Dans l’étude publiée par le réseau Laforêt, vous indiquez une baisse des taux d’intérêt en cette rentrée 2024, qui rétrogradent à 3,62 % quand ils culminaient encore à 4,21 % il y a moins d’un an. Quels commentaires faites-vous sur ces données ?

Il est vrai que les taux ont reculé de 0,6 point, ce qui pourrait sembler, de prime abord, peu significatif ou impactant. Cependant, il faut garder en tête qu’un point de baisse des taux équivaut à 10 % de pouvoir d’achat en plus. Les Français ont donc récupéré 6 % de pouvoir d’achat de manière mécanique grâce à cette baisse. Il faut ajouter la baisse générale des prix de l’immobilier qui ont reculé en un an de 4,5 % (5,4 % pour Paris). Sans oublier les négociations engagées entre acheteurs et vendeurs pour faire baisser le prix affiché (neuf logements sur dix en font aujourd’hui l’objet), qui ont crû de 5,54 %. Si l’on additionne ces trois données, nous sommes à environ 16 % de pouvoir d’achat recouvré par les Français, eux qui en avaient perdu 20 à 25 % lorsque les taux étaient les plus élevés.

Pensez-vous que le possible assouplissement du calendrier du DPE, entraînant une exclusion des passoires thermiques du marché locatif, pourrait remettre les propriétaires en position de force dans les opérations transactionnelles ?

Ce sont surtout des effets d’annonces pour le moment, comme il sied habituellement aux discours de politique générale des Premiers ministres successifs. A moins de trois mois du 1er janvier 2025, il me paraît compliqué de légiférer sur ce sujet-là et de reporter la date de sortie des passoires thermiques étiquetées G du marché locatif. Et même si report il devait y avoir, il serait ponctuel et limité dans le temps, ce qui ne devrait pas modifier substantiellement le rapport de force à l’œuvre actuellement entre, d’un côté les vendeurs et, de l’autre, les acquéreurs. Les vendeurs sont avant tout impactés par les changements de règles constantes, qui brouillent leur visibilité du marché.

Comment anticipez-vous l’évolution à court et moyen termes des taux de crédit ? Vont-ils continuer de baisser ?

Les banquiers sont toujours informés en amont d’une future baisse des taux, ce qui leur permet de s’y préparer. De 3,60 % en moyenne, nous devrions atteindre 3,50 % très bientôt. Cela va resolvabiliser les primo-accédants, mais sans rien révolutionner pour autant. C’est avant tout la baisse des prix qui va se poursuivre, que ce soit pour les maisons ou les appartements. En Ile-de-France, où les prix avaient particulièrement flambé ces derniers temps, leur réorientation à la baisse va se poursuivre, ce qui va fluidifier ce marché jusqu’à la fin de l’année. Reste la question de l’investissement locatif, qui est plus aléatoire.

Les pavillons dits traditionnels sont les grands exclus du PTZ, sans que l’on sache s’ils vont enfin être inclus au sein du dispositif. Le gouvernement Barnier pourrait-il franchir le pas selon vous, alors même qu’une ancienne ministre du Logement avait argué qu’il fallait en finir avec la maison individuelle ?

La maison individuelle construite représente souvent le début du parcours résidentiel, sa première étape. Il est vrai que les bâtisseurs de pavillons avaient été écartés avec le PTZ, donc remédier à cela irait dans le bon sens et ouvrirait des portes à des acquéreurs qui rencontrent des difficultés pour se loger dans le neuf ou l’ancien collectif. Mais il n’est pas exclu que cette réorientation politique, si elle devait être effective, se heurte aux politiques d’aménagement du territoire et de respect du Zan issu de la loi Climat et Résilience. Or, il faut des terrains pour construire des maisons…

Au sujet de l’investissement locatif, que vous avez rapidement évoqué, aucun signe positif n’a été donné de la part du nouveau gouvernement, alors même que le dispositif Pinel va disparaître et qu’aucune mise en place d’un statut du bailleur privé ne semble envisagée…

En effet, aucune annonce n’a été faite en ce sens. Il n’y a pourtant que trois voies d’accès pour placer un toit au-dessus de sa tête : être locataire du parc social, avec ses listes d’attente interminables ; être locataire du parc privé, alors que les investisseurs, pressurisés fiscalement, sont en retrait ; être primo-accédants, alors que le bât blesse toujours sur la constitution des apports (25 %, en moyenne, réclamés par les banques). Chacun des cas de figure présentent ses difficultés propres, qui ont cessé d’être structurelles pour devenir conjoncturelles. Pour y remédier, il y a tout intérêt à faire revenir le plus vite possible les capitaux privés pour permettre à un maximum de Français de se loger.

En France, il est de bon ton de considérer les propriétaires, a fortiori les multi-propriétaires, comme des privilégiés et des nantis qu’il faudrait taxer au maximum. Or, beaucoup d’entre eux ne sont ni aisés, ni fortunés, mais se sont simplement constitués un patrimoine au fil des ans leur permettant, dans le cas des retraités par exemple, de percevoir des revenus annexes venant compléter une pension de retraite. Est-ce cette perception biaisée de la réalité qui est à revoir ?

Dans une période où l’on nous annonce sans cesse que l’âge de départ à la retraite va encore reculer, pour des pensions qui vont, quant à elles, continuer de s’amenuir, le levier de l’immobilier représente une source de revenus indispensable à beaucoup de ménages. D’autant que l’immobilier permet de lever de l’argent auprès des banques, mais comporte un certain nombre de risques pour le propriétaire bailleur : vacance locative, carence locative, impayés, dégradations… L’ensemble en s’étant probablement endettés sans avoir de certitudes sur une éventuelle plus-value dans le futur, tant la conjoncture est de moins en moins lisible. Et il faut sortir, une bonne fois pour toutes, du cliché du riche investisseur millionnaire qui roule en limousine ; ce sont plutôt des cadres intermédiaires ou des factionnaires qui cherchent à se constituer un patrimoine. Il n’est donc pas normal qu’ils soient aujourd’hui davantage taxés que s’ils faisaient le choix d’acheter des actions ou du bitcoin. Surtout que cela rentre en contradiction totale avec la tradition française et les aspirations profondes d’une part majeure de la population, qui a toujours privilégié l’intangibilité de la pierre à la volatilité du cours de la Bourse.

Notez-vous des disparités territoriales et, si oui, quelles formes de clivages opèrent-elles ? Paris/Ile-de-France ? Paris/régions ? Ou d’autres encore ?

En deux ans, nous sommes passés, à Paris, d’un prix moyen au mètre carré de quasiment 11 000 euros à environ 9 400 euros. Les prix de l’immobilier parisien ont reculé de 15 % en deux ans, tout en recréant la hiérarchie des arrondissements. Dans l’Est parisien, on achète entre 8 000 et 8 500 euros du mètre carré ; dans l’Ouest, entre 9 000 et 9 500 euros et dans le centre de la Capitale à 11 000 euros et plus. Les acquéreurs sont de retour à Paris, l’immobilier parisien redevient séduisant et attractif. Nous constatons une augmentation de 11 % de la demande de projets immobiliers en un an et une croissance de 9 % des transactions. Dans les régions, c’est assez disparate, même si les prix ont reculé, en moyenne, de 4 % en un an, 7 % si l’on se concentre sur les maisons. Il y a également 5 % d’acquéreurs en plus en un an dans les régions. Les ventes se sont, quant à elles, redressées de 2,4 % en douze mois. L’Ile-de-France hors Paris intra-muros connaît, en revanche, de plus grosses difficultés, avec une explosion des prix dans la foulée du Covid et la volonté d’éloignement et d’espace de la part des Parisiens. Un phénomène de gentrification s’est opéré, ce qui a renchéri le marché périphérique. Mais depuis lors, la demande s’est tarie aussi vite qu’elle était apparue et les prix ont chuté de 9 % en un an. Les maisons en Ile-de-France vont continuer de connaître des baisses de prix au cours des mois à venir face à une demande atone…

Yann Jéhanno (Laforêt) : "il faut sortir du cliché du riche investisseur immobilier millionnaire"