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En cette semaine Sainte, le père Bernard Devert nous rappelle à quel point « les bâtisseurs de logements sont en première ligne des acteurs de soins, un rôle premier pour réduire cette mort sociale qui angoisse et défigure la Société » s’indigne-t-il. Voici sa chronique en ce temps Pascal…
Que de finitudes nous entourent, parfois même nous enferment ; de là à penser qu’elles nous sont extérieures, il y a un pas que, vite, nous franchissons. Or, Pâques nous invite à une aventure de l’intériorité aux fins d’entendre un appel qui, si nous lui prêtons l’oreille, fait de nous, ici et maintenant, des passeurs de vie, la mort étant traversée.
Cette traversée ne nous conduit pas à attendre ; loin d’être un simple espoir pour demain, elle nous interroge dans l’aujourd’hui de nos existences à partir de la question qui ouvre le livre de la Genèse : qu’as-tu fait de ton frère ?
Ecrivant ces quelques lignes, j’ai à l’esprit et dans le cœur ces enfants qu’on nomme les MNA ; ils ont perdu leurs parents sur des territoires inhospitaliers et violents, cherchant un refuge pour tenter de bâtir un avenir déjà bien altéré, laissant à jamais les cicatrices d’une enfance volée, parfois violée.
Je pense, en ces heures où s’est levée la précaire barrière de la trêve hivernale, à ces ménages expulsés, où qui le seront prochainement. Plus de 70 000 devront quitter leur logement en raison d’une extrême précarité qui fait sauter ce dernier verrou de ce toit les protégeant encore quelque peu. Désormais, ils se retrouvent démunis sur des trottoirs où dans des hébergements provisoires, non sans avoir perdu l’estime d’eux-mêmes.
Comment passer sous silence la solitude et la pauvreté touchant 20 % de notre population, l’exclusion et le grand âge, la vulnérabilité des liens familiaux et ce, dans un contexte où le défi légitime de se défendre se dispute avec celui de protéger les victimes sociales ?
La mort sociale ne peut pas être acceptée. Le Fils de l’homme ne s’est jamais mépris sur le fait que la dimension spirituelle était un alibi pour se mettre à distance de ceux qui souffrent, brisés par l’usure de la misère. A relire les Béatitudes, s’ouvre une convergence de relations entre le divin et l’humain. Le Royaume des Cieux s’inscrit dans le présent de l’histoire de ceux qui luttent pour la justice et la paix.
Sans doute n’est-il pas innocent de rappeler que l’homme de Nazareth a quitté, après bien des années, son établi de charpentier afin d’établir des liens impensés et impensables, loin d’être étrangers à sa mise à mort, le crucifié a été jugé coupable de créer un désordre pour ne plus séparer terre et ciel.
L’espérance nous plonge, non dans le déni de la mort, mais dans la conviction que là où nous sommes confrontés à des situations mortifères, il nous faut risquer la création d’espaces de générosité, suscitant le possible d’un autrement face à la violence.
Hölderlin dit que Dieu a créé l’homme, comme la mer a révélé les continents, en se retirant.
Si l’amour jamais ne s’impose, toujours il ouvre le champ des possibles, rarement ceux des eaux tranquilles où l’on a pied. Pâques nous donne à voir cet être, vrai Dieu et vrai Homme, qui perd pied sans perdre cœur, ouvrant un tel espace de miséricorde que ses bourreaux, obéissant à leurs maîtres stupides et cupides, s’écrient étonnés : oui, vraiment, il est le Fils de Dieu.
Ne trouvons-nous pas ici la juste colère de Péguy nous invitant à se réveiller, ankylosés que nous sommes pour retenir son mot le plus euphémiste évoquant le catéchisme. La foi ne relève pas d’un jeu de questions et de réponses, mais d’un consentement à se laisser interroger sur ce qui donne sens à la vie, jusqu’à entrevoir cette relation où Dieu se risque pour et avec l’homme.
Le drame, c’est que Dieu nous espère plus que nous l’espérons, d’où sa souffrance indemne de tout jugement, tant est infinie sa miséricorde.
François Cheng, dans son dernier ouvrage « Une nuit au cap de la Chèvre », écrit : « au sein de l’humanité, un jour, Quelqu’un a accompli le geste absolu, indépassable, le geste décisif qui a changé la nature et le sens de la Mort ». Il ajoute : « nous sommes les héritiers à qui incombe le devoir d’assurer la marche de la Vie ».
Cette marche n’est-elle pas celle qui nous met déjà hors des tombeaux ?
Bernard Devert