L’action publique, en la matière, souffre depuis plusieurs décennies de deux failles majeures qui minent son efficacité et qui consistent, d’une part, à confondre le logement (la résidence) et l’habitat (l’ensemble de l’immobilier dédié à l’activité sociale – notamment économique – et à la vie de la population), et d’autre part, à réduire son rôle à une succession de mesures de régulation en l’absence de toute approche globale. C’est la disparition de toute vision d’ensemble qui explique la crise actuelle dont le véritable fondement ne tient pas tant à la conjonction d’indicateurs alarmants qu’à l’absence d’analyse de leurs interconnections qui pourrait inspirer une méthode de sortie de crise.

Or, en regard de l’évolution des marchés immobiliers depuis une vingtaine d’années, une stratégie s’impose d’évidence qui, à travers la définition de quatre axes stratégiques, devrait inspirer les Pouvoirs Publics.

1) Le premier d’entre eux porte sur des mesures de décentralisation de nature véritablement politique, évitant le sempiternel débat sur l’attribution des permis de construire, entre le camp « municipal » et celui des thuriféraires du pouvoir d’agglomération… Le mieux consiste, sur ce sujet ancillaire, à laisser le temps accomplir son ouvrage, formule plus convenable que celle, de portée identique, consistant à constater qu’il n’existe pas de problème que l’absence de solution ne finisse par régler…

La question essentielle tient, en vérité, en la constitution de « blocs de compétences » qui permettent de restaurer la cohérence de l’action publique : « habitat-mobilité », « emploi-formation », « aménagement du territoire-développement durable », au profit des collectivités territoriales disposant encore de capacités d’investissement : le couple région/métropole.

Il s’agit, en la matière, de reconnecter la responsabilité politique et les moyens d’action : la programmation de la production, le zonage, la régulation territoriale de quelques dispositifs sensibles comme la déclinaison territoriale de la « Zan » et l’application des normes de performance thermique, s’agissant des catégories E, F, G… Si la démocratie territoriale doit gagner du terrain (!), c’est bien dans ces matières difficiles et essentielles.

2) C’est une loi naturelle que toute impulsion directionnelle s’accompagne d’un effet inverse : quand le projectile part, l’affût recule… Ainsi faut-il recourir plus largement à des « OIN négociées » conçues non pas comme les instruments d’un centralisme dépassé, mais comme des cadres de simplification des procédures, qui peuvent d’ailleurs s’appliquer à des opérations d’intérêt régional et/ou métropolitain : reconfiguration de centres commerciaux, de pôles tertiaires, de friches urbaines ; constitution de métropoles polycentriques… Une seule autorisation administrative, portant approbation d’un règlement concerté, devrait suffire. Rappelons, à cet égard, que lors du lancement des villes nouvelles, Paul Delouvrier n’avait pas omis d’organiser une concertation approfondie (et consensuelle) avec les autorités locales…

3) Il n’est plus envisageable, aujourd’hui, de penser la production de logements indépendamment du développement économique, environnemental et de la transformation urbaine qui les accompagnent nécessairement, offrant par là-même de nombreuses opportunités. En un mot, c’est la notion même de foncier, et donc le contenu d’une politique foncière, qui doit être repensée : il ne s’agit plus de constituer des réserves de terrains non constructibles pour créer de la valeur (et des rentrées fiscales) par un acte magique d’élévation à la constructibilité, mais d’adapter l’existant à de nouveaux usages.

Ainsi, la politique du logement devrait devenir une politique de la transformation, visant plutôt qu’à préserver des dispositifs obsolètes (Pinel, PTZ…), à faciliter des mutations nécessaires par suite de diverses crises sectorielles :

celle de la grande distribution, qui implique la reconversion de centaines de centres commerciaux ;
celle du tertiaire administratif, public et privé, qui laisse apparaître dès aujourd’hui, en périphérie de la Capitale, des milliers de mètres carrés de bureaux inoccupés.

Il serait donc plus utile et plus urgent de faciliter la prise en compte de ces enjeux véritablement stratégiques en termes d’urbanisme, d’environnement et d’offre nouvelle d’habitat. Comment ? Par exemple, en prévoyant une fiscalité progressive sur les bureaux vacants en contrepartie d’un allègement de la TVA non récupérable sur les travaux de transformation.

4) Enfin, la situation politique, économique et sociale incite à privilégier une offre dédiée aux classes moyennes, celle des « key-workers » du secteur privé et des agents des services publics critiques, qu’il s’agisse de la santé publique, de l’éducation nationale ou de la sécurité intérieure et de la justice. Depuis une vingtaine d’années, le dispositif Dalo a saturé le potentiel de logements sociaux vacants, de telle sorte qu’aujourd’hui, c’est le logement intermédiaire qui répond à des besoins primordiaux et insuffisamment pris en compte (salariés en mobilité professionnelle, difficultés de recrutement dans les hôpitaux et, notamment, dans ceux de l’AP-HP). Ainsi, un quota de logements intermédiaires devrait être prévu dans le cadre des OIN et des opérations de transformation d’actifs.

En conclusion, une politique de l’habitat se doit d’être globale et dynamique, c’est-à-dire de préparer l’avenir plutôt que de préserver le passé. Elle doit mobiliser l’ensemble des acteurs, ce qui suppose de conjuguer des mesures de décentralisation stratégique (et non pas purement technique) en termes de « blocs de compétences » et des opérations d’intérêt national (ou régional) négociées, visant essentiellement à la mise en place de mesures de simplification dérogatoires. C’est par l’affirmation de ces priorités que la visibilité de l’action publique, et donc la confiance, pourraient être restaurées.

André Yché

André Yché : "quelles priorités pour une politique de l’Habitat ?"