Logement

Bernard Devert : "le cœur, ce haut-lieu de la fraternité"

28 Nov 2025 - 09h30

« Il n’y a pas de crises de logements, la crise est celle des cœurs qui n’arrivent pas à entendre le cri des pauvres » nous dit Bernard Devert, le président fondateur d’Habitat et Humanisme. Voici son dernier point de vue…

L’an 2025 s’éteint ; il fut pour Habitat et Humanisme celui de son 40ème anniversaire, marqué par une sobriété chaleureuse, présentant parfois une certaine gravité, tant nous peinons à réduire les situations de détresse que vivent ces frères et sœurs n’ayant d’autres lieux pour dormir que la rue ou l’indignité d’un logement.

Ensemble, « embarqués » dans ce grand voyage vers une terre plus solidaire ‑ la mixité sociale en est un des vecteurs majeurs –, nos cœurs sont habités par une lumière toute intérieure, celle de la fraternité.

Cette « terre promise » ne s’inscrit pas dans un futur, ce qui serait trop facile et d’une certaine façon une fuite de nos responsabilités ; elle est une promesse permanente et actuelle qu’il nous faut chercher pour ne point la déserter.

Que « d’îles désertes » dans nos agglomérations ! Nous ne les voyons pas alors qu’elles recueillent les naufragés de nos sociétés. Passant, en début de semaine devant la gare de Lyon, je voyais ces hommes qui n’avaient d’autres refuges que le bord de fenêtres de bureaux pour se coucher dans des couvertures !

Partout, nous assistons à une floraison de ces lieux de mort pour être, sans doute, moins vivants que nous ne le pensons.

La Société n’a nul besoin d’entendre mes plaintes accompagnées d’un ressenti amer et quelque peu honteux au regard de ce constat, elle a besoin de vous pour dire non à l’inacceptable. Ces hommes et ces femmes abandonnés ne sont pas des étrangers, ils sont nos frères et nos sœurs.

Si l’humanisme est un soin, il est aussi une fraternité, un appel à ne pas rester éloignés de ceux qui ont perdu pied et souvent perdu cœur.

La perte de l’autre se révèle une perte de soi.

Vos engagements témoignent précisément que vous n’avez rien perdu de ces idéaux qui font vivre. Dans cette traversée, pour atteindre la terre nouvelle, nous sommes parfois, les uns et les autres, tentés par la révolte, l’indignation. Heureusement, nous comprenons que ce ressenti n’est pas un point d’arrivée, mais un point de départ pour ne pas sombrer sur des récifs.

Si le pessimisme peut nous guetter, la fraternité se révèle profondément un optimisme de volonté ; là, nous découvrons l’éternelle enfance qui, sans doute, est la condition même pour que la vie demeure et le demeure pour tous, comprenant que la victoire que nous devons offrir à l’humanisme est celui‑ j’ose ce mot – de l’amour plus fort que la mort.

2025 s’éteint avec ses drames, la stupidité de trop de querelles partisanes nourries de ces idéologies qui arment les certitudes faciles, plutôt que les convictions d’avoir à faire naître une terre pour tous.

Saint-Exupéry dans « Terre des hommes » dit : si vous aviez objecté à Mermoz, quand il plongeait vers le versant chilien des Andes, avec sa victoire dans le cœur, qu’il se trompait, une lettre de marchand peut-être ne valait pas le risque de sa vie, il eût ri de vous. La vérité, c’est l’homme qui naissait en lui quand il passait les Andes.

La fraternité s’éveille quand nous naissons à cette humanité, traduisant un appel à moins regarder le ciel qu’à le reconnaître, là où il naît, le cœur de ces femmes et ces hommes qui, tourmentés par la misère de leurs frères, s’emploient à la faire reculer.

Telle est l’aventure du partage pour une entraide mieux comprise.

Bernard Devert
Novembre 2025

Valérie Garnier