La reconversion d’une partie du parc de bureaux revêt d’abord une importance primordiale pour les entités porteuses des actifs considérés, qu’il s’agisse de véhicules détenus par des particuliers : SCI, SCPI, OPCI, ou par des institutionnels : sociétés foncières cotées ou non, fonds d’investissements… Tous les actifs ne sont pas systématiquement concernés, puisque la catégorie « prime » de par sa localisation (raccordement aux transports collectifs) et sa qualité technique (performance thermique…) ou fonctionnelle (adaptabilité des espaces…) échappe aux conséquences mécaniques de l’apparition de surcapacités provoquées par la diffusion inopinée du télétravail dans toutes les grandes organisations tertiarisées : entreprises, administrations, principalement situées dans le tissu métropolitain ; les première et deuxième, voire troisième couronnes sont donc potentiellement impactées, en premier lieu en Ile-de-France.

A certains égards, pour les porteurs de ces actifs exposés, la nécessité d’avoir à inscrire dans leurs bilans un « write-off » qui peut atteindre 90 % de la valeur nominale du bien, c’est-à-dire de sa réduction à celle des charges foncières diminuée des coûts de démolition et d’éventuelle dépollution, peut être considérée, de prime abord, comme un aléa normal de la vie économique : bénéficiaires de la croissance de l’économie, particulièrement dans les zones de spéculation métropolitaines, ils subissent les effets inéluctables d’un retournement induit par de multiples causes : technologiques, sociologiques… rien, en quelque sorte, qui justifie l’intervention de la puissance publique, au-delà de quelques mesures ; au final, les valeurs s’ajusteront, tous en seront victimes au point, dans le cas des plus aventurés, de disparaître, en même temps que la profession des fabricants de bougies ou que celle des allumeurs de réverbères…

Toutefois, deux circonstances aggravantes conduisent à infléchir cette opinion et à réévaluer la portée de ce dossier. La première réside dans la crise du logement, crise conjuguée de l’offre et de la demande, qui alimente de par la combinaison inédite de ses composantes un scenario de stagflation analogue à celui survenu au début des années Trente, à l’échelle de l’économie globale : le rééquilibrage des marchés ne s’opère plus par les prix, mais par les quantités. Mais une telle combinaison d’influences récessives peut-elle être durablement cantonnée au secteur immobilier ?

La seconde porte sur l’effondrement des transactions, dans le neuf comme dans l’ancien, annonciatrice d’une crise centenaire des finances locales, qui reposent depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale sur la fiscalité greffée sur la circulation des actifs immobiliers, combinée à celle assise sur la création de valeur pour ainsi dire « magique », résultant de la transformation par la puissance publique des champs de betteraves en terrains à bâtir : la règle de « zéro artificialisation nette des sols » interrompt ce flux de production de richesses quelque peu « fossiles », car ancrée dans l’histoire des territoires, pour alimenter la crise qui vient…

Point besoin d’épiloguer davantage : le statu quo, c’est-à-dire l’ « euthanasie des rentiers-investisseurs », n’est pas une solution, même s’ils devront assumer une part du fardeau résultant de leurs faiblesses passées, mais si la contrepartie de leur contrition, plus ou moins sincère, consiste dans l’effondrement des marchés immobiliers, il est clair que la facture, en termes de ressources fiscales, à la charge de la sphère publique n’est pas supportable… et donc l’abstention des Pouvoirs Publics éclairés n’est pas une branche viable d’une véritable option.

Dès lors, la seule sortie de crise envisageable ne saurait consister dans une forme d’immobilisme, destinée simplement à minimiser la sommation collective des désagréments particuliers anticipés par l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse de l’Etat, des collectivités territoriales ou des acteurs privés, mais dans l’impulsion d’une dynamique qui, en pratique, ne peut que reposer sur la recherche constante de l’alignement des intérêts de l’ensemble des parties prenantes.

A cette fin, quelques idées peuvent guider la réflexion. En premier lieu, il s’agit de favoriser la viabilité de modèles économiques de transformation d’actifs, en permettant un niveau de valorisation soutenable des intrants dans le processus de transformation. En conséquence, il convient d’envisager sous quelles conditions le « write-off » d’une quotité de la valeur nominale des actifs (foncier, bâti) peut être acceptable, comme un moindre mal.

Ensuite, nul ne peut ignorer l’impératif de maîtrise budgétaire de l’Etat central, qui implique le transfert vers les collectivités locales de la responsabilité, et donc des prérogatives afférentes, d’une part croissante de la politique publique en matière d’habitat et d’immobilier en général. En d’autres termes, il s’agit d’autoriser l’assouplissement de normes inspirées par l’intérêt général de la collectivité nationale en confrontant leurs effets, dans une déclinaison de la « théorie du bilan », à la légitimité concurrente de l’intérêt local.

Enfin, les collectivités territoriales se trouvent face à des enjeux contradictoires : comment absorber des pertes de ressources certaines et immédiates liées à la taxe sur les surfaces de bureaux et l’immobilier tertiaire en général, transformées en locaux à usage d’habitation, avec les charges publiques inhérentes à ce changement de destination ? Mais d’un autre côté, comment revitaliser les marchés immobiliers, sous-jacents de ressources récurrentes et, corrélativement, comment éviter la prolifération de friches en déshérence de fait ?

C’est dans le but de prendre en compte l’ensemble de ces considérations et des données qu’elles véhiculent que les propositions suivantes s’inscrivent, d’ampleur, de portée et d’originalité variables, avec le souci d’optimiser leur acceptabilité politique en mettant en exergue leur potentiel d’extension à des thèmes nécessairement contigus, comme la mise aux normes thermiques de l’habitat ancien, par exemple.

Comment rendre acceptable par les collectivités locales la part immédiate de ressources liée au changement de destination des actifs ?

Par l’extension prudente du champ de la PPU, tout en prenant en compte les effets nocifs de cette mesure : le caractère passif d’une taxation fondée sur une évaluation « ex ante » et non sur des résultats ; les contentieux probables découlant de l’appréciation de l’emploi du produit de cette taxation, « extraordinaire » en termes d’exigibilité, mais pas de justification et, notamment d’assiette.
La constitution de véhicules (filiales minoritaires de SEML) permettant de capter une part des résultats de la reconversion d’actifs qui, sous réserve de l’acceptation des pertes initiales liées à une valorisation réaliste des « intrants », a vocation à regénérer du résultat distribuable et taxable.

Du point de vue de l’Etat central, il s’agit d’opérer une transformation de politique publique en transférant, sous contrainte de neutralité budgétaire, la responsabilité de la relance aux collectivités territoriales, ce qui implique le transfert corrélatif de prérogatives permettant la régulation de la norme nationale ; il peut s’agir d’adaptation de dispositif législatif (SRU, Zan, normes d’accessibilité et thermiques pour l’habitat spécifique : étudiants, jeunes travailleurs…), mais aussi de plafonnement des charges foncières, par voie d’exception, dans le cadre d’opérations justifiant un régime dérogatoire : opérations d’intérêt territorial…

Du point de vue de l’investisseur, il s’agit d’étudier la possibilité de compenser la perte de valeur immédiate des actifs (« write-off ») par une atténuation de la taxation des produits escomptés, susceptibles d’être engendrés grâce au sacrifice immédiat ; en d’autres termes, de rémunérer potentiellement le renoncement à la liquidité de la valeur intrinsèquement liée à l’utilité sociale des actifs. A cet égard, il s’avèrera indispensable de réexaminer le niveau de la TVA sur les travaux de transformation des actifs ayant pour effet de les transférer dans un secteur économique (l’habitat) exclu de mécanisme de récupérabilité : l’alignement des taux sur ceux appliqués aux produits principalement issus des opérations (logement intermédiaire et social, au prorata de leur quotité dans le programme) constituerait une mesure de bon sens, susceptible d’accélérer le lancement de certaines opérations.

André Yché

La reconversion des bureaux en logements : mise en perspective de la problématique et des enjeux