« Entre 1914 et 1928, le nombre d’amiraux et d’officiers d’Etat-Major de la marine britannique s’est constamment accru alors même que le nombre de bâtiments a diminué des deux tiers (et le nombre de marins embarqués d’un tiers) ; la Royal Navy est ainsi devenue une magnifique marine de terre ! ».

Cyril Northcote Parkinson
(Parkinson’ s law and Other Studies in Administration)

Inspirée par le principe d’expansion des gaz jusqu’à occuper tout l’espace disponible, les variantes de la loi de Parkinson appliquées à l’administration et illustrées par de multiples exemples (l’Agriculture, les Affaires coloniales dont les effectifs ont cru avec l’émancipation des colonies…) découlent de comportements immuables de la sociologie administrative, étudiée par Parkinson : la spécialisation à outrance, accompagnée de besoins croissants de coordination, l’auto-génération de travail pour occuper le temps disponible…

Complétée par la célèbre loi de Solow (« L’informatique est partout, hormis dans les statistiques de la productivité »), elle éclaire d’un jour cru deux faits récents et, curieusement, peu commentés : la baisse de la productivité de l’économie nationale en 2022, de l’ordre de 3 à 4 %, une « première » depuis la Seconde Guerre mondiale ; la généralisation du « travail à distance », sans conséquence pratique manifeste (il faut ajouter que le transfert à la clientèle du secteur bancaire et assurantiel, ainsi qu’aux « assujettis » du service public, d’une large proportion des formalités administratives favorise cette apparente stabilité, l’activité bancaire se déplaçant vers le « reporting » auprès de l’administration fiscale et la surveillance des flux financiers pour le compte de l’Etat).

Quoi qu’il en soit, il est évident que, combinée à la persistance de multiples doublons générés par les restructurations administratives (fusion des régions et des collectivités territoriales ultramarines ; multiplication des états-majors dans de vastes alliances : Otan, UE, Onu ; coordinations diverses : Frontex, juridictions…), la constitution de nouvelles cathédrales numériques (le « Big Data ») dépourvues de corrélation avec la réduction de l’empreinte matérielle de ces « espaces virtuels » (« Métavers ») imposera tôt ou tard, sous l’effet des contraintes budgétaires accentuées par la hausse des taux d’intérêt, une remise à plat des immobilisations administratives, sous peine de voir le fonctionnement amputer structurellement l’investissement public dans l’économie « réelle » : infrastructures, équipements publics…

Il s’agit donc désormais, au niveau de l’Etat comme à celui des grandes collectivités territoriales, de définir une stratégie de redéploiement des moyens et de reconfiguration des immobilisations accompagnant la rationalisation des organisations de manière à dégager de nouvelles marges de manœuvre, alimentant ainsi un nouvel « urbanisme de la transformation » de nature à faciliter l’entrée dans l’univers de la « zéro artificialisation nette » dont l’avènement aurait gagné à s’inscrire dans cette démarche stratégique.

Cette vaste transformation nécessitera la mobilisation d’importants moyens d’ingénierie, de financement, ainsi que de planification, en même temps que la constitution d’outils d’intermédiation : fonds nationaux et territoriaux dédiés au portage et à la valorisation d’actifs à reconvertir, consolidation de filières régionales incluant aménageurs, investisseurs…

Dans un passé récent, il existe un exemple unique d’une telle transformation, dont les effets à moyen terme se sont révélés bénéfiques à tous égards, à savoir les restructurations militaires qui, avec le recul de trois décennies, se sont avérées essentielles pour permettre la préservation de notre base industrielle, la modernisation de l’outil de défense et le réarmement qui s’annonce. Cette expérience et les instruments d’accompagnement dont elle a suscité la création (programme Konver, Mission pour la réalisation des actifs immobiliers…) mériteraient d’être étudiés, au même titre que ses effets en termes de ressources humaines qui pourraient répondre aux difficultés de recrutement de certaines fonctions essentielles, comme la santé (service public hospitalier) et l’enseignement, au même titre que la professionnalisation a permis la constitution d’une armée moderne.

A chaque époque, l’équilibre de la société a reposé sur l’ajustement permanent des valeurs immatérielles et de leur empreinte matérielle : au Moyen-Age, le christianisme a engendré des cathédrales, des hospices, des abbayes avec leurs communautés de « moines convers » dédiées à la valorisation foncière. A l’heure des transformations du travail et de l’entreprise, de la nouvelle urgence environnementale qui impose de réviser la combinaison des facteurs de production afin de préserver la compétitivité de notre économie, mais aussi de l’irruption universelle de la « Data » et des attentes qu’elle suscite, il est essentiel de repenser les politiques publiques, nationales et territoriales, afin de proposer à l’opinion une vision renouvelée, cohérente et positive de l’avenir.

André Yché : "transformations"