Quel regard portez-vous sur le marché locatif tertiaire en régions tel qu’il se présente depuis le début de l’année par rapport à 2023 ?

A l’image du paysage francilien, le marché locatif des bureaux en régions s’est ajusté à la baisse en 2023, en réaction au ralentissement économique conjoncturel. Cependant, dans sa globalité, la demande placée s’inscrit au-dessus de la moyenne quinquennale sur la moyenne des grandes métropoles ; il n’y a donc pas d’effondrement.

Pour autant, toutes les métropoles ne réagissent pas de la même manière, répondant aux particularismes régionaux des marchés de bureaux, mais aussi à une dynamique locale de l’emploi. Ainsi, la région sud-ouest affiche une très belle résistance, avec deux grands marchés – Bordeaux et Toulouse – qui ont enregistré une demande placée en hausse de 17 % pour Bordeaux (171 000 m²) et quasi stable pour Toulouse (149 000 m²). En revanche, les marchés plus profonds – Lyon (250 000 m²) et Lille (195 000 m²) – sont plus en retrait avec des reculs de 24 et 27 %, respectivement, de leur consommation tertiaire, amputée de leurs traditionnelles grandes transactions ou opérations en compte propre rendues plus difficiles à financer. Il en va de même pour le marché de la métropole Aix-Marseille (-25 % et 131 000 m² placés en 2023), avec un basculement notable du marché au profit des quartiers centraux d’Aix-en-Provence. Dans ce contexte chahuté, les valeurs locatives, inscrites dans une amplitude plus resserrée qu’en Ile-de-France, résistent plutôt bien, en raison d’une offre assez limitée. La recherche de centralité (proximité de nœud de transports) et de qualité reste un moteur dans le comportement des utilisateurs de bureaux en régions.

Le retour de la croissance en 2024 et, plus amplement, en 2025, allié à une dynamique sectorielle plutôt porteuse dans leur ensemble et à une volonté des politiques économiques publiques de favoriser des hubs de compétences, notamment dans les industries de pointe, devraient créer un appel d’air pour les activités de services aux entreprises en régions et soutenir l’activité du marché tertiaire.

Et celui de l’investissement en régions ?

La contraction des montants investis a été forte en 2023 sur le segment des bureaux en régions avec seulement 4,8 milliards d’euros actés, soit moitié moins qu’en 2022. Mais la part des régions dans l’investissement national n’a jamais été aussi élevée ; elle progresse de façon continue depuis 2018 pour atteindre un plus haut historique (48 %) au 1er trimestre 2024 (815 millions d’euros). Le marché reste privé d’acquisitions sur des montants unitaires supérieurs à 50 millions d’euros avec un basculement des très grandes métropoles (Lyon, Lille, Marseille) vers des métropoles de taille plus modeste (Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Nantes entre autres). La recherche d’actifs immobiliers liquides, à l’état locatif performant, flèche les investisseurs – fonds privés, SCPI entre autres – vers des montants unitaires compris entre 5 et 20 millions d’euros ; passé ce cap, les transactions sont aujourd’hui nettement plus rares…

Comment voyez-vous évoluer ce marché d’ici la fin de l’année ?

Les acteurs du marché attendent tous la reconstitution de la prime de risque immobilier par le double jeu de l’assouplissement des taux de la Banque Centrale Européenne et de la poursuite de la réduction du décalage dans les attentes de prix entre vendeurs et acheteurs. Les chiffres du 1er trimestre 2024 laissent entrevoir une dynamique assez molle qui devrait se revivifier sur la seconde partie de l’année. Le retour progressif de la collecte de capitaux des fonds structurés va également contribuer à la réactivation du marché même si les niveaux de collecte sont encore loin de ceux observés ces dernières années. Dans ce contexte, nous anticipons un volume d’investissement modéré, comparable peu ou prou à celui observé en 2023. Les taux de rendement devraient achever leur recalibrage, donc se stabiliser avant une possible baisse en 2025 en cas de poursuite de la baisse des taux directeurs de la BCE et de ceux relatifs au financement.

Quels résultats pour Colliers dans ces marchés ?

L’équipe capital markets de Colliers a été constituée principalement courant 2022/début 2023, c’est dire si nous sommes assez « jeunes » sur ces marchés ; pour autant, nous avons bouclé de nombreuses opérations en 2023 tant en bureaux qu’en locaux d’activité avec, notamment, les opérations phares de cession pour le compte d’Espaces Ferroviaires d’« 1pulsion » (13 000 m² de surfaces tertiaires), à Toulouse et les opérations de « sale & leaseback » de deux portefeuilles de locaux d’activités pour le compte de Colas (plus de 2 millions de m² valorisés à plus de 150 millions d’euros). Ces premiers résultats sont encourageants pour le développement de nos activités en 2024 et au-delà…

Des exemples de nouvelles demandes et de nouveaux mandats ?

Nous travaillons sur une dizaine de mandats fermés à la cession auxquels vient s’ajouter un certain nombre de missions « off market » tant à la vente qu’à la recherche d’actifs à acquérir. Au global, nous travaillons actuellement sur une vingtaine de sujets avec un espoir raisonnable de les voir aboutir d’ici la fin de l’année 2024… Nous avons, d’ores et déjà, cinq opérations en cours sous promesse. La conjoncture particulière du marché actuel nous oblige à être particulièrement agiles pour identifier les meilleures opportunités sur le marché. A ce titre, notre parfaite articulation avec nos équipes de « tenant représentation » nous permet de disposer d’un « sourcing » complémentaire et, surtout, original en cristallisant la valeur des actifs à la source de leur occupation.

Coté locatif, nous instruisons plusieurs mandats exclusifs de recherche locative pour des surfaces supérieures à 2 500 m² pour des grands comptes à Nice, Marseille et Toulouse notamment.

Un mot sur l’équipe ?

La direction de Colliers m’a confié la direction de l’équipe régions sur les activités agence et capital markets bureaux & activités, nouvellement constituée en février 2024. Cette équipe est composée de profils expérimentés et bien ancrés sur leurs marchés respectifs à la fois à la location, à la vente et à l’investissement. Elle est notamment active sur la région de Marseille-Aix, sur l’agglomération de Lyon, de Toulouse et à Bordeaux.

Plus généralement, quelle stratégie de développement pour Colliers en régions ?

Ma feuille de route est simple : il s’agit de créer un maillage avec des équipes Colliers sur les huit grandes métropoles avec une couverture de toute leur région (Grand Sud, Rhône-Alpes, Occitanie…). Nous sommes à l’écoute des opportunités de marché et étudions actuellement des dossiers de croissance externe. Cette équipe en cours de structuration peut, d’ores et déjà, s’appuyer sur les autres métiers et expertises de Colliers : « tenant representation » pour sourcer des opérations du côté des utilisateurs et, également, « real estate advisory » pour des approches davantage conseil en valorisation financière en amont d’arbitrage ou d’acquisitions. Le marché « conseil en immobilier » que nous a confié depuis cinq ans l’UGAP (première centrale d’achat à destination des acteurs publics) nous permet un accès privilégié à de très nombreux sujets immobiliers de l’Etat, des établissements publics et des collectivités territoriales sur l’ensemble du territoire national. C’est un axe de développement fort de notre activité en régions tant sur des aspects de stratégies immobilières que transactionnels. Notre souhait est d’apporter une vraie valeur ajoutée pour nos clients au travers d’une équipe à taille humaine, pluridisciplinaire, dynamique, alliant expérience terrain, ancrage territorial et expertise métiers.

Quel(s) conseil(s) à un utilisateur intéressé par une implantation en régions ?

Les entreprises portent aujourd’hui un regard sensiblement différent que par le passé sur leur immobilier d’exploitation qui doit répondre à des injonctions parfois contraires entre maîtrise des coûts immobiliers, facteurs d’accroissement de la productivité et du taux d’engagement des salariés… l’ensemble sur fond de réduction de l’empreinte carbone et de reconfiguration des espaces de bureaux pour valoriser le temps présentiel et fournir aux collaborateurs un lieu unique d’expériences. Le choix d’implantation d’un utilisateur doit également embrasser les impératifs du plan de déplacement des salariés en privilégiant le plus possible le recours aux transports en commun et les mobilités douces, tout en visant un impact positif sur l’écosystème local. Il faut donc se poser les bonnes questions en amont d’un choix de localisation et, ensuite, d’un immeuble. Les opportunités réellement intéressantes peuvent être en nombre limité dans certaines métropoles… d’autant plus dans les quartiers d’affaires hyper centraux.

Et à un investisseur ?

Etre agile et opportuniste ! Le consensus actuel pointe vers un redémarrage graduel du marché de l’investissement sur la seconde partie de l’année 2024 et, plus amplement, en 2025. C’est donc maintenant qu’il faut valider une feuille de route tant à l’acquisition qu’à la cession afin d’être pleinement opérationnel lorsque les conditions de marché vont se normaliser. Les investisseurs visent une diversification plus forte de leur patrimoine que ce soit en termes de classe d’actifs que de localisations à privilégier. Le mantra commun reste la pérennité du revenu locatif existant avec une préférence pour les immeubles répondant à un maximum de critères ISR (performance énergétique, immeubles bas carbone, compatibilité au Décret tertiaire…), miroir des stratégies ESG des utilisateurs. Les stratégies « core + » ou « value add » pourront, quant à elles, s’exprimer dans des restructurations d’actifs existants aux fondamentaux de localisation indiscutables ou des reconversions d’actifs sous réserve de leur faisabilité technique et financière. Bref, cette nouvelle séquence du marché promet d’être intéressante à plus d’un titre ; elle nécessitera un temps de réflexion incompressible pour tirer parti de la nouvelle donne du marché de l’investissement. Nous sommes prêts pour accompagner nos clients investisseurs sur ce chemin.

Xavier Antoni (Colliers France) : "cette nouvelle séquence du marché promet d’être intéressante"…