Pourriez-vous nous rappeler ce qu’est Real Data for Real Estate ?

C’est une société commerciale créée fin 2021 ; ses statuts stipulent qu’il s’agit d’une société à mission. Nous avons donc un rôle commercial assorti d’objectifs à atteindre qui relèvent de l’intérêt général. Notre but est de faire connaître et de multiplier l’usage des données et des solutions digitales fournies par des prestataires en lien avec les métiers de l’immobilier, de la construction et de l’urbanisme ; nous en avons repéré et inventorié, à date, 450. Ces métiers vont du promoteur au bailleur social, en passant par la collectivité, l’aménageur public, le fournisseur de matériaux, l’entreprise de BTP, l’expert immobilier, l’agent, l’administrateur, le notaire, l’avocat… Aujourd’hui, les prestataires travaillent encore beaucoup trop en silos, sur un nombre limité de métiers, alors même que leurs données pourraient concerner et faire se croiser plusieurs métiers différents. Par exemple, nous avons d’excellents fournisseurs de data qui documentent la consommation énergétique des bâtiments et qui travaillent presque exclusivement pour des énergéticiens et les bailleurs qui détiennent ces bâtiments. La data collectée pourrait pourtant être utilisée par la collectivité où se trouvent les bâtiments, mais aussi par l’aménageur, le promoteur… Le partage des données, de la data, est encore trop faible, trop siloté, trop circonscrit à un nombre réduit de métiers. Chacun œuvre dans son coin, dans son domaine de prédilection, sans partager des informations qui pourraient être utiles à davantage d’acteurs. Ce constat effectué en 2021 est toujours vrai aujourd’hui. L’enjeu d’une société à mission est de faire en sorte que chez les utilisateurs, au-delà des solutions métiers, une professionnalisation s’opère progressivement pour constituer leur propre réseau de données.

Vous appelez donc à un croisement des datas, des différentes données afin qu’un partage s’opère pour optimiser les choix stratégiques de chaque entreprise ?

Les solutions des entreprises ont besoin d’être augmentées en termes de données d’expériences pour apporter de nouveaux services. Les trois classes d’activités principales (bureau, logement, immobilier commercial), qui peuvent se transformer et s’hybrider, doivent pouvoir partager leurs données mutuelles, d’autant plus dans un contexte de mixité croissante. Par exemple, nous savons que s’agissant des bureaux franciliens, il y a 5 millions de mètres carrés (sur 55 millions) qui sont en « questionnement » (8 % du parc), et qui pourraient être amenés à changer rapidement de destination. A cette aune, le croisement des données se justifie encore plus. Pour les profanes, un travail d’éclaircissement sur les valeurs immobilières s’impose ; si l’institutionnel est plus rodé, ce n’est pas le cas de tous les acteurs. La valeur financière s’accompagne aujourd’hui de la valeur énergétique, des données de gestion, techniques, « bâtimentaires »… Toutes ces données doivent être accessibles à l’ensemble des corps de métiers. Par exemple, même si les données liées à la « smart city » sont produites à destination des collectivités, les propriétaires des bâtiments en auraient logiquement besoin ; or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Idem pour le calcul de la valeur carbone d’un actif, qui fait intervenir et se croiser un grand nombre de données distinctes pour aboutir au bon résultat.

Concrètement, quels services rend aujourd’hui Real Data for Real Estate aux professionnels de l’immobilier ?

Nous offrons une intermédiation entre le fournisseur et l’utilisateur des données. Nous avons créé et ouvert le 9 avril dernier une « marketplace », sorte de plateforme numérique, qui permet à des fournisseurs de données/solutions d’exposer dans des stands virtuels qu’on leur loue, leurs produits, c’est-à-dire des solutions SaaS (logiciel auquel on accède en ligne) ou API (interface permettant à des programmes tiers d’interagir avec des logiciels tiers). De notre côté, nous leur proposons de leur amener des visiteurs BtoB qui vont étudier leurs offres avant d’éventuellement les contacter pour établir des devis et acheter la solution adéquate. Il faut savoir que le législateur européen, via son « data governance act » de septembre 2023, ne nous permet pas d’être à la fois intermédiateur de données et producteur de celles-ci. Il faut aussi avoir à l’esprit que parmi les 450 prestataires précédemment évoqués, il n’y en a que 90 qui sont déjà très professionnalisés, très matures, aptes à coopérer avec d’autres prestataires pour que leurs données produites soient diffusées plus largement. Ces 90 ont tous une API, avec des données émanant de différentes sources qui se mettent à jour automatiquement.

De votre côté, vous avez fondé l’entreprise Adéquation il y a plus de trente ans, avant de vous en désengager récemment. Pour quelles raisons ?

J’ai contribué à créer l’entreprise Adéquation en 1992, société qui étudie les marchés résidentiels partout en France pour accompagner les acteurs du foncier, de l’aménagement et de l’immobilier à innover ; Adéquation fait aujourd’hui partie des 90 prestataires disposant d’une API dont j’ai parlé. J’ai fait le pari, fin 2021, de créer Real Data for Real Estate, qui est complètement indépendant d’Adéquation. J’ai démissionné de tous les mandats opérationnels que j’avais chez Adéquation début 2023 pour assurer pleinement et entièrement la direction de Real Data. Je ne suis plus juge et partie, il n’y pas de conflit d’intérêts entre Adéquation et Real Data, puisque je suis désormais centré à 100 % sur cette dernière. Sur les 90 prestataires, nous essayons d’en avoir 20 dans un premier temps sur notre « market place », et pourquoi pas doubler la mise avant la fin de l’année, afin d’avoir un taux de représentation de 40 sur 90, ce qui serait fabuleux ! Certains prestataires ne souhaitent pas s’ouvrir et participer à notre projet de peur de perdre leur avantage concurrentiel ; notre devoir est de les convaincre de sauter le pas en menant avec eux des discussions argumentées et en tentant de les convaincre progressivement. Cet « harponnage » fait partie de nos prérogatives en tant que société à mission, afin que prime l’intérêt général.

Laurent Escobar : "La data doit devenir accessible au plus grand nombre d'utilisateurs"