Quel bilan pour le marché de l’investissement en immobilier tertiaire ?

Sans surprise, le marché a enregistré une baisse de son activité : on s’attend à un volume global en investissement tertiaire en Ile-de-France d’environ 15 milliards d’euros pour l’ensemble de l’année 2020, contre plus de 22 milliards l’an dernier. Cependant, il faut rappeler que l’année 2019 avait été particulièrement excellente (record historique). Si l’on observe la moyenne des cinq dernières années, on constate que le marché tourne plutôt autour des 18-19 milliards d’euros.

Avec la crise sanitaire, les investisseurs se sont montrés bien plus prudents et n’ont pas voulu s’engager sur des volumes trop significatifs. Dans une telle situation, les acquéreurs étaient parfois en position de force pour négocier les prix. La plupart des opérations a été vendue, certaines « repricées », mais permettant toutefois de dégager des plus-values substantielles ; d’autres vendeurs ont préféré retirer leurs actifs du marché, les baisses de prix demandées étant trop importantes. On estime, ainsi, qu’environ 4 milliards d’euros d’actifs ont finalement été retirés du marché francilien cette année…

Nous constatons, également, le retour d’une prime de risque entre les différents profils ; nous retrouvons de nouveau une hiérarchisation des taux de rendement, ce que le marché avait relativement perdu l’année dernière. Le risque est, ainsi, mieux rémunéré. Le « prime » a continué à très bien s’apprécier, voire à surperformer ; le « core » a connu un « repricing » moyen de 5 % ; le « core + », de 12% et le « value add », de 20 % : le marché devient plus pragmatique !

En raison d’un taux de vacance qui reste faible sur le marché locatif, nous constatons, dans Paris, un véritable engouement pour les actifs à potentiel de réversion pour lesquels nous avons enregistré des taux de rendement inférieurs à… 2,5 %. Certains taux de rendement « prime » ont encore baissé cette année, portant Paris QCA à 2,70 %, Paris hors QCA à 2,90 % et la première couronne à 3,60 %.

Le marché s’est clairement concentré sur le « core », mais un bon nombre de « deals value add », voire spéculatifs se sont traités, en particulier dans Paris intra-muros ou en première couronne. Même si les financements ont été plus rares, plusieurs opérations ont été financées par des fonds de dettes anglo-saxons ou français, permettant aux acquéreurs de bénéficier d’un levier très confortable, mais en contrepartie d’un taux de marge « généreux ».

Les investisseurs sont-ils inquiets par rapport aux nouvelles évolutions dans l’utilisation des bureaux ?

Le télétravail généralisé s’est imposée à tous depuis le début de la crise sanitaire et a contraint les entreprises à s’adapter. Il y a fort à parier qu’après cette crise sanitaire, le télétravail sera durablement adopté ; cependant, le télétravail à 100 % n’est pas crédible : les réflexions en cours tendent vers un à deux jours de télétravail par semaine. La présence au bureau restera donc nécessaire.

En revanche, d’autres changements sont à prévoir. Une nouvelle vision du bureau et des espaces de travail est en passe de se développer : plus de flexibilité et d’agilité, une dé densification des espaces, des lieux de collaboration plus nombreux et de meilleure qualité. Le bureau de demain devra réussir à trouver un équilibre entre des espaces de travail collaboratifs et des espaces individuels permettant de s’isoler.

Face à ces problématiques qui s’intensifient, les investisseurs sont plus prudents dans leurs choix d’investissement. Ils sont de plus en plus attentifs aux caractéristiques des immeubles et à leur modularité pour pouvoir les adapter aux nouveaux modes de travail des collaborateurs. Même si la perception du bureau et de ses usages évolue, le bureau reste la classe d’actif traditionnelle en France, bien connue par les investisseurs, apportant des revenus sûrs à long terme. Donc même si certains doutes peuvent apparaître, les investisseurs restent rassurés et confiants sur cette classe d’actif.

Comment les investisseurs étrangers appréhendent-ils le marché français ?

Les investisseurs internationaux ont été moins présents cette année. On remarque notamment l’absence totale des investisseurs asiatiques qui avaient été très dynamiques en 2019, impactés par les restrictions de déplacement et qui se sont, donc, recentrés sur leurs marchés domestiques.

La tour Cristal (15ème), acquise par Tishman…

En revanche, les investisseurs allemands ou anglo-saxons ont accéléré leurs acquisitions : les premiers emmenés par Deka qui réalise, à lui seul, près de 600 millions d’euros d’acquisitions d’actifs « core » parisiens ; DWS qui achète l’immeuble « Toko », rue d’Héliopolis (17^ème) ou encore Allianz pour l’acquisition de « City Lights 1 et 3 », à Boulogne-Billancourt (92) ; les seconds sur des profils « value add », tels que Tishman pour les acquisitions d’« Espace Lumière », à Boulogne, « Carré Saint Germain » (6^ème) ou la tour Cristal (15^ème), ou plus « core » tel que LIM pour l’acquisition des immeubles « Bergère/Sainte Cécile » (9^ème).

… la façade Bergère, de l’ensemble « Bergère/Sainte Cécile », acquis par LIM…

On peut également citer quelques Vefa « en blanc », réalisées par des investisseurs anglo-saxons, dont deux opérations de plus 40 000 m² : l’acquisition par Ivanhoé Cambridge de l’opération « Joia », à Val-de-Fontenay (94) et par King Street/Etoile Properties de l’opération « Aqueduc », à Gentilly (94).

Globalement, comment voyez-vous évoluer ce marché l’an prochain ?

La grande nouveauté cette année et qui se vérifiera en 2021 concerne une plus forte hiérarchisation des valeurs. Les actifs « prime » font toujours l’objet d’un très fort appétit de la part des investisseurs, engendrant ainsi un maintien, voire de nouvelles hausses des valeurs « prime ». En revanche, le moindre défaut (localisation, état locatif, caractéristiques de l’actif) provoque un désintérêt, une baisse de prix, voire une illiquidité, ce qui entraîne des difficultés pour conclure certains deals « value add »/« core + ». Aujourd’hui, le marché a réintégré une réelle prime de risque qui s’était fortement réduite en 2019.

Le marché locatif s’est contracté, les modes de travail et l’occupation des immeubles évoluent, les conditions de financement se sont durcies : cette situation a contribué, pour la majorité des investisseurs, à se concentrer sur des actifs « safe even » et même « safe ever ». Les investisseurs se concentrent sur des secteurs établis, Paris en première intention, le QCA bien sûr, mais aussi hors QCA, secteur qui offre un potentiel de réversion, ainsi que des secteurs de la première couronne.

Enfin, on note une certaine inquiétude pour les territoires affichant des taux de vacance en augmentation ou nombre d’actifs n’ont pas trouvé d’acquéreur. Certains, localisés dans des territoires mal desservis et/ou présentant des caractéristiques inadaptées aux exigences des utilisateurs de demain devront évoluer vers d’autres usages (résidentiel, coliving, résidences gérées…).

Les investisseurs devenant plus prudents vis-à-vis des actifs de plus de 200 millions d’euros, les transactions accusent une baisse au deuxième semestre et La Défense n’a pas enregistré de grandes transactions cette année.

Nous anticipons un bon premier trimestre 2021, puisque nous comptabilisons déjà 2,7 milliards d’euros d’actifs qui se signeront…

Quels résultats pour BNP Paribas Real Estate dans ce marché ?

Nous réalisons une très bonne année dans le contexte actuel avec 4,5 milliards d’euros d’actifs cédés dans un volume attendu de l’ordre de 15 milliards d’euros en bureaux pour l’Ile-de-France. Avec la réalisation de transactions emblématiques, à l’exemple des immeubles « Bergère/Sainte-Cécile », une opération de 600 millions d’euros ; « On Seine », à Levallois-Perret (92) ; « Le Valmy », à Montreuil (93) ; la tour Cristal ; « Le Tangram », à Malakoff (92) ; le « 12 Astorg » (8^ème) ou encore une des seules Vefa « en blanc », « Le Cinetika », à Saint-Ouen (93).

…ou encore « Le Tangram », à Malakoff (92) : des exemples de transactions à l’investissement bouclées par BNP Paribas Real Estate.

Quelles nouveaux mandats ?

Actuellement, la plupart des investisseurs attendent les résultats des valeurs d’expertises pour déterminer les plans d’arbitrages. Par ailleurs, ils réfléchissent aussi à la typologie d’immeubles et de profils de risque qu’ils arbitreront, eu égard aux actifs qui n’ont pas été vendus.

Cependant, nous avons un portefeuille de mandats de vente de l’ordre de 800 millions d’euros d’actifs pour lesquels nous lanceront les « marketings » début janvier, en précisant que nous lancions le double de ce volume l’année dernière…

Quel objectif en 2021 ?

Il vise à mieux accompagner les acquéreurs et les vendeurs potentiels dans la lecture d’un marché plus « crispé » et de leurs « offrir » plus de conseils tant à l’acquisition que pour la détermination d’arbitrages potentiels…

A ce propos, quel(s) conseil(s) à un investisseur ?

Il convient de faire valoir qu’il y a beaucoup de liquidités disponibles sur le marché ; les taux financiers vont rester durablement bas et le rapport loyer/capital va demeurer attractif pour l’Ile-de-France, en général et Paris, en particulier ; le « spread » est toujours très positif.

Le retour d’une prime de risque permet de mieux rémunérer les opérations, les taux « prime » sont soit stables, soit continuent de baisser, ce qui permet d’envisager des taux de sorties agressifs dans les « business plans » et de créer des plus-values.

Pour les vendeurs, certes, des opérations ont été renégociées, mais ont généré des plus-values car les prix ont été calculés, rappelons-le, sur des références 2019 très élevées.

En bref, le marché de l’investissement en 2020 a plutôt bien réagit, même si certains actifs n’ont pas été cédé ; il a connu une réelle dynamique ; les prix se sont ajustés et nous n’avons pas connu la crispation entre vendeurs et acquéreurs que nous avions vécu lors des précédentes crises…

Olivier Ambrosiali (BNP Paribas Real Estate Transaction France) : « le marché devient plus pragmatique ! »…