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Danielle Dubrac, présidente de l’Unis, livre une tribune dans laquelle elle se demande pourquoi ne pas faire confiance aux banques « et à leur capacité d’apprécier le risque au cas par cas, en considérant le reste à vivre de l’emprunteur plutôt qu’en observant des règles rigides et rustiques »…
La poussée d’inflation, soudaine et forte, a bouleversé l’immobilier et déséquilibré les équations. Elle a enchéri les taux d’intérêt des crédits de long terme, en les portant à un niveau que la plupart des acteurs n’avaient jamais connu. Depuis quinze ans, presque la durée d’une génération, les ménages comme les professionnels de la transaction résidentielle s’étaient habitués à des conditions d’endettement exceptionnellement favorables : des taux très bas, autour de 1 % hors assurance en 2022 encore, voire en-dessous, couplés à une politique de distribution des banques très ouverte. En effet, les établissements financiers, en dépit de bénéfices réduits à cause de taux bas ne permettant pas de matérialiser des marges suffisantes, considéraient que l’immobilier d’habitation présentait deux atouts majeurs : c’était à leurs yeux un produit de conquête de nouveaux clients, notamment jeunes par la primo- accession, et le sous-jacent, le logement, ne cessait de se valoriser, écartant tout risque de perte et, à l’inverse, promettant des plus-values pour les emprunteurs autorisant tous les projets patrimoniaux.
Au bout du compte, la hausse des taux d’intérêt, même après la légère baisse de ce début d’année, enlève aux candidats emprunteurs de l’ordre de 25 % de pouvoir d’achat logement. Les conséquences sont de deux ordres : une proportion importante de ménages a dû revoir à la baisse ses ambitions, notamment de superficie ou de localisation, et d’autres ont dû renoncer à l’accession à la propriété ou à l’investissement locatif. Au-delà d’un coût de l’endettement bien plus élevé, ce sont aussi les critères du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui sont devenus bloquants et compromettent des milliers de projets. Il faut rappeler que ces recommandations ont été édictées en novembre 2019, bien avant que l’inflation ne dérègle notre économie, et qu’elles ont pris force réglementaire dès 2021. Certes, le HCSF a donné aux banques une marge de manœuvre leur permettant de déroger à ses exigences pour 20 % de leur production avec, néanmoins, des quotas de dossiers d’accédants, d’investisseurs et d’acquéreurs de résidences secondaires difficiles à respecter et peu réalistes. Pour être complet, on n’oubliera pas que le taux d’usure, à l’origine calculé par trimestre, était rattrapé par l’inflation trop rapidement et excluait du crédit de nombreux emprunteurs potentiels. Ce problème a été résolu par la mensualisation décidée par la Banque de France lorsque l’inflation croissait vite.
Aujourd’hui, quelle est la situation des ménages qui souhaitent acquérir un logement ? Une accalmie sur les taux, avec même des baisses de 20 ou 30 points de base, est constatée. Par ailleurs, les banques, d’un coup très réticentes à prêter, troublées par le mouvement de correction des prix et aussi pour l’impact des DPE sur la valeur des biens, se détendent de nouveau vis-à-vis de l’immobilier résidentiel. La production reste, pour autant, très en-dessous des performances de 2021 ou 2022. Ce sont bel et bien les contraintes que le Haut Conseil fait peser sur les prêteurs qui excluent beaucoup de ménages, en particulier parce qu’elles sont figées et n’ont pas évolué entre leur publication et le déclenchement de l’inflation. Le critère le plus pénalisant est celui des 35 % maximum de taux d’effort. Pourquoi ne pas faire confiance aux établissements financiers et à leur capacité d’apprécier le risque au cas par cas, en considérant le reste à vivre de l’emprunteur plutôt qu’en observant des règles rigides et rustiques ? Dans notre pays, ils ont fait la preuve de leur responsabilité. Plus largement, il serait normal que le Haut Conseil n’ait pas seulement la préoccupation de l’orthodoxie financière, mais ait aussi un lien plus fort avec le réel des ménages et des banques. Sa composition devrait s’ouvrir à des membres de la représentation nationale.
Précisément, une proposition de loi vient d’être déposée par Lionel Causse, député des Landes et président du Conseil national de l’habitat, qui élargirait à un député et un sénateur la composition du HCSF et qui dispose que « les décisions prises en matière de taux d’effort peuvent être écartées par les établissements de crédit ou les sociétés de financement si ceux- ci parviennent à démontrer que le concours proposé ne présente pas de risque d’endettement excessif ». On pourrait souhaiter également que le Haut Conseil rende un rapport annuel au parlement sur les conséquences de ses recommandations quant à la production des crédits et à la maîtrise effective des situations de surendettement. Le débat parlementaire viendra, sans doute, enrichir le texte issu de l’initiative du député, auquel se sont déjà associées une quinzaine de signatures transgroupes.
Christophe Béchu, ministre de tutelle du ministre délégué au logement, a annoncé vouloir réunir les banques pour réfléchir au recours au prêt in fine pour l’accession à la propriété, mais aussi pour faire évoluer le crédit hypothécaire. Ces solutions d’ingénierie financière ne sont pas à dédaigner, mais les ménages veulent des solutions simples. En outre, le prêt amortissable à taux fixe est très protecteur des emprunteurs, là où d’autres formules pourraient introduire des risques. Dès lors, l’urgence consiste à libérer l’énergie des banques, sans dénier au HCSF son rôle prudentiel, qui doit néanmoins se moderniser. Couplé à la baisse du prix des logements, à l’œuvre partout, une plus large délégation faite aux prêteurs redonnera de la vigueur au marché et favorisera la réalisation des projets immobiliers des Français.