Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, le logement semble avoir été mis sous le tapis, oublié des politiques publiques. Comment se fait-il qu’une problématique aussi centrale dans le quotidien des Français soit à ce point boycottée ?

Il est clair qu’à l’échelle nationale, le logement n’est pas un sujet prioritaire. Les responsables politiques s’en emparent peu, surtout depuis 2017. Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, qui souhaitait une « France de propriétaires », il y a eu la défiscalisation des intérêts d’emprunt qui a pu être considérée comme la mesure emblématique de son mandat en matière de logement. Sous François Hollande, l’encadrement des loyers fut cette mesure à retenir sur le front du logement. Sans parler de la loi SRU votée en 2000, en période de cohabitation, sous l’impulsion de la gauche plurielle. Mais de façon générale, c’est un sujet qui rentre assez peu dans l’agenda politique des gouvernants, la caricature ultime étant ces derniers mois avec un turn-over incessant des ministres du Logement et une ligne directrice pour le moins illisible. Depuis 2017, ces ministres servent surtout à annoncer les économies budgétaires qui vont être réalisées sur la politique du logement.

Le Logement est pourtant à la confluence de nombreux sujets : le pouvoir d’achat, l’emploi, l’économie, la santé…

En effet et c’est cela qui rend d’autant plus incompréhensible son manque de représentativité politique, de traduction en mesures concrètes. Si l’on prend le pouvoir d’achat, l’un des thèmes les plus récurrents du débat politique et des promesses de campagne, il est directement corrélé au logement qui représente le premier poste de dépenses des Français. Idem pour l’emploi, où les difficultés de recrutement des chefs d’entreprises sont intimement liées aux difficultés des Français pour se loger. La disparition des services publiques dans un certain nombre de territoires dépend directement de l’aménagement du territoire et donc du logement… Tout cela pour dire que le logement est une problématique centrale et transversale à beaucoup de thématiques prioritaires dans la politique gouvernementale. Malheureusement, il n’est pas traité à sa juste valeur. Déjà car le logement est un sujet compliqué, très technique et surtout clivant, avec un bipartisme scindant la population en deux catégories : les propriétaires (environ 60 %) et les locataires (40 %). Prendre des mesures en faveur des uns revient souvent à léser les autres, car leurs intérêts sont opposés. Si vous optez pour l’encadrement des loyers, les propriétaires vont râler ; si vous faites des économies sur la politique du logement, ce sont les bailleurs sociaux et les locataires qui vont faire montre de leur mécontentement. L’on dit souvent que la droite est du côté des propriétaires et la gauche de celui des locataires. C’est binaire, mais cela a pu se vérifier par le passé. Le problème d’Emmanuel Macron et de son « en même temps », c’est que cette posture l’a empêché de fixer un cap et de s’y tenir. Ainsi, il nomme Olivier Klein, issu de la gauche de la gauche (PC, puis PS), ancien maire de Clichy-sous-Bois (93) et proche des organismes HLM ; puis il confie les clés à Guillaume Kasbarian, de droite et qui s’était mis les associations de défense des locataires à dos avec sa controversée loi « anti-squat ». Cet « en même temps » s’est surtout transformé en ni-ni, un immobilisme où la seule ligne à peu près directrice et cohérente aura été les économies budgétaires.

En vue des prochaines élections législatives, les trois « blocs » se sont engagés sur des mesures à appliquer en matière de logement. Là encore, la majorité présidentielle, Renaissance, assure le service minimum avec peu de propositions, si ce n’est une exonération des frais de notaire pour les primo-accédants proposée par le Premier ministre. Un peu maigre, non ?

C’est un peu chiche, en effet. Naturellement, c’est plutôt la gauche et son Nouveau Front Populaire (NFP) qui semble la plus inspirée. Et pourtant, là encore, le NFP ne propose rien de révolutionnaire, mais plutôt de revenir sur certaines décisions prises par le pouvoir depuis 2017. L’augmentation de 10 % des APL, quand on voit la déconnection qui existe aujourd’hui entre le montant des APL perçus et le niveau des loyers, est plus que raisonnable. La gauche ne renverse pas la table, la soviétisation n’est pas à l’ordre du jour. En effet, plus de 90 % des locataires du parc privé paient un loyer dont le montant est supérieur au plafond des APL. L’objectif de construction de 200 000 logements sociaux par an n’est pas non plus particulièrement disruptif ; le gouvernement s’est lui-même fixé un objectif de 125 000 logements sociaux par an. Et puis, il faut garder à l’esprit qu’au cours de ces dernières années, l’exécutif a creusé le déficit en termes de production de logements sociaux. Si la mesure des 200 000 était mise en place, nous serions davantage sur un effacement du déficit, une correction, une rectification de ce qui n’a pas été accompli, de ce qui n’a pas été bâti. Surtout que construire du logement social ne coûte pas cher à l’Etat, c’est une contre-vérité d’affirmer le contraire. Pour la généralisation du plafonnement des loyers, l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) a démontré que sa mise en place avait permis aux loyers d’augmenter moins vite qu’auparavant ; généraliser ce dispositif à l’ensemble de la France ne me paraît pas non plus révolutionnaire, mais plutôt de bon sens. Bref, pour résumer, la gauche n’est pas Robespierriste sur les questions de logement, mais propose uniquement des mesures palliant les manquements de la majorité présidentielle depuis sa prise de pouvoir.

Que pensez-vous des mesures du RN, notamment en termes de préférence nationale pour l’accès au logement social ? Au-delà de l’aspect moral dont chacun peut avoir sa libre appréciation, de telles mesures ne peuvent-elles pas être frappées d’inconstitutionnalité au nom du principe de non-discrimination ?

La loi anti-squat votée par la majorité avait déjà constitué une certaine dérive en matière de démagogie et de populisme. Le RN va plus loin, avec une mesure proprement xénophobe. Déjà, pour que la demande d’accès au parc social d’un étranger ait une chance d’aboutir, il faut que ce dernier soit en situation régulière sur le territoire national. S’il ne dispose pas d’un titre de séjour ou d’un visa de travail, il n’y aura pas accès. En sachant que le logement social est financé par le Livret A et qu’un étranger en situation régulière peut en posséder un, va-t-on également lui interdire l’accès à un compte en banque ? Va-t-on exonérer son salaire de charges et le délester d’impôts, sachant qu’ils servent aussi à financer le parc HLM ? Ce serait une mesure d’injustice sociale et de discrimination fondée sur l’origine. Quant à l’inconstitutionnalité du projet, elle ne tient que tant que la Constitution n’est pas modifiée. En cas de cohabitation, le RN ne pourra pas toucher à la loi suprême, mais en cas de victoire à la présidentielle combinée à une majorité absolue à l’Assemblée, cela serait déjà un peu plus envisageable (pour modifier la Constitution, le Président dispose de la voie référendaire ou du vote du Congrès, réunissant les deux chambres, à plus de 3/5ème des suffrages exprimés). Enfin, sur la volonté du RN de baisser la taxe foncière, je remarque que cela entre en contradiction avec leur volonté de laisser plus de latitude aux collectivités locales, car ce sont ces dernières qui perçoivent cette taxe. Déjà qu’elles déplorent la suppression de la taxe d’habitation par Emmanuel Macron et sa non-compensation, si en plus elles doivent faire sans la taxe foncière, cela va être compliqué pour elles de garder des services publics dignes de ce nom. Tout cela me semble bien plus démagogique que réaliste…

Pierre Madec : « la seule politique du logement de l’exécutif depuis 2017 se résume à deux mots, économies budgétaires »...