Vous revenez d’Expo Real (à Munich). Quelles impressions ?

Nous avons, d’abord, constaté un nombre étonnement élevé de participants, dont une très importante délégation française. Ce qui illustre le besoin des acteurs du marché de se (re)voir physiquement pour échanger, se rassurer et se forger de nouvelles convictions à la suite de ces échanges. Ce qui, d’ailleurs, justifie l’activité de ces grands salons.
Néanmoins, après être entrés dans les discussions, nous avons vite compris que la montée très rapide des taux d’intérêt et leur grande volatilité créent une zone de stress importante pour les investisseurs quant à la détermination du « bon prix » des actifs. Qu’il s’agisse, pour les acheteurs ayant recours à la dette, des coûts de financement ou de la disponibilité de ces financements ou, pour les investisseurs en fonds propres, de la comparaison entre la rentabilité d’un investissement immobilier par rapport aux performances et à la liquidité des autres produits d’épargne que sont les obligations ou autres divers livrets…
Reste, côté positif, que l’ensemble des participants n’ont pas manqué de souligner la solidité des marchés locatifs européens, aux premiers rangs desquels le marché français, ainsi que le caractère protecteur d’un investissement immobilier face à l’inflation grâce aux mécanismes d’indexation des baux. Avec, cependant, un bémol face à l’importante hausse des charges qui est anticipée pour 2023 et les années suivantes…
Dans ce contexte, il est certain que, malgré tout, le marché français bénéficie et continuera à bénéficier d’un avantage compétitif par rapport à la Grande-Bretagne et à l’Allemagne.

Le « 6 Hanovre », une opération « value add »…

Pour quelle(s) raison(s) ?

Outre-Manche, les acteurs économiques doivent non seulement continuer à se battre contre les conséquences du Brexit, notamment sur le marché de l’emploi et les chaînes d’approvisionnement, mais également à faire avec une situation politique très compliquée, où la confiance dans le gouvernement est mise en jeu, avec des turbulences qui en découlent à la fois sur le paysage économique, mais aussi, compte tenu des annonces fiscales, une quasi crise obligataire pour la livre sterling…
Outre-Rhin, il faut prendre en compte la plus grande proximité avec l’Ukraine et la Russie et, donc, une situation migratoire déjà plus importante que celle de 2015, ainsi qu’une inflation très importante, notamment en raison du mix et des coûts énergétiques…

… « Le Delano », un « trophy asset » parisien…

Pour revenir à l’Hexagone, que vous inspirent les résultats du marché de l’investissement à fin septembre ?

Les résultats du troisième trimestre ont été très bons. Ainsi, 13 milliards d’euros d’actifs ont été placés en Ile-de-France à fin septembre, un volume en nette augmentation par rapport à 2021 et même en comparaison des moyennes à cinq et dix ans. En soulignant, notamment, le retour des très grandes transactions, à l’exemple de la cession, par une famille privée, d’un portefeuille de trois immeubles dans Paris pour 900 millions d’euros ou encore l’acquisition par Brookfield, auprès de Groupama, du « 144-150 Champs-Elysées ». Cependant, il ne faut pas oublier que les opérations bouclées au cours du troisième trimestre résultent de négociations engagées au premier trimestre, donc avant la guerre en Ukraine et, surtout, avant la très forte remontée des taux d’intérêt constatée au deuxième trimestre.
Traditionnellement, c’est au cours du dernier trimestre d’une année (normale) que sont enregistrés les plus forts volumes d’investissement sur le marché. De ce point de vue, 2022 constituera, très probablement, l’exception qui confirme la règle. En effet, nous avons constaté au niveau national, en juin et juillet derniers, un volume d’environ 6 milliards d’euros d’actifs pour lesquels un premier marketing s’est avéré infructueux… Il s’agit d’environ 3 milliards d’euros d’actifs de bureau, auxquels s’ajoutent un milliard d’euros, respectivement, d’actifs de logistique (notamment des portefeuilles paneuropéens), de commerce (notamment un grand centre commercial et un portefeuille de « boîtes » commerciales) et de résidentiel (en particulier de nombreuses Vefa qui « souffrent » d’une hausse des coûts de construction côté promoteurs, mais également d’une augmentation des conditions de financement, côté acquéreurs). L’absence de ces transactions aura donc un impact fort sur les résultats du 4ème trimestre que nous estimons, pour l’Ile-de-France, entre 3 et 5 milliards d’euros.
Au final, un volume d’investissements en Ile-de-France entre 15 et 17 milliards d’euros, qui représentera, tout de même, une progression par rapport à l’année dernière…

… « Les Ateliers Gaîté », une opération de bureaux développée par URW dans le quartier Montparnasse…

Quelle évolution pour les taux de rendement ?

La hausse des taux obligataires et swap 5 ans, qui se situent actuellement autour de 3 %, nous amène à penser que les taux de rendement « prime » vont continuer à augmenter de 25 points de base d’ici la fin de l’année pour s’établir à 3,25/3,50 % pour le bureau parisien. Ce qui constitue une prime de risque relativement faible pour l’immobilier. Mais certains investisseurs nous signalent que la force des indexations et la rareté des actifs de très grande qualité dans Paris rendent cette prime acceptable pour eux, notamment pour les volumes « liquides ».

Et pour le commerce, la logistique et le résidentiel ?

Nous estimons que l’immobilier logistique, le résidentiel et le commerce suivront à peu près la même tendance avec, éventuellement, un élément modérateur pour la logistique : la bonne tenue du marché locatif et la croissance continue et anticipée des valeurs locatives dans ce créneau du marché. Côté résidentiel, c’est la croissance des loyers, encadrée, qui est prise en compte…
S’agissant du commerce, l’évolution des taux de rendement s’avèrera probablement moins forte puisque l’immobilier de commerce a déjà assez fortement corrigé dans le passé et parce qu’il y a un retour des investisseurs notamment vers l’alimentaire et les « retail parks » dans une logique de diversification. Néanmoins, certains investisseurs craignent une érosion du pouvoir d’achat des ménages en 2023/2024…

… « Eden », un « retail park » de dernière génération à Servon (77)…

Les nouvelles tendances de la demande de bureaux (nouveaux modes de travail, développement durable…) impactent-elles les recherches des investisseurs ?

Sur le marché des bureaux, nous constatons que les corporates utilisateurs sont loin d’avoir achevé leurs projets de nouvelles organisations du travail s’agissant du travail hybride, flex offices… Ce qui nous amène à penser que le marché locatif des bureaux restera dynamique en 2023, même si les surfaces libérées sont, souvent, plus importantes que les nouvelles surfaces prises à bail. Cette évolution, combinée à des recherches nettement plus orientées ESG (critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance, ndlr) de la part des utilisateurs, créera automatiquement de nouvelles opportunités d’investissement dans les bureaux en 2023. Ces opportunités correspondront parfaitement aux nouvelles exigences des investisseurs pour qui les critères ESG entrent de plus en plus dans leur quotidien ; que ce soit via les règles européennes pour la taxonomie où les fonds articles 6, 8 ou 9, mais aussi la réglementation française et notamment le Décret tertiaire.

Comme vous y faites allusion, le créneau de l’immobilier de commerce semble mieux se comporter…

Absolument. Le commerce est entré en crise dès 2017/2018 avec un « retail bashing » résultant du développement galopant de l’e-commerce. Les volumes d’investissement dans cette classe d’actifs ont fortement baissé en 2021 et les taux ont été corrigés beaucoup plus tôt que dans les autres segments du marché. Mais depuis 2022, le commerce fait un retour remarqué avec des volumes d’investissement entre 4 et 5 milliards d’euros et, notamment, une appréciation des investisseurs envers les actifs « retail parks » et alimentaires/restauration. Cette année connaît un nombre impressionnant de transactions pour ces deux types d’actifs.

Quels résultats pour JLL dans ce marché ?

Nous tablons sur un volume d’investissements traités par nos équipes fin 2022 entre 8 et 9 milliards d’euros. Avec, notamment, le portefeuille « Lamartine » que nous avons bouclé pour CDC Habitat en début d’année (un portefeuille de 7 600 logements existants ou en Vefa, pour 2,4 milliards d’euros), mais également l’immeuble « Pasteur », siège d’Amundi à Montparnasse, dont nous avons réalisé la vente pour Primonial à SFL pour 700 millions d’euros. Nous maintenons, globalement, notre position de numéro 1 ou 2 sur le marché dans toutes les classes d’actifs.
S’agissant de l’équipe, avec une soixantaine de collaborateurs, celle-ci a à peu près atteint son « rythme de croisière » en matière d’effectif. Mais nous sommes constamment à l’affût d’opportunités de recrutement, que ce soit pour remplacer un départ ou conquérir une position dominante dans un créneau du marché, à l’exemple de ce que nous avons su faire récemment à Lille.

… ou encore un immeuble de 5 000 m2 de bureaux loués à Lyon Gerland : autant d’exemples de nouveaux mandats de vente confiés à JLL.

Quels nouveaux mandats ?

Dans un marché chahuté, notre rôle consiste, avant tout, à convaincre de potentiels vendeurs de la liquidité de leurs actifs grâce à notre connaissance fine du marché de l’investissement. Dans cette optique, nous nous sommes vu confier quelques mandats emblématiques tels « Les Ateliers Gaîté », une opération de bureaux développée par URW dans le quartier Montparnasse ; le « 6 Hanovre », une opération « value add » vendue par la SFL ou encore « Le Delano », un « trophy asset » parisien, avenue Franklin Roosevelt.
En matière de commerce, nous travaillons, entre autres, sur un « retail park » de dernière génération baptisé « Eden », loué à 100 % à Servon (77), dans le sud francilien.
S’agissant de la logistique, nous travaillons notamment sur le portefeuille « Trilogie », composé de trois développements spéculatifs répartis dans trois localisations à Orléans (45), Reims (51) et Chalon-sur-Saône ( 71).
A propos des régions, nous sommes mandatés, par exemple, à Lyon Gerland (69), pour la vente par Amundi d’un immeuble de 5 000 m2 de bureaux entièrement loués ; à Marseille (13), sur un clé en main de 16 000 m2 loué à un grand utilisateur français ou encore à Lille (59), sur un immeuble loué, puis à restructurer en plein centre-ville.
Par ailleurs, notre coopération avec les grands corporates français se poursuit. Ainsi, Renault nous a confié un mandat exclusif de vente d’un terrain de 53 hectares dans l’arrière port du Havre (76), à destination logistique. Un autre mandat exclusif, qui nous a été confié par un leader pharmaceutique français, porte sur un terrain de 16 hectares à Chilly-Mazarin (91), à destination de « life science » et d’activités.

Quel(s) conseil(s) à un investisseur ?

Dans cette phase de « price discovery » entre vendeurs et acheteurs, le terrain d’atterrissage n’est pas toujours facile à déterminer. Nous conseillons, néanmoins, aux acheteurs intéressés par l’investissement immobilier de continuer à faire des offres et aux vendeurs, à adopter, dans la mesure du possible, une position pragmatique lorsqu’ils ont face à eux un investisseur sérieux et financé !

Stephan von Barczy (JLL) : « le marché français continuera à bénéficier d’un avantage compétitif »…