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Lors de la présentation de sa politique générale, le Premier ministre envisage une révision de la loi SRU au terme de laquelle le quota des logements sociaux serait partagé entre les personnes vulnérables et les classes moyennes. « Une telle proposition n’est pas envisageable, sauf à pénaliser les plus pauvres. Certes, les classes moyennes sont aussi très affectées par le coût du logement au point d’être contraintes de se déplacer dans un ailleurs. L’article 55 de la loi SRU doit être revisité pour se révéler un vecteur de cohésion sociale ». Des propos qui ont reçu le soutien de deux anciens ministres du Logement : Louis Besson et Marie-Noëlle Lienemann. C’est en sa qualité de président du Haut Comité pour le logement des Personnes Défavorisées que Bernard Devert livre une nouvelle tribune…
Le 30 janvier, Gabriel Attal, dans son discours de politique générale présentée aux députés, s’engageait à créer un choc de l’offre pour sortir de la crise du logement si aigüe que les relations sociales en sont gravement affectées mettant en cause l’unité de la Nation, pourtant une et indivisible.
L’unité n’est pas assurée quand une fraction de la population est assignée à des logements qui crient la ghettoïsation. Il s’ensuit un ressenti amer d’être rien pour n’avoir pas d’autre avenir que de rejoindre les quartiers perdus pour la République.
N’est-ce pas fracturer la cohésion pour laisser plus de 3 000 enfants et 140 000 adultes dormir dans la rue ou bien condamnés à se réfugier dans des squats ? Quelle égalité quand plus d’un quart de la population n’a pas la possibilité de se chauffer ? Ils étaient 14 % en 2020 ! Quelle liberté quand 330 000 de nos concitoyens sont sans domicile fixe et 4 100 000 sont concernés par le mal logement ?
Quelle fraternité pour rester indifférent au fait de cette attente de plusieurs années pour bénéficier dans les grandes villes ou métropoles d’un habitat décent dont le loyer est en cohérence avec les ressources ?
Tout est dit, répété à l’envi, mais rien ne bouge ou si peu, sauf sur l’hébergement qui concerne 200 000 personnes auxquelles il conviendra bien de proposer un logement.
Une telle situation n’est pas indifférente à une absence de l’aménagement du territoire. Une étude récente, publiée par le baromètre Arthur Loyd, souligne que loin des aspirations post Covid, 24 départements urbanisés concentrent 82 % des créations d’emploi dont un nouvel emploi sur trois en France bénéficie à l’Ile-de-France, plus particulièrement à la Capitale.
Le Premier ministre, pour s’inquiéter à juste titre des classes moyennes privées des moyens de se loger dans les villes et les métropoles, annonce une révision possible de l’article 55 de la loi Solidarité et Renouvellements Urbains (SRU).
Il est impensable que les plus vulnérables en soient les victimes. L’équité n’est pas d’enlever aux plus pauvres ce qu’ils n’ont déjà pas ou si peu, mais d’entrer résolument dans une prise de risque : changer pour faire du neuf.
Les marges de manœuvre sont étroites sauf à trouver un élan de solidarité, nécessaire à ce choc de l’offre.
Le 24 janvier 2006, l’Assemblée Nationale, appelée à se prononcer sur un amendement de la loi SRU visant la diminution du quota, eut la surprise de voir l’Insurgé de Dieu. Exténué par l’âge – il a 93 ans – et les combats, il trouva une fois encore les mots et emporta l’adhésion d’un grand nombre de députés pour que l’article la loi 55 ne soit pas revisité.
L’honneur de la France, dit-il, c’est quand le fort s’applique à aider le plus faible.
Nous devons impérativement maintenir, par souci de justice, le quota de logements pour les plus vulnérables en ajoutant à la loi du 13 décembre 2000 l’obligation que l’acte de construction et d’acquisition des immeubles confèrent aux classes moyennes un droit d’accès à l’accession et à la location, via un prix maîtrisé.
Un des ennemis de la fraternité est la spéculation foncière.
Est-il juste que les terrains à construire bénéficient d’une folle plus-value en raison des investissements de l’Etat et des collectivités locales (métro, tramway) ? Un des moyens pour faire tomber cette rente inique est d’imposer que tout programme relevant de la loi SRU offrira jusqu’à 50 % de logements aidés, à minima 30 % pour les personnes fragilisées et 25 % pour les classes moyennes.
Rappelons que 70 % de la population est éligible au logement social. Il ne suffit pas de rechercher un choc du logement, il convient de s’interroger pour qui, afin de mettre en exergue les urgences et par là même les priorités.
Une telle orientation impactera ipso facto les charges foncières pour les rendre plus raisonnables, la collectivité se gardant un droit de régulation dans l’hypothèse où ces logements intermédiaires ne seraient pas réalisés faute d’un prix du foncier excessif.
Un des risques de cette mesure – fût-elle juste – est la rétention des terrains. Les pouvoirs publics n’ont-ils pas pour mission de désarmer la violence que constitue le mal-logement en agissant, si nécessaire, par une fiscalité ad hoc.
Si la fraternité est souvent oubliée, c’est que peut-être nous avons perdu le sens de l’humain. L’heure n’est surtout pas de tenter une nouvelle fois de détricoter cette loi, ce qui serait une provocation et une insulte à l’égard des plus pauvres.
Louis Besson, qui dut batailler pour que la loi SRU soit votée, me fait part de sa totale adhésion à cette chronique, comme Marie-Noëlle Lienemann, tous deux fermement investis pour avoir apporté une « pierre » significative à la politique du logement.
Qui peut contester le maintien de la loi SRU, sauf à abandonner ce combat permanent que requiert la mise en oeuvre des valeurs de la République ?
Bernard Devert
Président du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées
5 février 2024