Quel premier bilan du marché locatif en immobilier logistique tel qu’il s’est présenté depuis le début de l’année ?

Une bonne nouvelle : le marché utilisateur a cessé de décroître. En effet, après le record de 2021 où 5 millions de mètres carrés d’immobilier logistique avaient été commercialisés, le marché s’était installé sur une pente glissante d’environ 20 % par an. Ce qui l’a amené à une demande placée de 3,2 millions de mètres carrés fin 2024. En sachant qu’avant la crise Covid, entre 2016 et 2020, la demande placée évoluait plutôt entre 4 millions et 4,2 millions de mètres carrés. Or, le volume placé au cours du 1er trimestre 2025 est équivalent à celui des trois premiers mois de l’an passé. Bien sûr, un volume inférieur à ceux d’avant le Covid qui a constitué un tournant, notamment avec l’accélération du e-commerce et, donc, le boom de l’immobilier logistique en 2021/2022. En soulignant qu’à la différence de l’Allemagne, par exemple, où le développement de l’immobilier logistique est lié notamment à la santé de l’industrie ou dans les pays nordiques, où il est lié notamment au commerce international, en France, il est intrinsèquement corrélé à la consommation des ménages. Dont le niveau est faible, plus encore en volume qu’en chiffre d’affaires. Ce qui explique la chute des volumes en immobilier logistique…

Comment voyez-vous évoluer ce marché ?

Nous considérons qu’aucun changement majeur ne devrait se produire à horizon de 15 à 18 mois. La confiance des ménages comme celle des entreprises demeurent faibles. Sans parler des conséquences de l’augmentation des taxes douanières…

Nous estimons, donc, que le marché locatif repose sur un plancher bas et que les donneurs d’ordre vont attendre une reprise de la consommation. Conséquence de ce faible niveau de demande placée : un taux de vacance qui augmente fortement. Au plus fort de l’activité, fin 2022, le taux de vacance de l’immobilier logistique évoluait aux alentours des 3 %. A l’époque, on évoquait une crise de l’offre, en particulier au sud de la Loire, en régions Auvergne-Rhône Alpes, Paca et pour des métropoles telles que Nantes, Bordeaux ou encore Toulouse. Aujourd’hui, compte tenu de la faiblesse de la demande placée et des libérations, le taux de vacance atteint 6 %. Ainsi, si 1,5 million de mètres carrés de plateformes logistiques étaient disponibles fin 2022, le volume atteint 4 millions de mètres carrés aujourd’hui.

Une situation qui vous inquiète ?

Pas vraiment. D’abord, parce que ce taux de 6 % demeure relativement faible. Ensuite, parce que cette remontée de la vacance peut représenter une opportunité pour les régions précédemment citées. Le taux est ainsi passé de 1,3 à 4 % en Auvergne-Rhône Alpes et de 0,5 à 1,5 % en Paca. Bref, rien de dramatique notamment dans un contexte où 80 % des permis de construire déposés pour de la logistique sont désormais attaqués et qu’il faut compter entre deux et dix ans pour qu’un projet logistique puisse voir le jour… Dans ce contexte, récupérer de la disponibilité représente plutôt un avantage. Et même si le stock est nettement plus important en Ile-de-France ou encore dans les Hauts-de-France, celui-ci est le plus souvent constitué de bâtiments de seconde main. Or, ce sont les ensembles neufs ou récents qui ont les faveurs des preneurs dans le cadre d’une demande nettement plus sélective. Non seulement pour des raisons techniques (les bâtiments neufs disposent de hauteurs plus importantes, sachant que la logistique ce sont, avant tout, des volumes), mais aussi en termes de RSE, les ensembles neufs étant tous certifiés et correspondant mieux aux critères des entreprises en la matière, ainsi qu’en prenant en compte le coût de l’énergie, le bilan étant nettement plus avantageux pour les bâtiments de dernière génération. Autant dire qu’il n’y a pas de risque de suroffre, mais des conséquences sur les loyers…

Quelles sont-elles ?

Entre 2020 et 2022, les valeurs locatives augmentaient d’environ 10 % par an. Aujourd’hui, compte tenu de l’augmentation du stock et sans compter les 3 millions de mètres carrés d’ensembles à construire, permis obtenus, la pression est redescendue. Le rapport demande/offre est ainsi passé de 1 à 1 entre 2020 et 2022 à 1 à 3 aujourd’hui. Et, donc, si les propriétaires avaient la possibilité d’augmenter fortement leurs loyers, c’est moins le cas aujourd’hui. C’est ainsi que depuis 12 mois, les valeurs locatives stagnent. Et, phénomène nouveau dans l’immobilier logistique, les avantages commerciaux apparaissent (pratique bien connue dans les bureaux). Dans les secteurs géographiques où les stocks sont les plus élevés, donc au nord de la Loire, si les loyers faciaux restent stables, les loyers économiques diminuent compte tenu d’avantages économiques qui peuvent être conséquents, jusqu’à atteindre un à deux mois de franchise par année d’engagement ferme. A quoi peut s’ajouter la participation des bailleurs à certains travaux, notamment de mécanisation.

Des changements côté demande ?

Nous enregistrons, depuis 9 à 12 mois, une évolution intéressante : le retour des e-commerçants, notamment américains et asiatiques qui, s’ils pesaient 10 % du marché entre 2020 et 2022, en représentent 25 % aujourd’hui. Avec une réelle accélération côté chinois depuis les annonces de Donald Trump. Ce que nous vérifions, chez CBRE, dans l’ensemble des pays européens. Nombreuses sont les sollicitations d’entreprises chinoises qui cherchent des bases en Europe. Sans doute pour écouler leurs surplus dans ce nouveau contexte de commerce international… D’autres secteurs économiques, pour leur part plus en difficulté dans leur activité, tels que l’équipement de la maison ou l’habillement, sont nettement moins présents sur le marché. Tout comme la grande distribution, quasi absente du marché depuis 18 mois. Il est vrai que les entreprises de ce dernier secteur disposent, désormais, de réseaux parfaitement organisés et qu’ils ne développent leur logistique qu’en fonction des nouvelles ouvertures de magasins, moins nombreuses aujourd’hui…

Comment se porte le marché de l’investissement ?

Il est plus florissant que le précédent. Après 7 milliards d’euros investis dans la logistique en 2021 et en 2022, le marché était redescendu à 3 milliards en 2023. Mais il est remonté à 5 milliards l’an passé. Avec un fait marquant : la logistique est devenu la première classe d’actifs en occupant 40 % du marché de l’investissement en immobilier d’entreprise ! Et l’activité, depuis le début de l’année s’avère stable. Donc, une évolution encourageante avec, en ce moment sur le marché, un volume d’actifs permettant de réitérer la performance de l’année dernière. Si, historiquement, l’investissement dans la logistique était un marché de spécialistes, depuis la crise du Covid, cette classe d’actifs bénéficie d’un intérêt intrinsèque, celui d’un immobilier d’avenir. Par ailleurs, cette classe bénéficie des hésitations des investisseurs face au bureau et de leur volonté de diversification des patrimoines. Les perspectives s’annoncent plutôt positives. Ainsi, le taux de rendement « prime », installé depuis 9 mois à 4,90 %, devrait redescendre dans les mois qui viennent, sans doute aux alentours de 4,60 %. Côté acteurs, si l’an passé, les investisseurs « core + » et « value add » occupaient le marché, nous assistons, depuis début 2025, au retour des investisseurs « core » qui animent, actuellement, le marché.

Un mot sur les locaux d’activité ?

Ici, la dégradation se poursuit. La demande placée de locaux d’activité en Ile-de-France au 1er trimestre accuse une baisse de 18 % avec 200 000 m2 environ commercialisés. Et la tendance est identique en régions. Nous constatons que les entreprises rencontrent de réelles difficultés à se projeter. Sur l’ensemble des sujets, les process de prise de décisions se sont allongés de façon conséquente. Restent les mouvements de l’ancien vers le neuf avec des schémas de rationalisation et de montée en gamme des bâtiments. Les entreprises privilégient des ensembles plus qualitatifs, mais pas forcément plus grands…

Au final, s’agissant de l’investissement dans l’industriel et la logistique, si les utilisateurs demeurent prudents et en attente d’informations encourageantes, les investisseurs montrent un véritable intérêt pour cette classe d’actifs. Car même si les taux de vacance ont augmenté, ils restent à des niveaux cohérents, sans phénomène de suroffre généralisée, même s’il ne faut pas investir n’importe où… Bref, un marché complexe, mais aux fondamentaux solides.

Quels résultats pour CBRE dans ces marchés ?

Le département industriel et logistique de CBRE a réalisé sa meilleure année en 2024 en termes de part de marché. Celle-ci s’est élevée à 42 % pour l’ensemble de l’Hexagone (hors transactions directes propriétaires). Et elle atteint même 47 % depuis le début de 2025 avec 370 000 m2 d’immobilier logistique commercialisés en France. Certes, notre organisation et nos talents nous portent. Mais les entreprises, plus sélectives dans les bâtiments visés, le sont sans doute aussi dans le choix de leur conseil…

Aujourd’hui, quelle stratégie de développement ?

Elle est double. D’abord, apporter des solutions locatives aux utilisateurs. Ainsi, nous nous efforçons de disposer de compétences fortes sur tous les sujets. Par exemple, pour les logisticiens, des compétences en « supply chain » où pour les industriels, des compétences en AMO afin de répondre aux problématiques techniques. Nous spécialisons nos équipes en fonction des branches d’activité des preneurs pour apporter les meilleures réponses et « best practices » dans chaque métier. Nous investissons également dans notre maillage en régions que nous allons encore enrichir cette année…

Parallèlement, nous développons chez CBRE, en tant que groupe mais aussi en tant que ligne de métier, des outils permettant de créer de la valeur. Nos bases de données sont mises à jour quotidiennement et nous investissons fortement dans la collecte de la data, sachant que notre rôle sera de plus en plus celui de véritable conseil et non plus seulement de commercialisateur. Et si l’immobilier reste au cœur de notre métier, cette collecte de la data va bien au-delà pour être toujours plus pertinent. Il s’agit d’un axe de développement fort chez nous. Bien sûr, nous bénéficions, pour ce faire, de notre échelle internationale, l’ensemble avec toujours le même objectif : apporter de la plus-value à nos clients.

Quelle équipe ?

La ligne de métier industrielle et logistique de CBRE France compte une centaine de professionnels. Et nous continuons à recruter là où nous estimons que nous avons besoin de nouvelles compétences…

Quel(s) conseil(s) à un utilisateur ?

C’est le bon moment pour aller discuter avec son bailleur et regarder le marché. En particulier pour les utilisateurs qui cherchent au nord de la Loire, les opportunités sont nettement plus nombreuses que les années précédentes…

Et à un investisseur ?

Les investisseurs se doivent d’être non seulement attentifs au marché, mais aussi d’être plus vigilants dans leurs politiques de rénovation des ensembles anciens afin de la remettre aux derniers standards dans un marché aux utilisateurs plus sélectifs, qui se dirigent d’abord vers les bâtiments neufs ou restructurés.

Pierre-Louis Dumont (CBRE) : l’immobilier logistique, « complexe, mais aux fondamentaux solides »…