Quel rapide bilan du marché de l’investissement en immobilier tel qu’il s’est présenté l’an passé ?

Au niveau européen, toutes classes d’actifs confondues, le marché a baissé de 370 milliards d’euros investis en 2021 à 305 milliards en 2022, soit -18 %. La France a bien résisté puisque le niveau d’inves- tissement global a été quasi identique à celui de l’année 2021, soit un peu plus de 34 milliards d’euros. En revanche, deux périodes sont à distinguer en 2022: jusqu’en septembre, les volumes investis étaient supérieurs d’environ 25 % à ceux en septembre 2021, tirés notamment par quelques transactions de grandes tailles, ainsi que par l’inertie et le temps long de l’immobilier. Ensuite, une fin d’été qui a été le réel point de bascule dans le nouveau monde financier avec, comme catalyseur, la hausse tangible des coûts de financement obligeant la prise en compte de nouvelles contraintes financières et, en conséquence, un brusque ralentissement des transactions et un « grippage » du marché toutes classes d’actifs confondues. Le marché français a, par ailleurs, vu la structuration de ses volumes investis par types d’immobilier se rapprocher encore des ratios européens marqués par une toujours plus grande diversification. En France, pour mémoire, le ratio de bureaux se situait plutôt, historiquement, entre 60 et 65 % de l’ensemble des investissements, toutes classes d’actifs confondues ; en 2022, la proportion du bureau dans l’Hexagone est largement passée sous la barre des 50 %. Ce sont donc la logistique, le commerce, le rési- dentiel et l’hôtellerie qui ont « sauvé les chiffres » 2022…

A ce propos, la logistique, le résidentiel et les classes d’actifs « alternatifs » performent-ils toujours ?

L’immobilier logistique a continué de performer avec plus de 6,5 milliards d’euros, aidé notamment par des portefeuilles nationaux ou paneuropéens ; des corrections de prix plus rapides et les fonda- mentaux de la demande locative toujours solides et encore favorables avec un potentiel d’augmentation des loyers. Toutefois, un taux de vacance en France inférieur à 4 % (l’offre étant très contrainte) et une conjoncture économique « chancelante » commencent à tempérer la pression locative et ses volumes transactés…

Concernant les commerces, avec 5,5 milliards d’euros investis, il y a eu surperformance sur tous les types de commerce. Un marché aidé par un retour des consommateurs et des transactions de taille importante. Une évolution qui s’explique, également, par un rattrapage technique et des taux de rendement qui avaient déjà décompressés bien avant la pandémie (prise en compte de la consom- mation omnicanal) et suite à cette pandémie…

En résidentiel, le volume global investi est resté très favorable, mais n’est pas si extraordinaire au regard de l’appétence du marché. En 2022, le volume de 5,6 milliards d’euros placés est supérieur aux moyennes historiques, mais, en fait, presque la moitié de ces investissements résulte du portefeuille CDC Habitat cédé à la CNP. Du coup, le marché s’avère beaucoup moins fluide qu’il n’y paraît, ralenti par un manque criant d’offres (y compris en matière de résidences services gérées) et des corrections et interrogations de prix qui « grippent » les transactions.

En hôtellerie, après deux années où le volume investi a été bien inférieur à la moyenne décennale, avec quelque 3,5 milliards d’euros placés en 2022, le marché de l’hôtellerie a surperformé, boosté notamment par un rattrapage technique ; un retour des touristes post-Covid (et américains), malgré l’absence des Asiatiques ; des niveaux de rendement plus élevés que ceux d’autres supports, permettant ainsi de servir un peu d’amortisseur à l’augmentation du coût de l’argent ; une très forte attractivité des campings qui ont représenté quasiment un tiers des investissements et, enfin, de très belles perspectives à court terme en France avec la Coupe du monde de rugby et les Jeux Olympiques de 2024…

S’agissant du bureau, quelle(s) évolution(s) dans la demande des investisseurs ?

Il est certain que nous assistons, actuellement, à un relatif « office bashing » et l’on peut s’interroger pour savoir si cette chute de l’intérêt pour cette classe d’actifs depuis 2020 n’est pas exagérée comparativement aux besoins actuels et à venir des entreprises. A l’inverse de la demande locative, l’investissement en bureaux ne s’est pas encore remis de la pandémie, des nouvelles méthodes de travail et des attentes des occupants. Pourtant, le marché hexagonal « souffre » moins du télétravail qu’en Grande-Bretagne ou encore qu’aux Etats- Unis. Néanmoins, nous avons enregistré une très bonne résilience du marché des bureaux en régions au cours des trois dernières années, qui s’est traduit par un volume investi en 2022 de 3,5 milliards d’euros, tiré par des taux de rendement plus favo- rables qu’à Paris ; de gros volumes unitaires qui ont gonflé les résultats et un taux de vacance moyen extrêmement bas, rassurant, de quasi 4 %.

La conséquence est un marché du bureau en général devenu beaucoup plus sélectif et étroit, mais il convient de raison garder car le bureau, avec quelque 14 milliards d’euros encore investis en 2022, est loin d’être et de devenir un marché de niche…

Plus généralement, comment voyez-vous évoluer ce marché cette année et quelle perspective pour les taux de rendement en ces temps d’inflation ?

Le thème des taux de rendement constitue, bien sûr, un sujet lourd, important et aux paramètres actuels très volatiles, mais l’on commence à avoir une certaine idée des zones d’atterrissage possibles. Même si la BCE va vraisemblablement encore augmenter son taux directeur de 50 points de base pour atteindre 3,5 % assez rapidement, l’évolution du coût de l’argent pourrait être, au final, plus resserrée de manière à « contrôler » les risques de récession. Avec, par exemple, une estimation d’atterrissage, à terme, de l’OAT 10 ans française entre 2,5 et 3 %, et sur la base d’une prime de risque immobilière aux alentours de 150 points de base pour le bureau « prime », de nombreux acteurs s’accordent pour un atterrissage potentiel du taux « prime » bureaux parisiens aux alentours de 4 %. Parallèlement, la hiérarchie de la rémunération du risque continue de se rétablir. Pour des actifs dits « secondaires », le sujet n’est pas tant le taux que le capital disponible pour ce type d’actifs et si les fonds sont présents, c’est alors avec des décompressions de 150 à 250 points de base… Dans tous les cas, avec un swap 5 ans à 3 %, il est compliqué d’emprunter à moins de 4,5 % pour investir dans les meilleurs actifs…

Nous sommes donc, évidemment, dans un environnement de marché dit « risk adverse » qui, logiquement, devrait attirer de l’argent « core », mais qui pour se déployer doit intégrer des matelas d’amortisseurs de décotes non compatibles avec les attentes de l’ancien monde. Aussi, de manière paradoxale à l’environnement économique et financier actuel, le marché le plus fluide en ce début d’année reste celui dit « de la valeur ajoutée ». Parallèlement, il n’y a pas d’assèchement des liquidités, mais néanmoins une réduction à venir des capitaux disponibles à l’acquisition liée à la dette hyper sélective et aux primes de risque élevées ; aux arbitrages avec d’autres supports d’investissements et moins de collecte ; aux rééquilibrages de structurations de portefeuilles maintenant trop exposés pour certains à l’immobilier ; à une période d’attentisme et de correction des prix, et aux coûts et accélération de la transition énergétique.

Par ailleurs, compte tenu de la situation géopolitique du monde, des incertitudes sur la sortie de pandémie de la Chine (supply chain/inflation) et des sous- jacents d’instabilité sociale potentielle, nous anticipons une stabilisation des marchés immobiliers plus longue, sans doute moins abrupte, mais plus lente que prévue avec un millésime 2023 extrêmement chahuté et un environnement 2024 qui devrait encourager une redynamisation du marché. Les fondamentaux de l’immobilier restent globalement sains, avec l’ensemble des acteurs qui veulent bouger…

Quel(s) résultat(s) pour CBRE dans ce marché et avec quelle équipe ?

L’année 2022 a été superbe, avec la réalisation et la participation à un volume de transactions de 8 milliards d’euros, soit environ 23 % de part de marché. Dans cet environnement très bousculé et anxiogène, les équipes ont su montrer de la résilience et garder du dynamisme. Structurées par classes d’actifs et en collaboration directe avec nos activités locatives, les équipes opérationnelles de CBRE Capital Markets France sont composées d’environ soixante-dix collaborateurs commerciaux, couvrant l’hôtellerie/tourisme, le résidentiel, les résidences services gérées/ santé, le commerce, l’industriel et la logistique, ainsi que le bureau, sans compter l’équipe levée de dette et fusion-acquisition.

Tout en bénéficiant d’équipes composées d’experts dans chacune des classes d’actifs, nous restons attentifs aux évolutions des besoins du marché avec des transferts internes de compétences offrant, par ailleurs, des possibilités d’évolution aux collaborateurs. Dans tous les cas, compte tenu de l’accélération de la diversification du marché, nous sommes orientés vers toujours plus de transversalité dans le savoir et les modes opérationnelles…

Un conseil aux investisseurs ?

Nous avons tous bien conscience du défi qu’est celui d’intégrer de nouveaux modèles financiers et modes de pensées dans des « business plans » datant du monde d’avant. Les ajustements de prix en cours seront suivis par de la création de valeur qui passera par une croissance des loyers et non plus par de la compression des taux, notamment. Les réponses à ces gisements de croissance de loyers passent donc, forcément, par des approches encore plus fines, sélectives et en prise directe avec les ressorts et fondamentaux des futures croissances économiques (responsables et inclusives)…

Nicolas Verdillon (CBRE France) : « en investissement, vers un millésime 2023 extrêmement chahuté »