Très rapidement, deux tendances se sont dessinées face à une situation totalement nouvelle : d’un côté ceux favorables à une négociation pour tenter de trouver une solution équilibrée et de l’autre, ceux refusant toute discussion ou adoptant des positions ne permettant pas d’aboutir à une solution acceptable pour l’un ou l’autre des cocontractants.

C’est ainsi que certains bailleurs ont rapidement pris l’initiative de proposer à leurs preneurs, avec ou sans contrepartie, d’abandonner tout ou partie des loyers relatifs aux périodes de fermetures administratives des commerces.

La recherche d’une issue amiable a, par ailleurs, été soutenue par le Gouvernement qui a mis en place des aides à destination des preneurs, sous certaines conditions, et a favorisé des abandons de loyers par les bailleurs au moyen d’incitations fiscales.

La recherche d’une solution amiable et équilibrée par les bailleurs et les preneurs a permis, dans certain cas, d’éviter des procédures judiciaires ou tout du moins d’y mettre fin de façon anticipée.

Parfois aucun accord n’a pu être trouvé, l’une ou l’autre des parties ou les deux adoptant une attitude trop extrême en refusant toute discussion ou en proposant des solutions qui n’étaient pas acceptables.

S’en sont suivis de multiples précontentieux et/ou contentieux : saisie conservatoire, saisie attribution, commandement de payer visant la clause résolutoire, procédure en paiement ou en contestation du paiement du loyer, procédure en résiliation du bail…

Les arguments juridiques avancés par les bailleurs ou les preneurs se sont multipliés : l’obligation de payer le loyer en matière de baux (article 1728 du Code civil), l’obligation d’exécuter de bonne foi les contrats (article 1104 du Code civil), l’obligation de délivrance du bailleur (article 1719 du Code civil), l’exception d’inexécution (article 1219 du Code civil), l’imprévision (article 1195 du Code civil), la force majeure (article 1218 du Code civil) et la destruction juridique (article 1722 du Code civil).

Jusqu’à très récemment, aucune véritable tendance judiciaire ne s’était dégagée en faveur des bailleurs ou des preneurs, malgré le nombre des procédures initiées, et ce, d’autant plus qu’une grande partie des décisions n’étaient que provisoires puisque rendues en référé.

Néanmoins l’obligation pour les bailleurs et les preneurs d’exécuter de bonne foi les contrats a été invoquée dans la quasi-totalité des contentieux et a conduit à condamner ou débouter la partie n’ayant pas adopté une position raisonnable.

De plus, certaines décisions au fond ont fini par donner raison aux preneurs sur le fondement de l’article 1722 du Code civil, en considérant que les fermetures administratives des commerces liées au Covid-19 étaient assimilables à une destruction juridique des locaux permettant de ne pas payer tout ou partie du loyer relatif aux périodes de fermetures.

Finalement, le temps passant, la Cour de Cassation a fini par être saisie de plusieurs décisions ayant statué sur l’impact du Covid-19 et des périodes de fermetures administratives des commerces sur l’exigibilité des loyers.

La position de la Cour de Cassation sur l’application ou non des fondements juridiques ci-dessus rappelés aux loyers des baux était donc attendue avec impatience de part et d’autre.

Par deux arrêts du 30 juin 2022 (n° 21-20.127 et n°21-20.190), la troisième chambre de la Cour de Cassation a enfin pris position et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela n’est pas passé inaperçu pour les personnes concernées.

Dans ces deux décisions, la Cour de Cassation rejette une grande partie des fondements juridiques invoqués par les preneurs pour demander une annulation ou une réduction des loyers relatifs aux périodes de fermetures administratives des commerces.

De façon générale, la Cour de Cassation considère que la crise du Covid-19 et les fermetures administratives des commerces décidées par le Gouvernement qui ont suivi, ne sont pas en lien direct avec les bailleurs.

De cette analyse, la Cour de Cassation en tire la conséquence qu’il ne peut être reproché un manquement des bailleurs à leur obligation délivrance prévue par l’article 1719 du Code civil et donc que les preneurs ne peuvent opposer l’exception d’inexécution pour ne pas payer les loyers correspondant aux périodes de fermetures administratives des commerces.

Pour les mêmes raisons, et alors que ce fondement juridique a été retenu régulièrement par les juges du fond ayant statué en faveur des preneurs, la destruction juridique de l’article 1722 du Code civil a été considérée comme non applicable aux fermetures administratives des commerces du fait du Covid-19.

S’agissant de la force majeure de l’article 1218 du Code civil, si nombre de praticiens l’ont invoquée dès les premiers jours ayant suivi le confinement, les conditions nécessaires pour son application et l’état de la jurisprudence, rendait finalement son application difficile sous réserve d’une éventuelle évolution jurisprudentielle au regard du caractère exceptionnel de la crise du Covid-19.

Dès lors, il est moins surprenant que la Cour de Cassation n’ait pas remis en cause la position de la Cour d’appel qui avait considéré que les fermetures administratives des commerces ne relevaient pas de la force majeure et que donc cela ne pouvait justifier le non-paiement des loyers par les preneurs.

Sur la base de ces deux arrêts du 30 juin 2022, un certain nombre d’acteurs de l’immobilier commercial considère que la Cour de Cassation a sifflé la fin de la partie et que donc désormais les preneurs n’ont plus qu’à payer l’intégralité des loyers relatifs aux périodes de fermetures administratives des commerces.

Si la position de la Cour de Cassation est incontestablement ferme du côté des preneurs, il n’en reste pas moins que ces derniers disposent encore de fondements juridiques pour espérer avoir au moins partiellement gain de cause en matière de loyers.

En effet, l’article 1195 du Code civil a introduit récemment dans le droit des contrats le régime de l’imprévision qui, si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, permet à cette dernière de demander une renégociation du contrat à son cocontractant et, en cas de refus de ce dernier ou à défaut d’accord, de demander au juge de réviser le contrat ou d’y mettre fin.

En l’espèce, la Cour de Cassation n’a pas eu à se prononcer sur l’application de l’article 1195 du Code civil aux baux commerciaux.

Il est vraisemblable qu’elle sera amenée à le faire dans les prochains mois au regard du nombre des procédures encore en cours et dont certaines se réfèrent à cet article 1195 du Code civil.

En l’état, il est du ressort des juges du fond de déterminer si le régime de l’imprévision peut s’appliquer aux baux commerciaux et au cas des fermetures administratives des commerces liées au Covid-19.

Enfin et surtout, si dans les deux arrêts du 30 juin 2022, la Cour de Cassation n’a pas remis en cause la position de la Cour d’appel ayant rejeté en l’espèce un manquement du bailleur à son obligation d’exécution de bonne foi des contrats, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une situation de fait qui devra être analysée au cas par cas par les juges saisis sur un tel fondement juridique.

Comme nous avions pu l’indiquer dans les premiers jours du premier confinement, au-delà des fondements juridiques évoqués ci-dessus, celui qui ne peut en droit souffrir aucune contestation possible et ce, que l’on soit bailleur ou preneur, est l’obligation pour chacune des parties de se conformer aux dispositions de l’article 1104 du Code civil et donc d’exécuter de bonne foi le bail.

Les juges du fond devront donc, pour chaque contentieux lié au Covid-19 et l’exigibilité des loyers des commerces concernés par les fermetures administratives, continuer d’étudier, au cas par cas, précisément la situation et le comportement de chacune des parties afin de déterminer si le loyer reste ou non exigible.

Dès lors, la partie ne nous semble pas encore finie.

Sébastien Legrix de La Salle
avocat associé – DS Avocats Paris

Covid et loyers commerciaux : la Cour de Cassation a-t-elle sifflé la fin de la partie ?