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Le président du conseil de surveillance de CDC Habitat, André Yché, livre un nouveau point de vue que nous vous proposons ci-dessous…
Le colbertisme entrepreneurial devenu un colbertisme normatif et d’interdiction …
Au commencement était l’aménagement du territoire, Paul Delouvrier et les « villes nouvelles ». La Datar concevait, pour décongestionner Paris, des « métropoles d’équilibre » et la vision gaullienne de la décentralisation, mise en musique par Olivier Guichard, « noceur » longtemps interdit de ministère par la pudibonderie de « tante Yvonne » (le Général étant plus « coulant » à propos d’écarts bien plus dommageables : « alors, Dejean, on couche ? »), alors qu’il s’efforçait de mobiliser, dans le cadre régional proposé en 1910 par Vidal de la Blache, les « forces vives de la Nation ». C’était donc l’époque des « Opérations d’intérêt national », réunissant l’Etat central et les grandes métropoles, dans un effort commun d’urbanisme planificateur.
Avec la décentralisation engagée en 1982, puis au niveau régional avec un temps de retard paradoxal en apparence, mais qui portait la marque des réticences Mitterrandiennes partagées par Charles Pasqua, vint le temps des documents programmatiques, ancêtres de ceux qui régissent de nos jours l’urbanisme : les Sraddet, Scot et autres PLU, ainsi renommés à l’occasion de la célèbre loi SRU qui érige un nouveau monument de centralisme assez contradictoire avec le mouvement de décentralisation qui avait marqué les deux décennies précédentes : réaction administrative classique, qui connaîtra de multiples répliques, notamment avec la loi Dalo.
Naturellement, ces dispositifs généraux se doivent d’intégrer, et le Conseil d’Etat y veille, de multiples cadres normatifs de protection, philosophiquement inspirés par le Code du domaine royal formalisé par le fameux Edit de Moulins signé par Charles IX en 1566, dont il faut rappeler qu’il coïncide avec l’Ordonnance de Moulins qui recentralise la justice en limitant les prérogatives des Parlements en matière de « droit de remontrance » : tout se tient ! S’agissant des « Edits » de nos temps républicains, il convient de saluer, comme il se doit, la création de la « zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager » (ZPPAUP) qui se survit à elle-même dans la mémoire populaire puisqu’elle a été remplacée, depuis longtemps, par l’ « aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine » (AVAP), puis par les « sites patrimoniaux remarquables » (SPR)… Grandes avancées, en vérité !
Ainsi, la valeur sûre de l’urbanisme demeure le permis de construire, avec les autres membres de la fratrie : le permis d’aménager (pour préparer un lotissement) et le permis de démolir, pour éviter que ne vienne du Vatican l’idée de faire abattre par l’Archevêché de Reims le baptistère de Saint Rémi ! Mais là où le droit de l’urbanisme produit une véritable œuvre d’art, c’est de prévoir, dès lors qu’aucun permis n’est exigible, l’obligation d’une « déclaration préalable », de telle sorte que sont interdits tous les travaux qui ne sont pas autorisés ; cette disposition protectrice mériterait d’être portée à connaissance à l’attention des 35 000 maires de France !
En dépit du parfait ordonnancement des documents de planification publique et de l’encadrement des initiatives privées opérationnelles, subsiste une « zone grise » de recoupement entre deux sous-ensembles théoriquement disjoints : celle dans laquelle interfèrent public et privé, abondamment traitée, avec le souci primordial, non pas d’aboutir à un résultat harmonieux, mais de permettre un semblant de cohérence dans ce qu’il est convenu de qualifier de « mille-feuilles territorial ».
Passons sur des procédures d’aménagement d’une autre époque, celle où il s’agissait de construire massivement : les zones d’aménagement concerté (Zac) et puisque gouverner, c’est prévoir, les zones d’aménagement différé (ZAD), instaurées dans le souci moral de restreindre le risque d’ « enrichissement sans cause » des propriétaires privés.
De nos jours, il s’agit d’abord de réhabiliter les centres-villes vieillissants, tandis que l’Anru s’occupe des QPV (quartiers prioritaires de la ville) qui figuraient jadis au cœur des ZFU (zones franches urbaines) ; ces opérations d’amélioration de l’habitat (OPAH) ont vocation à s’intégrer dans des ORT (opérations de revitalisation des territoires) qui, lorsqu’elles incluent des copropriétés dégradées, comportent alors des Orcod (opérations de requalification des copropriétés dégradées) lesquelles, dans les cas les plus graves, sont classées d’ « intérêt national » (Orcod-In).
Enfin, sans atteindre le statut d’OIN, une collectivité territoriale et l’Etat peuvent convenir d’une « grande opération d’urbanisme » (GOU) dans laquelle les parties témoigneront du sérieux de leurs intentions et de leur engagement sincère dans un « projet partenarial d’aménagement « (PPA) auquel des partenaires privés (c’est-à-dire, le plus souvent, des entreprises publiques locales, EPL) pourront être associés, contribuant au financement des équipements publics engendrés pour l’opération par le biais d’un contrat de PUP (projet urbain partenarial) en contrepartie d’une concession portant délégation de DUP (déclaration d’utilité publique) aboutissant, le cas échéant, à l’obtention d’un permis d’aménager multi-sites (PAMS) ; devant la puissance politique, les propriétaires privés de tènements fonciers pourront s’organiser par le biais d’une « association foncière urbaine » (AFU) ; dans un environnement urbain complexe, il sera recommandé de faciliter l’ « opération de revitalisation du territoire » (ORT) par le biais d’une « procédure intégrée » (PIORT) combinant les autorisations nécessaires, incluant notamment les « directives territoriales d’aménagement », la gestion des eaux (SDAGE), la prévention des risques naturels (PPRN) et miniers (PPRM), le schéma de cohérence écologique (SRCE), le plan énergie climat, celui des déplacements et celui de l’habitat… à l’exclusion des autorisations spécifiques à l’équipement commercial, supervisé par la superposition de commissions départementales et nationale « ad hoc » (CDEC/CNEC).
Subsiste-t-il, dans la « diagonale aride » définie jadis par la Datar, quelques « zones blanches » ? Le « règlement national d’urbanisme » pourvoit à leur besoin et témoigne du rôle tutélaire de l’Etat, qui demeure ouvert à toute dérogation envisageable à travers des « permis d’innover » et « permis d’expérimenter » dont la conformité aux principes généraux demeure soumise au contrôle du Conseil d’Etat.
Quiconque se plonge dans la contemplation de ce monument national ne peut qu’être saisi d’une profonde admiration devant ce chef-d’œuvre de construction législative et administrative, au potentiel d’expansion considérable, de telle sorte que la somme de compétences sur laquelle il repose justifie pleinement la relative ignorance de disciplines annexes, relevant notamment de l’économie immobilière : ainsi la loi SRU qui, satisfaisant une légitime ambition prométhéenne, conventionnait « à perpétuité » les logements sociaux, désormais exclusivement finançables par d’abondantes ressources budgétaires, et ouvrait ainsi une voie royale au logement intermédiaire ; objectif d’ailleurs conforté par la loi DALO, concentrant l’attribution des logements sociaux vacants sur les publics en difficulté et faisant reposer tout objectif de mixité et d’équilibre sociologique des quartiers sur le logement intermédiaire, c’est-à-dire sur le financement privé… ou encore la loi d’airain du marché « régulé » qui, déconnectant l’évolution des loyers de celle des coûts de production, engendre nécessairement un besoin croissant de fonds propres qui ne peut être satisfait que par une stratégie d’accession sociale dans le parc ancien, longtemps contraire à la « doxa » du milieu HLM et soumise, encore de nos jours, à un régime d’autorisation préalable, calqué sur celui de l’ancienne « autorisation administrative de licenciement »…
Surtout, il existe une sphère économique dérivée de l’ordre administratif dans laquelle s’applique encore le principe en voie d’obsolescence d’ « actualisation des flux », manière de dire que « le temps, c’est de l’argent » ! Mais l’économie publique devrait-elle obéir aux axiomes réducteurs de l’économie domestique ?
Devant la parfaite cohérence de ce « système », on en vient à redouter qu’un jour prochain, un « choc de simplification » exogène ne vienne ébranler ses fondations, en encourageant, par exemple, les Régions et Métropoles à concevoir des politiques régionales fondées sur la définition de leurs objectifs, le choix des moyens mobilisés et la modulation des grandes législations nationales (SRU, Molle, Alur, Zan) complétée par la délégation de la mise en œuvre d’une grande loi foncière.
Par chance, le modèle est auto-porteur et « fail-safe » de telle sorte qu’il pourrait tenir lieu de référence à tout système de défense contre la menace aéro-spatiale : si ses porte-avions venaient à bénéficier d’une protection analogue (ce à quoi, sans doute inspirée par l’urbanisme gaulois, d’aucuns s’emploient assidûment !), l’US Navy n’aurait plus de souci à se faire ! Alors, pour conclure sur une note d’optimisme, un « choc de simplification » est-il imaginable ?
En réalité, si l’on écarte l’hypothèse, trop précoce, d’un gigantesque incendie comparable à celui de Londres en 1666 et qui résulterait du changement climatique, deux causes de séisme administratif viennent à l’esprit : la guerre ou une pandémie telle que préfigurée par le Covid ; force est de constater que depuis quelques années, de tels évènements, bien qu’actuellement improbables, ne paraissent plus inconcevables.
André Yché