André Yché est une personnalité résolument à part. Pendant l’été, il a posé un rapport intriguant sur le bureau du ministre du Logement. Entre diverses citations de Victor Hugo, Bachelard ou même Hobbes, on y découvre un projet simple pour résoudre dans le même temps la crise structurelle de sous-production de logements et celle, plus conjoncturelle, de surabondance de bureaux. Il s’agit de forcer la transformation des bureaux (et des commerces) surnuméraires en logements.

Pour accomplir cette métamorphose urbaine, l’auteur nous propose d’actionner simultanément le bâton et la carotte :

1) Le bâton est destiné aux malheureux détenteurs de bureaux vides. On les savait déjà abattus par tous les maux avec la perte de valeur de l’actif et le coût de la vacance (taxes foncières, taxes sur les bureaux, charges, assurances, portage financier…). Les voilà désignés comme des rentiers aveugles et irresponsables qu’il faut punir. La bastonnade sera délivrée par la nouvelle taxe Yché sur les « locaux vacants ». Peu importe les dizaines d’empêchements (souvent subis et parfois légitimes) pour lesquels l’immeuble n’est pas déjà transformé en autre chose que le vil bureau. Le nouvel impôt sur les bureaux vides sera suffisamment progressif pour qu’il devienne vite insupportable. Seul moyen d’arrêter la torture : abjurer le bureau et se convertir au logement, de préférence social ou intermédiaire. Une nouvelle inquisition se dessine.

2) Heureusement, pour faire passer la pilule d’un nouvel impôt (un de plus !), le rapport Yché prévoit la carotte. Elle ne respire pas la simplicité administrative : « les opérateurs qui réalisent des transformations (…) bénéficieront d’un avantage sous forme d’un crédit d’impôt de 20 % du surcoût de la transformation de l’actif en logement (…) conditionné par un plafond de charge foncière correspondant aux actifs apportés permettant la production de logements intermédiaires dans des conditions acceptables pour un investisseur institutionnel… » écrit André Yché dans le « Journal du Grand Paris ». Le lecteur habitué des circonvolutions du Code de l’habitat et du Code des impôts imagine déjà l’usine à gaz de ce nouveau crédit d’impôt, avec ses contrôles a priori et a posteriori, son contentieux, le mode de contrôle des prix du foncier… Sans compter sur Bercy, qui saura bien faire le tri, en expliquant pourquoi le bâton fiscal Yché est fort opportun, tandis que sa carotte, elle, est bien trop coûteuse pour notre budget si malade.

Le sujet pourrait faire rire si nous n’étions pas en France, ce pays accablé de taxes et de textes où l’on continue de faire croire que tout déséquilibre se soigne par l’impôt ou par le règlement, et encore mieux par une combinaison des deux.

Pourquoi la méthode « carotte et bâton » d’André Yché est-elle sans issue ?

D’abord, parce qu’elle ignore le terrain. On manque de logements : ils sont chers. Il y a trop de bureaux : ils se déprécient. Si on ne voit pas fleurir des milliers de conversions de bureaux en logements, c’est bien qu’il y a une raison. La vacance en matière de bureaux ou de commerce n’est pas un choix, mais une conséquence. Elle est issue de centaines de cas particuliers que la taxe Yché ne peut venir résoudre. Une grande partie des 5 millions de mètres carrés de bureaux vides est, en fait, intransformable en logements : bordure d’autoroutes (A86, A1, périphérique…) ou d’aéroport, zone inondable, éloignement des transports, interdiction du PLU, contrainte IGH pour les tours, copropriété, indivision.… Il y a aussi tous les cas où la vacance est un mal nécessaire : on vide un immeuble pendant des années pour le refaire à neuf, comme à la tour Montparnasse. Enfin, il y a des immeubles inoccupés, mais encore loués, en tout ou en partie. Les quelques dizaines d’euros par mètre carré de la taxe Yché (au-delà ce serait la faillite en chaîne du secteur vue la sévérité de la crise actuelle) ne changeront rien à ces situations et ne précipiteront aucune décision.

Ensuite, parce que les choses ne sont pas également réparties. Dans les zones hyper-tendues pour le logement, il n’y a souvent pas tant de bureaux vides que cela, hélas. Pas de bureaux vides à Paris et pas beaucoup sur la première couronne, à Neuilly, Issy, Boulogne, Levallois ou Pantin, où l’on manque tant de logements. Et quand il y a manifestement trop de bureaux, comme en plus lointaine périphérie (tels Les Ulis, Saint-Quentin ou Val-de-Fontenay), la crise du logement est moins sévère. Il y a, bien sûr, les cas « interstitiels » comme Saint-Ouen ou Saint-Denis, deux marchés de bureaux sinistrés par l’offre, mais où les volumes de logements sociaux sont déjà jugés élevés et le marché à l’accession de logement en berne. Enfin, il y a les tours de La Défense, pour lesquelles la taxe Yché sera strictement sans effet. Rien n’est simple, ni résoluble dans une punition fiscale uniforme.

Pour conclure, un peu de recul historique amènerait volontiers de la modestie au débat. A chaque grande crise – disons tous les 14 ans – quand la vacance approche 10 %, on nous annonce doctement qu’il y a en Ile-de-France 5 millions de mètres carrés de bureaux en trop, définitivement perdus. Sept ans après, la vacance est largement résorbée, les loyers s’envolent et on manque à nouveau de bureaux pour rivaliser avec Londres et Berlin. L’ajustement actuel est un grand classique. Les prix des bureaux, à la location ou à la vente, sont en sévère baisse. Les valeurs de foncier chutent. Beaucoup d’immeubles sont obsolètes. La promotion est à l’arrêt. Le crédit pas cher qui permettait le confort de l’attente a disparu. Le temps des illusions est passé pour les bailleurs. Dans les zones de surproduction de bureaux, les propriétaires cherchent des solutions : restructurer ou même transformer, en acceptant de prendre la perte pour stopper l’hémorragie des coûts de vacance. Ils sont au travail. Pas besoin de taxe Yché pour que ce cycle classique de destruction-création se déroule.

Si la taxe Yché n’aurait pas d’effet massif sur la transformation de bureaux en logements, elle se pourrait néanmoins avoir de lourdes conséquences sur notre économie. On ne crée par un impôt impunément. Fragilisant une situation déjà tendue, cette taxe pourrait accélérer artificiellement la crise des bureaux, détruire davantage de fonds propres chez les assureurs-vie, les institutionnels et les SCPI, tout en fragilisant nos banquiers plus que de raison. Son effet « pro-cyclique », aux conséquences macro-économiques évidentes, serait bien malvenu à l’heure où le marché a besoin des investisseurs internationaux pour relever le défi de la transformation de notre parc tertiaire en offre écologique et « post-Covid ».

Sans capital, il n’y a pas de promotion neuve, moderne, bas carbone de bureaux. La petite réduction de peine proposée par André Yché pour les immeubles récents, RE 2020… apportera peu. On ne sortira de la crise du bureau que par le haut, avec l’arrivée massive de nouveaux investisseurs qui reconstruiront l’outil de travail ultra-moderne réclamé par nos entreprises qui veulent en finir avec le télétravail. Les accueillir avec une nouvelle taxe sur la vacance – un risque partagé par tous, y compris les meilleurs – serait envoyer au monde le plus mauvais signal.

La crise des bureaux que nous traversons a plusieurs facettes : du coté de l’offre, une surcapacité localisée mais importante de bureaux, généralement anciens et inadaptés. Coté demande, un appétit plus faible en volume, mais surtout plus exigeant en qualité, avec les nouveaux modes de travail et le désir d’un immobilier réellement écologique… Si on veut que l’offre rencontre à nouveau la demande, il faut tout faire pour favoriser la mutation de notre parc d’immobilier de bureaux vieillissant. Non pas par la contrainte réglementaire, ni l’impôt, car ce sont de puissants répulsifs, mais en rendant possible et rapide ce qui est compliqué et lent.

En zone dense, les bureaux obsolètes seront reconvertis. Certains en bureaux modernes, d’autres en autre chose. Laissons faire le marché. André Yché connaît le parcours du combattant de la transformation des bureaux condamnés en logements : désalignement fiscal avec la commune, permis de construire et PLU restrictifs, recours interminables, impossibilité d’évincer les occupants, sur-règlementation de la construction de logements… Pourquoi diable rechigne-t-il à livrer cette croisade ? C’est pourtant cette grande simplification administrative – évoquée sans grande conviction dans son rapport – qui seule pourra diminuer la viscosité de notre marché immobilier et raccourcir les délais d’ajustement et de mutation du stock.

C’est là où nous avons tous besoin de sa légendaire faconde.

Guillaume Poitrinal

"Le bâton, la carotte et la liberté" par Guillaume Poitrinal