Quel bilan général dressez-vous de cette étude ?

La baisse du nombre de mètres carrés transactés par an, en Ile-de-France, est l’un des principaux enseignements à retenir de cette étude. L’avènement du flex-office et du télétravail ont conduit les entreprises à réduire la taille de leurs surfaces ; les baisses sont surtout liées davantage aux volumes qu’au nombre de transactions réalisées. La période 2017-2019 a vu l’avènement d’un nouvel acteur assez puissant de l’immobilier d’entreprise : le coworking. Beaucoup d’immeubles de bureaux ont alors été loués par les acteurs du coworking avant d’être ensuite remis sur le marché ; à Paris, ce ne sont pas loin de 600 000 à 700 000 m2 de bureaux qui ont été pris à bail par les acteurs du coworking entre 2017 et 2019 avant d’être remis sur le marché. Les surfaces proposées prennent la forme de contrats de prestations de services avec des durées courtes, donc une rotation des utilisateurs bien plus forte que pour un bail classique 3/6/9. 150 000 à 200 000 m2 sont pris à bail auprès des « coworkeurs » chaque année, mais restent dans l’angle mort des statistiques. Ce qui fait que les transactions sont, in fine, assez proches de ce qui se faisait durant la période avant-Covid, voire légèrement supérieures. Les marchés parisien et francilien sont extrêmement résilients ; les « deals » ne sont pas à l’arrêt, malgré la baisse de la demande placée qui doit être pondérée par les changements des habitudes de travail et l’avènement du coworking.

Comment expliquez-vous que le secteur public ait été à l’origine de davantage de transactions que d’autres secteurs d’activités ?

L’Etat continue de mener une politique active de renégociations, de regroupements, de déménagements, de rationalisation des surfaces occupées par les différents ministères ; la gestion de l’immobilier de l’Etat semble être devenue une priorité gouvernementale. Certains ministères quittent Paris pour se regrouper au sein de grands campus hors de la Capitale. Les ministères doivent être exemplaires en termes de rationalisation des surfaces et de qualité d’immeubles. L’un des gros moteurs de la demande placée du secteur public aujourd’hui est la recherche d’immeubles cadrant mieux avec les objectifs ESG imposés aux entreprises.

Le secteur du luxe affiche une très bonne santé (+59 % en volume placé et +44 % en nombre de transactions). Comment l’expliquez-vous ?

Le luxe a une activité extrêmement soutenue et de très bonnes performances en termes de chiffre d’affaires et de rentabilité. Pour soutenir leur croissance, ces entreprises ont besoin de surfaces supplémentaires. C’est un processus mécanique. Le luxe surperforme et bénéficie de l’attractivité de Paris en tant que place touristique incontournable pour ce secteur, mais aussi de l’effet JO qui dynamise encore plus le marché du luxe. L’immobilier d’entreprise en bénéficie grâce à la forte activité des grands groupes du luxe à la location comme à l’acquisition.

Les « life sciences » se portent aussi très bien, avec de fortes conséquences sur l’immobilier du secteur. Quel constat pouvez-vous en faire ?

Les « life sciences », qui désignent les sciences de la vie au sens large (chimie, pharmacie, biotechnologies), bénéficient de la forte activité des grands laboratoires : Sanofi a réalisé deux prises à bail successives, l’une pour son « flagship » mondial avenue de la Grande Armée (17ème), l’autre à Neuilly-sur-Seine (92) ; Ipsen va quitter Boulogne-Billancourt (92) pour aller dans le 15ème arrondissement. Beaucoup d’acteurs, en plus d’une bonne localisation, recherchent des immeubles de qualité ; ces industries pointues se doivent de posséder un immobilier se rapprochant le plus possible de leur image. Pas question pour elles de s’installer dans un immeuble qui ne répondrait pas aux critères du décret tertiaire 2030-2040. Les « life sciences » tirent également profit d’un dynamisme et d’un développement économiques très forts, notamment dans le cadre du « Choose France » (sommet créé par le Président de la République pour inciter de grandes entreprises étrangères à venir investir en France). Aujourd’hui, toutes les grandes entreprises de ce secteur implantées en première couronne ont tout intérêt à étudier fortement le marché car les disponibilités très importantes en termes d’offres vont créer un effet d’aubaine pour elles et leur permettre de déménager au moindre coût et de gagner énormément en qualité d’immeubles…

La rationalisation des espaces est aujourd’hui une réalité, et pas uniquement pour le secteur public. Cette tendance est-elle partie pour durer ?

Déjà, la recherche de centralité constitue un moteur pour nombre d’entreprises. Nous assistons à des mouvements importants en direction de Paris ; deux grosses sociétés de la tech ont récemment et réciproquement quitté Issy-les-Moulineaux (92) et Colombes (92), donc la première couronne, pour Paris intra-muros, diminuant du même coup assez fortement leurs surfaces. Les immeubles loués, bien que plus petits, sont de très grande qualité. La recherche de centralité s’explique aussi par la volonté des entreprises de capter les meilleurs talents et de retenir ceux qu’ils ont déjà en leur sein. Pour être compétitifs face à la concurrence, il faut pouvoir proposer à ses salariés une véritable expérience utilisateurs ; l’immobilier de bureaux se réinvente en s’appropriant de plus en plus les codes de l’hôtellerie. Pour faire revenir les salariés au bureau, il faut leur proposer des services et un environnement agréable ; bref, une authentique expérience. L’aura de grandes entreprises ne suffit plus si elle est décorrélée d’un immobilier à la fois moderne et idéalement situé.

Le flex-office semble s’être imposé comme un élément incontournable. Est-il une réalité pour l’ensemble des secteurs, y compris le public, qui a une image plus rigide et stratifiée ?

L’administration public va probablement mettre un peu plus de temps que d’autres secteurs à s’y mettre, c’est indéniable ; mais même si sa mû risque d’être plus longue, elle opérera car c’est le sens de l’histoire. Même le ministère des Finances a entrepris une rénovation de ses plateaux de bureaux pour casser l’esprit couloirs interminables et bureaux cloisonnés. En revanche, certaines entreprises ayant adopté un taux de flex-office important, en plus du télétravail, peuvent aussi revenir sur certains points pour faire en sorte que les salariés se croisent tout de même. Ces entreprises peuvent décider de passer d’un taux de 0,5 à 0,7 poste de travail pour leurs équipes, par exemple, le but étant de ne pas tomber dans la caricature de ce que propose le flex office. Il faut aussi revenir aux fondamentaux : les salariés doivent pouvoir s’asseoir lorsqu’ils se rendent sur site. Le bon équilibre doit être trouvé par les entreprises, ce qui peut prendre du temps… En tout cas, elles ont pris conscience que l’immobilier de bureaux était un levier très puissant de productivité et qu’il ne fallait pas prendre le sujet à la légère.

Que pouvez-vous nous dire sur la numérisation du secteur juridique ? Cela va-t-il entraîner davantage de télétravail pour ce secteur ?

Intuitivement, je serais tenté de dire que c’est un secteur qui pourrait profiter plus que les autres du télétravail ; l’IA (intelligence artificielle) pourrait également faciliter beaucoup de tâches. Cependant, les derniers mouvements d’avocats que l’on a pu observer, s’opèrent à périmètre constant en termes de surface, donc pas de réductions ; les cabinets d’avocats restent finalement assez transitionnels dans leur approche du flex-office. Pour les grands cabinets d’affaires, le fait de pouvoir recevoir leurs clients physiquement dans de bonnes conditions reste important ; un contrat de plusieurs dizaines de millions d’euros ne se négocie pas via une visioconférence, il y a une image à conserver, un certain « luxe » qui confère du prestige à un cabinet d’avocats ou même à une étude notariale…

Olivier Taupin (Cushman & Wakefield) : "la recherche de centralité constitue un moteur pour beaucoup d'entreprises"...