Quel bilan dressez-vous du financement des professionnels de l’immobilier l’an passé ?

Pour ce qui concerne Socfim, l’activité 2023 a été relativement soutenue, identique à 2022. Même si ce montant est en net retrait sur 2021, ce sont plus de 3,2 milliards d’euros de nouveaux engagements (dont les garanties d’achèvement) qui ont été octroyés à notre clientèle en 2023.
Ce niveau reflète, en montant absolu et dans sa répartition, le contexte d’activité de l’industrie immobilière et, également, nos orientations sectorielles propres.
En termes de typologie, sans surprise, le ralentissement le plus net a été observé sur le financement des projets de promotion résidentielle, qui n’ont représenté que 51 % de ce total (contre 60 à 70 % traditionnellement chez nous) et se sont inscrits en nette baisse. Il a notamment été soutenu, en fin d’année, par de nombreuses opérations de ventes en bloc en logements intermédiaire et en résidences gérées.
Dans l’immobilier tertiaire (22 % de notre production court terme), nos interventions se sont réparties entre d’importantes opérations de développement en locaux d’activité et logistique, et quelques belles opérations de rénovation et transformation d’usage, essentiellement à Paris et dans sa proche banlieue.
Dans le domaine des financements moyen et long termes aux investisseurs, le volume d’engagements nouveaux a atteint 750 millions d’euros. Il est en forte croissance en dépit d’un marché de l’investis- sement en baisse de 50 %, mais notre pénétration de ce marché avait à peine démarré en 2022. Au-delà de ces nouveaux dossiers, l’activité des équipes a également été mobilisée dans la gestion et la surveillance des dossiers déjà engagés et des opérateurs contreparties, afin de les accompagner au mieux dans la phase de marché que nous connaissons.

On dit que les banques procèdent, si besoin est, à des opérations de refinancement, illustrant ainsi leur volonté de ne pas engager de ventes forcées. Qu’en pensez-vous ?

Les refinancements de projets seront surtout, à mon sens, nombreux en 2024 et 2025, date à laquelle viendront à échéance les importantes cohortes de financement des grandes années 2017/2019. Ils ne seront, d’ailleurs, pas nécessairement liés à des dossiers « distressed », mais au moins pour les opérateurs financièrement structurés, dans une optique de sécurisation soit des lignes existantes (allongement des maturités, substitution de typologie de prêteurs), soit pour permettre l’attente d’une meilleure fenêtre de cession pour les actifs à flux sécurisés. Pour les actifs à potentiel, l’intervention des financeurs alternatifs (fonds de dette, «private equity »…) pourrait être un facteur d’accompagnement de ces refinancements bancaires.
Dans le cas d’actifs sans réel potentiel de revalorisation ou de contreparties en extinction, je ne suis pas sûr que la solution adoptée par les prêteurs (au moins les banques) sera le refinancement comme méthode pour éviter de confronter la créance à la vérité du marché. Je suis convaincu que, dans ces cas précis, nous assisterons, en effet, à des cessions à prix très décotés intégrant la triple décote : désaffection, vacance locative et obsolescence. Ceci concernerait surtout l’immobilier tertiaire et principalement le bureau.

Comment voyez-vous évoluer cette activité de financement cette année, dans le cadre d’une stabilisation des taux d’intérêt ?

Si les taux d’intérêt se stabilisent, voire baissent légèrement en 2024, les effets positifs attendus seraient un regain d’intérêt des investisseurs qui auront une meilleure visibilité sur le «point d’entrée » de leurs acquisitions et sur la valeur de leurs actifs détenus. Il en est de même pour la capacité de financement des ménages dans la promotion résidentielle. Ceci aurait un effet positif sur la dynamique des projets et, donc, nos financements. Pour autant, un tel mouvement, s’il est positif, ne sera pas de nature à inverser les tendances de fond que sont la désaffection pour la classe d’actifs reine (le bureau) et la difficulté de produire du logement à un prix abordable. Ces évolutions demanderont plus qu’une baisse des taux d’intérêt pour retrouver une courbe de croissance élevée. Les besoins à financer ne devraient pas être nettement supérieurs à 2023 (c’est en tout cas sur cette base que nous avons fondé notre budget), mais seront, sans doute, surtout plus orientés vers les opérations de régénération urbaine (transformation et rénovation), les classes d’actifs d’immobilier d’usage, ainsi que l’accompagnement des opérateurs dans la transformation de leur modèle d’affaire.
Bien sûr, nous resterons très présents pour accompagner le programme des cessions en bloc du résidentiel.
Le temps de la croissance par l’endettement est révolu pour les opérateurs immobiliers, c’est aujourd’hui le temps de la rentabilité et de l’attention au produit (prix, usage, sobriété, acceptabilité) qui comptera. Mais pour cela il y aura besoin des banques !

Quels dossiers vous intéressent-ils en priorité ?

Toutes les natures de dossiers peuvent avoir un intérêt pour nous, à la condition qu’elles correspondent aux nouveaux paradigmes de demande, de prix et de qualité et qu’elles soient menées par des opérateurs structurés solidement pour les réaliser. Mais nos convictions nous porterons plus volontiers vers les sujets de régénération urbaine, d’immobilier d’usage (résidentiel comme d’activité économique) et, également, une attention plus soutenue vers les nouveaux territoires qui s’ouvrent avec, par exemple, les sites des futures gares du Grand Paris, mais aussi les villes moyennes près desquelles de nouvelles activités économiques pourraient s’implanter, avec le besoin de logement qui les accompagne… Pour cela, notre appartenance au Groupe BPCE et son maillage territorial unique est un atout important.

Accordez-vous une attention particulière à la RSE des projets ?

Bien entendu, à la fois parce que notre groupe a pris des engagements résolus dans ce domaine et parce que c’est une condition désormais nécessaire pour le succès d’une opération et la qualité de signature d’un opérateur. A la Socfim, chaque dossier est analysé à la fois par un outil visant à le « peser » en matière de performance environnementale avec le « Green weighting factor » développé par Natixis et par l’usage désormais systématique du questionnaire de place ESG développé par l’IFPimm.

A quelle échéance une baisse des taux d’intérêt selon vous ?

Boule de cristal ! Mais le consensus de marché table sur un début de baisse d’ici juin. Espérons que cela soit le cas.

Olivier Colonna D’istria (Socfim) : "le temps de la rentabilité et de l’attention au produit"