Dans un marché difficile, quels ont été vos plus grands défis depuis le début de l’année ?

Il convient d’évoquer, avant tout, l’équipe, évidemment la ressource la plus précieuse au sein d’une société de « brokerage » et de conseil comme JLL. Suite à plusieurs départs de collaborateurs depuis le début de l’année, soit vers d’autres conseils, soit pour changer de carrière, nous avons dû renouveler environ 25 à 30 % de l’équipe. Parmi les nouvelles recrues, citons Fréderic Godard, notre nouveau « head of Paris office investment », dont l’expérience en « office leasing » et son réseau de clients nous ont déjà permis de gagner quelques beaux mandats… Puis Rory Sheard, le nouveau « head of international investors », qui connaît bien JLL pour y avoir travaillé entre 2014 et 2015. Et Jennifer Darmon est venue renforcer notre équipe résidentielle, dirigée par Florence Semelin. Si nous nous sommes toujours félicité de la longévité des collaborateurs au sein de l’équipe, elle présentait aussi le risque d’un certain manque de sang neuf et de remise en question, essentielle pour être en adéquation avec les nouvelles exigences et manières de travailler de nos clients. Nous avons actuellement une demie douzaine d’autres discussions en cours et sommes confiants quant au bouclage de notre programme de recrutements d’ici la fin de l’année. Pour « attaquer » 2025 avec la nouvelle « dream team JLL Capital Markets 2025-2030 ». Nos clients auront en face d’eux une équipe fortement renouvelée, mais avec le même état d’esprit d’excellence, de travail d’équipe et d’enthousiasme et passion pour leur métier. Ainsi, tout aura changé pour que rien ne change…

• Quels enseignements tirez-vous du marché de l’investissement en immobilier d’entreprise tel qu’il se présente depuis le début de l’année ?

Le marché français de l’investissement reste caractérisé par des volumes historiquement faibles, un peu plus de 4 milliards d’euros au 30 juin dernier (hors résidentiel), peu de grandes transactions et une part de marché en nette baisse pour les bureaux, en lien avec le déploiement du travail hybride. Par ailleurs, l’anticipation de capex et des impacts des critères environnementaux sur les cash-flows et la valeur des actifs a freiné l’appétit pour cette classe d’actifs. Les bureaux n’ont, ainsi, cumulé qu’1,8 milliard d’euros au 1er semestre 2024, soit 73 % de moins que leur moyenne décennale.

Les commerces affichent, quant à eux, une performance inférieure de 54 % à leur moyenne décennale, avec moins d’un milliard d’euros investi.

En revanche, avec près d’1,7 milliard d’euros d’investissements au 1er semestre, la logistique et les locaux d’activités s’affichent à contre-courant de la tendance générale avec un résultat en hausse de 26 % sur un an et supérieur de 10 % à la moyenne décennale. Et ce, grâce à quatre transactions de plus de 100 millions d’euros, dont notamment le portefeuille « Montclair » (9 entrepôts totalisant 360 000 m² environ) intermédié par JLL : le plus gros portefeuille français signé depuis 2020, cédé par Blackstone à Ares Management pour un montant supérieur à 300 millions d’euros.

Le « 23 Taitbout », un immeuble mixte bureaux et commerces…

• Comment voyez-vous évoluer ce marché d’ici la fin de l’année et, surtout, pensez-vous que la situation politique en France puisse influer sur l’évolution de ce marché ?

Alors que l’année 2024 était annoncée comme celle du début de la normalisation monétaire et d’un retour progressif vers la moyenne historique des volumes investis, les soubresauts affectant la dette française et les incertitudes liées au futur gouvernement ont rajouté des facteurs d’incertitude dont le marché se serait bien passé. Si les investisseurs internationaux conservent une vision de long terme, et très positive, de l’Europe et de la France, à l’instar de Blackstone ou encore de Goldman Sachs qui ont réalisé deux transactions significatives avec notre aide entre juin et août derniers, les investisseurs privés, très actifs depuis 2022, ont été plus en retrait.

Nous anticipons une consolidation des volumes au second semestre, qui permettrait d’approcher le seuil des 10 milliards d’euros investis en immobilier commercial en France en 2024, hors résidentiel. Ce qui resterait un résultat très décevant qui, corrigé de l’inflation, serait équivalent à celui de 2009/2010.

• Dans un contexte de baisse potentielle des taux d’intérêt, quelle évolution pour les taux de rendement ?

Compte tenu de l’effet d’inertie du marché immobilier, les taux de rendement ne devraient pas connaître de compression d’ici à la fin de l’année, hormis peut-être pour certains segments très recherchés à l’exemple des résidences étudiantes. Selon nos prévisions, les taux de rendement devraient baisser légèrement en 2025. Toute future baisse résultera, forcément, d’un déséquilibre entre les capitaux disponibles, la demande des investisseurs et l’offre disponible. Or, la plupart de nos clients investisseurs, notamment « core », commencent seulement à reconstituer leur pipeline de capitaux disponibles pour l’investissement immobilier…

… le « 54 Ponthieu », un immeuble mixte bureaux et logements…

• Les actifs alternatifs (résidentiel géré, hôtellerie…) ont-ils toujours la cote auprès des investisseurs ?

Sur le marché de l’immobilier résidentiel, hormis le marché des Vefa qui rencontre encore des difficultés pour redémarrer, le segment des ventes en bloc d’actifs existants fonctionne bien, avec des opportunités à la vente et toujours un nombre assez significatif d’offres, quel que soient les volumes. Du côté de l’immobilier géré, le recul observé sur les volumes d’investissement au cours du 1er semestre est davantage lié à un manque d’opportunités qu’à un désintérêt des investisseurs. En effet, si le modèle des résidences seniors questionne, on note un fort appétit des investisseurs tant nationaux qu’internationaux pour le coliving et les résidences étudiantes, notamment pour des volumes supérieurs à 200 lits. L’hôtellerie affiche, quant à elle, une excellente performance avec 1,5 milliard d’euros investis au 1er semestre 2024, un chiffre bien supérieur à celui du 1er semestre 2023. En revanche, les investissements en immobilier de santé, impactés par l’activité des SCPI et l’absorption d’Icade Santé par Praemia (ex-Primonial), ont clairement marqué le pas ce semestre avec moins de 200 millions d’euros engagés.

• Quels résultats pour JLL dans ce marché et quels exemples de transactions récentes ?

Nous anticipons un volume transacté par nos équipes investissement d’environ 3 milliards d’euros cette année, en nette progression par rapport à 2023. Cette progression sera, d’abord, le résultat de nos interventions dans la logistique et l’industriel, mais également le residentiel et le commerce, des segments qui auront doublé (voire quintuplé pour les commerces) les volumes transactés. Parmi nos plus belles opérations, en dehors du portefeuille logistique « Montclair », figurent la double transaction (par l’équipe hôtels et l’équipe commerces) sur l’hôtel Mandarin Oriental et ses commerces ; un portefeuille d’hypermarchés Casino cédé pour plus de 100 millions d’euros ; une résidence étudiante à Ivry (94), en Vefa, pour plus de 50 millions d’euros ; un portefeuille de huit immeubles résidentiels à Paris pour le compte de Swiss Life AM ; un immeuble de bureaux en « off market » rue d’Aguesseau pour plus de 70 millions et pas moins de quatre immeubles de bureaux à Lille (59), ce qui illustre également notre position forte en régions.

… un pied d’immeuble rue de la Paroisse, à Versailles…

• Quels nouveaux mandats ?

Le travail de nos équipes a porté ses fruits et, malgré un marché où le doute n’est pas absent, nous avons la chance de pouvoir présenter de nombreux nouveaux dossiers en cette rentrée.

En matière de bureaux parisiens, nous sommes mandatés sur le « 23 Taitbout », un immeuble mixte bureaux et commerces ; le « 54 Ponthieu », un immeuble mixte bureaux et logements ; deux petits immeubles de bureaux à Neuilly, ainsi que la « pépite » de la rentrée, un immeuble bientôt vacant et à restructurer, de 6 500 m2, à proximité de la Bourse.

En commerces, nous sommes en cours de marketing pour un portefeuille de pieds d’immeubles parisiens et travaillons également sur deux ensembles de pieds d’immeubles à Versailles (78).

En logistique, nous sommes mandatés pour la vente d’un portefeuille « core + » d’actifs sur la dorsale pour plus de 100 millions d’euros ; deux parcs de petite logistique « en blanc », ainsi qu’un « sale and lease back » dans le nord de la France.

Par ailleurs, notre département « corporate et structured transactions », d’une certaine manière notre « banque d’affaires interne », vient de se voir confier la vente d’un projet de « data center » en région parisienne, ainsi que celle d’un portefeuille significatif de logements, une opération menée en coopération avec la « business line » résidentiel.

ou encore un des actifs d’un portefeuille ‘ »core + » d’immobilier logistique sur la dorsale : autant d’exemples de nouveaux mandats de vente confiés à JLL…

• Quel(s) conseil(s) à un investisseur ?

Il n’est pas certain que le marché ait complètement intégré l’impact que le futur PLU bioclimatique aura sur le marché des bureaux parisiens, notamment en ce qui concerne le futur loyer « prime ». Lorsque l’on observe que celui-ci, sans contrainte particulière de l’offre, a pris plus de 200 euros du mètre carré au cours des deux/trois dernières années, inimaginable à l’époque, nous sommes prêts à parier que le loyer « prime » en 2030 pourra atteindre les 1 500 euros du mètre. D’où un potentiel de valorisation énorme pour les quelques immeubles de bureaux parisiens neufs qui arriveront à sortir de terre…. Le succès de notre marketing récent sur un immeuble de 3 500 m2 rue Dumont Durville accrédite déjà cette thèse…

Stephan von Barczy (JLL) : « il faut que tout change pour que rien ne change»…