Le signal d’alarme ne cesse de retentir : l’immobilier neuf a décroché et une crise du logement de grande ampleur s’installe. Si elle est aujourd’hui au cœur de l’actualité, des signes annonciateurs étaient pourtant identifiables dès 2020. En effet, l’arrivée massive des élus écologistes a été la résultante du « ras le bol » de leurs administrés pour la densification urbaine. Et les élus ont tenu leurs promesses de campagne : entre le mandat municipal précédent et celui en cours, la moyenne du nombre de permis de construire (en nombre de logements) a chuté d’environ 12 %.

En parallèle, la réforme de la fiscalité locale – et notamment la suppression de la taxe d’habitation et la baisse des impôts de production en 2020 – a limité la capacité des communes à développer des équipements publics pour accueillir de nouveaux habitants. Elles adoptent donc un réflexe légitime : réduire leur potentiel d’urbanisation en raréfiant le nombre et les capacités des terrains constructibles. Ces derniers deviennent, dès lors, une denrée rare dont les prix flambent !

Une forte inflation conjuguée à une baisse du pouvoir d’achat

A cette tendance de fond s’est ajoutée, en 2021 et 2022, une hausse des prix des matériaux et de l’énergie liés à la guerre en Ukraine. Les coûts de construction ont augmenté de près de 15 % (indice BT01). Les acteurs de la construction ont répercuté ces hausses sur les prix de vente des logements neufs qui ont enregistré + 10 % entre décembre 2021 et début 2023.

Pendant ce temps, le pouvoir d’achat immobilier des ménages a fait le chemin inverse. La BCE a relevé les taux directeurs et, dans la foulée, les taux d’emprunt immobilier sont passés, en moyenne, de 1,02 % en février 2022 à 4,26 % en novembre 2023, soit une hausse de 417 % en vingt mois !

Dès lors, pour une même mensualité, le pouvoir d’achat immobilier des ménages s’est vu amputé de presque 20 %. Ils doivent revoir leur projet : soit prospecter un secteur proposant des prix inférieurs de 20 % à leur cible initiale, soit acheter un logement d’une surface minorée de 20 %.

Une baisse des prix quasi impossible

Seul vecteur de régulation de cet effet ciseaux : le prix, qui n’a pas pu encore jouer pleinement son rôle. En effet, malgré les faibles corrections de prix entrevues depuis 2022 (-4 % selon les notaires), la baisse n’est pas suffisante. Elle devrait atteindre 17 % pour absorber l’écart entre l’offre et les capacités de la demande. Une telle baisse des prix de vente ne peut pas être opérée par les promoteurs immobiliers puisque leur coût de revient des logements neufs n’a cessé de croître, porté par la rareté du foncier, l’inflation des matériaux et de l’énergie, mais aussi les normes de construction écologiques comme la RE2020.

Le prix ne pouvant plus jouer le rôle de point d’équilibre, c’est le volume des ventes qui s’est effondré. La production de crédit à l’habitat a été divisée par deux entre 2022 et 2023.

Ne comptons ni sur l’Etat, ni sur l’autorégulation

Dans le métier, les points de vue divergent : allons-nous sortir rapidement de cette crise ou est-ce un changement long de paradigme ?

Certains de nos confrères, encore maintenant, ne croient pas à l’étendue durable de la crise et se persuadent que la « bonne vieille recette » anticrise du marché immobilier refera surface : l’avantage fiscal ! Pourtant, les messages du gouvernement semblent limpides : l’Etat n’a pas envie de doper une nouvelle fois le marché et, surtout, n’a plus la surface financière pour le faire.

D’autres nous énoncent la fameuse loi de l’offre et de la demande. Elle est enrayée par la perte de pouvoir d’achat des ménages. La (faible) croissance et les augmentations de salaires ne suffisent pas à compenser la baisse de 20 % de solvabilité mesurée.

Une autorégulation du marché dépendra aussi d’une baisse des prix de vente des logements, d’une stabilité de l’inflation à 2 % au niveau européen et d’une baisse des taux d’intérêt. Et il faudrait dix ans pour constater les effets !

Un nouveau paradigme à créer

Si la piste du choc fiscal court-termiste s’éloigne et si le pouvoir d’achat des ménages n’augmente pas rapidement, alors comment préserver la capacité à produire du logement neuf dont la France a tant besoin ?

Les fondements de cette crise sont si profonds qu’ils nécessitent de repenser le fonctionnement du marché du logement neuf. Quatre axes se dégagent. Tout d’abord, s’éloigner des centres-villes devenus impraticables. Leur accessibilité restreinte, leur densité urbaine et les prix affichés dissuadent de nombreux particuliers qui préfèrent les zones périurbaines. La banlieue revient en force. Dans ces villes pavillonnaires souvent dynamiques, des opportunités demeurent pour proposer de l’habitat intermédiaire : de petits bâtis avec des entrées individuelles et des espaces verts.

De plus, il est temps de requestionner la notion de propriété qui semble aujourd’hui dépassée. Après la musique, les téléphones et les voitures, le lien à la propriété est-il devenu celui du leasing ? Dans une étude prospective sur le rapport à la propriété à horizon 2050, réalisée par l’Ademe et le CSTB, plusieurs hypothèses ont été mises à jour : l’accroissement du démembrement de la propriété (achat progressif, Bail réel solidaire), la mise en œuvre de la flexipropriété (les propriétaires acquièrent à un prix réduit, mais pour une durée déterminée : 50 ans), le développement de l’immobilier géré (résidences pour personnes âgées, coliving, résidences étudiantes) et le renforcement des acquéreurs institutionnels privés ou publics.

Puis, fléchons l’investissement des ménages vers le logement social. En effet, l’Etat peine à financer le besoin en logement social et le taux d’épargne des ménages est au plus haut. Proposons donc aux Français d’investir encore plus dans ce segment qui jouit d’un vrai potentiel ! Certains acteurs immobiliers expérimentent déjà des montages comme le prêt locatif social ou intermédiaire ou la nue-propriété. Il ne manque plus qu’un « Go » massif de l’Etat, pour faciliter l’octroi d’agréments et des conventions, et encourager ces placements à travers la mise en place des mêmes taux de TVA réduits que ceux proposés aux bailleurs sociaux.

Enfin, dernier levier et non des moindres : l’innovation pour réduire les coûts de revient. La succession de normes environnementales – RT2012, RE2020 – crée de l’instabilité et empêche les industriels d’investir dans la recherche et l’innovation pour proposer des matériaux durables, dans tous les sens du terme. L’innovation doit nous permettre d’optimiser les coûts de revient des opérations pour faire baisser leurs prix de vente.

L’immobilier est une question d’avenir. Retrouvons du bon sens.

Thibault Fornas
Président de Fornas Promotion Immobilière

Sources des chiffres :
Fédération des Promoteurs Immobiliers, Insee, Meilleurs Taux, Meilleurs Agents, Banque de France.

Immobilier neuf : une crise structurelle, un nouveau paradigme nécessaire !