Quelles sont vos observations sur le commerce ?

Comme pour le bureau où nous observons d’importantes disparités entre le marché QCA (quartier central des affaires, ndlr) et les première et deuxième couronnes, le tassement des valeurs locatives en « retail » est une réalité, à quelques exceptions près. La vacance s’est accélérée sur certains axes pourtant autrefois florissants, à l’image de la rue de Rennes (Paris 6ème). En revanche, les prix restent encore très élevés sur des axes à la connotation luxueuse comme l’avenue Montaigne (Paris 8ème), qui présente un micro marché assez incroyable. Idem pour la rue Saint-Honoré (Paris 1er et 8ème), qui propose de plus en plus d’enseignes de luxe et des prix qui flambent. D’un autre côté, alors que beaucoup d’enseignes « middle gamme » sont en grandes difficultés financières et ont déposé le bilan, d’autres résistent, à l’image de l’enseigne Naumy, qui compte 55 magasins en France (un seul à Paris, dans le quartier de Bastille). C’est une enseigne que l’on compare souvent à Primark, de façon assez injustifiée à mon sens, puisque le positionnement de Naumy est plus haut de gamme. Tout le prêt-à-porter n’est pas en crise, mais certaines marques font le choix de réduire la voilure et leurs surfaces pour ne pas prendre le risque de s’exposer à un dépôt de bilan. En revanche, le grand flagship n’est pas vraiment à la mode, notamment dans le vestimentaire et les accessoires à la personne. De manière générale, nous assistons à un partage des surfaces avec d’autres enseignes, à l’image de ce qu’a fait la Fnac rue de Rennes, qui a permis l’installation de la marque Uniqlo en sous-sol. Toujours rue de Rennes, une boutique sur dix est à louer, alors que c’était auparavant un emplacement « prime » où toutes les marques souhaitaient s’installer… Les activités qui ont été les plus soutenues par les aides durant le Covid sont celles qui ont connu l’effondrement le plus spectaculaire. Les cessions de droit au bail sont aussi de plus en plus rares, avec des locataires qui ne cherchent plus à céder leur bail par manque d’acheteurs potentiels.

Qu’en est-il des centres commerciaux ? Sont-ils autant à la peine que l’on veut bien le dire ?

Les centres commerciaux changent de visage et doivent se réinventer pour faire venir des visiteurs. Ils installent de plus en plus en leur sein des centres médicaux (souvent dentaires) et des salles de divertissement (« escapes games », « laser games », murs d’escalade) ou de sport. L’enseigne Basic Fit en a particulièrement tiré profit. Cette reconfiguration oblige les clients à venir pour effectuer ces activités, alors que rester sur le seul segment commercial est risqué : la concurrence du e-commerce et du « click and collect » se fait de plus en plus féroce. Les « food courts » et les multiplex de cinéma avaient représenté la première étape de cette évolution, de ce changement de paradigme. Le serviciel est l’avenir du centre commercial ; la diversification est impérative. Pour revenir sur Basic Fit, entreprise hollandaise cotée au marché d’Amsterdam, et l’ampleur de son essor en France, il faut avoir à l’esprit que le groupe est passé de 270 unités avant le Covid à plus de 600 aujourd’hui ; pourtant, la France n’était pas un marché mature pour les salles de sport de ce type, avec un abonnement vous donnant accès à l’ensemble des clubs disséminés partout sur le territoire. Aujourd’hui, c’est un concept rassurant pour les bailleurs, assurant la chalandise dans les centres commerciaux.

Quelles mesures ont été instaurées pour soutenir les bailleurs qui rencontreraient des problèmes à recouvrer leurs créances ?

Le premier créancier d’un commerçant est souvent le bailleur. Si aucun accord n’est trouvé entre les deux parties quant à un étalement de la dette ou la baisse de celle-ci, l’enseigne qui ne peut plus payer va bénéficier d’une procédure collective. Le bailleur a intérêt à consentir à une baisse du loyer s’il y a modification de la valeur locative. Dans un centre commercial, la fermeture d’une boutique fragilise l’ensemble du centre, par effet domino, et le bailleur a tout intérêt à conserver un centre commercial sans vacance. D’une façon générale, la crise Covid a eu un impact sur les habitudes de consommation : les gens dépensent moins en matière d’habillement. Les modes de vie ont changé, notamment avec le télétravail qui a redéfini les contraintes vestimentaires inhérentes à la vie professionnelle. Pour conclure, nous pouvons dire que le centre commercial va se transformer complètement, avec un nouveau modèle économique reposant sur une expérience servicielle ; les centres commerciaux de demain devront être des lieux de vie à part entière.

Trois questions à… Catherine Saint Geniest (cabinet Jeantet)