Logement

"Impossible de devenir humain sans se laisser habiter par la fraternité" par Bernard Devert

05 Déc 2025 - 11h37

« Immoweek » met à votre disposition une nouvelle tribune de Bernard Devert, président-fondateur d’Habitat et Humanisme…

La fraternité interroge eux, les autres, ceux qui n’ont pas la même culture, la même religion, les mêmes coutumes. Eux, dont on dit facilement qu’ils menacent nos chômeurs, nos travailleurs ou encore notre identité jusqu’à oublier que, dans les hôpitaux, ceux qui soignent au plus près les corps, ce sont eux les lointains.

L’écrivain Daniel Pennac dans un de ses textes, il y a dix ans, qui n’a pas pris une ride, alerte : « petit-à-petit, chacun se sent seul et menacé par cette « marée humaine » qui n’a plus rien d’humain ». Ces gens ne sont plus des gens, ils sont eux et pas nous pour être plus nombreux que nous, ajoutant : « nous voilà tentés de nous refermer sur nos peurs, sur nos refus d’aider, sur nos silences ».

Briser les peurs, c’est marcher vers la fraternité. Aller vers l’autre, les autres, ils ne sont pas simplement eux, ou s’ils le sont, eux c’est aussi nous… pour eux.

Troisième terme de la devise républicaine, la fraternité fut à un certain moment de l’histoire placée entre liberté et égalité, ce qui était assez juste, sans elle, les deux autres peuvent difficilement exister, coexister.

La fraternité une hospitalité ! Il n’est pas anodin de rappeler que dans notre langue, l’hôte est le même mot pour dire celui qui reçoit et celui qui est reçu, les voici de plain-pied.

Récemment, dans une grande métropole, Habitat et Humanisme déposait un permis de construire pour une pension de famille d’une vingtaine de logements. Ce type d’habitat imaginé par le Docteur Xavier Emmanuelli, à destination des plus fragiles, est une école de reconstruction sociale pour de nombreux d’entre eux.

Ce programme, bien qu’une chance pour la fraternité, fit beaucoup de bruit alors que, par essence, elle fait du bien. La peur de l’autre suscite des débats. Heureusement, le combat n’eut pas lieu, chacun saisissant que le quartier ne perdrait pas son caractère résidentiel en permettant à ceux-là de le rejoindre.

Habitat et Humanisme tente de réduire la vacance des logements ; l’inoccupation de centaines de milliers d’entre eux est un mépris des plus pauvres, refus de fraternité. Sur la question d’un journaliste concernant la réquisition, précisant que ce n’était pas la solution ‑ ce dispositif ayant été retenu par Jacques Chirac sans donner, il s’en faut, les résultats escomptés ‑ mon propos suscita de vives critiques quant à la réserve exprimée.

Peut-être conviendra-t-il d’y avoir recours, si rien ne bouge. Seulement la fraternité ne se construit pas à partir de lois, de règlements, d’injonctions, mais de cœurs qui s’ouvrent, blessés par ce qu’ils voient, bien décidés à faire naître un « autrement » possible.

La fraternité est mère de ces relations où la raison a sa place sans pour autant déloger celle du cœur. Commence alors une recherche patiente de ce qui unit plutôt que ce qui désunit. Tout n’est pas réglé, mais au moins tombent quelques crispations pour qu’il n’y ait pas d’un côté, eux et de l’autre, nous.

A ne plus supporter les autres au motif qu’ils sont différents, nous dessinons des fractures qui, sur nos territoires, ont déjà pris place au point que très justement, souvenons-nous des mots de Gérard Collomb quittant le ministère de l’Intérieur : « aujourd’hui on vit côte à côte… Je crains que demain on ne vive face à face ».

Il y a là un risque anthropologique qui donne le vertige. A ne pas en voir le danger, notre terre sera devenue inhabitable.

En ce sens, la fraternité introduit l’écologie intégrale.

Bernard Devert
Décembre 2025

Valérie Garnier