, voilà que dans la précipitation, le parlement décide de légiférer sans attendre le bilan commandé et sans consulter les partenaires associatifs de la relation locative, avec un an d’avance que rien n’exigeait. Peu importe à cet égard si les options votées sur le fond sont ou non pertinentes : c’est la méthode suivie qui choque, nourrie d’une vision politique que n’alimentent ni l’expérience nécessaire du bilan, ni la consultation des forces vives patentées.
S’il est encore temps, que les parlementaires se ressaisissent et votent un vrai statut du bailleur privé, renvoyant à quelques mois leur délibération sur les loyers : trop d’errements se sont produits pendant les quarante dernières années qui expliquent en large part la sinistralité immobilière actuelle ; le moment est largement venu d’être collectivement efficace pour assurer l’habitat de tous.
Philippe Pelletier
Ancien président de l’Agence Nationale de l’Habitat