Ivanhoé Cambridge se présente, aujourd’hui, comme le « leader mondial de l’immobilier ». Que représente le groupe en matière d’immobilier au niveau mondial ?

Ivanhoé Cambridge est la filiale immobilière de la Caisse de Dépôt et Placement du Québec (CDPQ). Nos actifs immobiliers s’élèvent à environ 70 milliards de dollars canadiens à l’échelle mondiale. À travers nos filiales et nos partenariats, nous détenons une participation dans plus de 1 200 immeubles, principalement dans les secteurs résidentiels, les bureaux, la logistique et les sciences de la vie. Notre mission, alignée à celle de notre maison-mère, est de générer de la performance à long terme pour nos déposants, soit environ 6 millions de Québécois, tout en ayant un impact positif et durable sur les communautés. Notre stratégie vise à créer un portefeuille d’investissement diversifié et résilient à travers la diversification géographique et une sélection disciplinée des classes d’actifs en se concentrant sur les secteurs portés par des tendances structurelles.

Et plus particulièrement en Europe et en France ?

Nous sommes présents en Europe depuis plus de vingt ans et le siège de nos activités européennes est basé à Paris. Nous disposons aussi d’une présence à Londres et à Berlin. L’Europe représente une part importante de notre activité globale, avec 15 milliards d’euros d’actifs. Cette région est essentielle dans notre stratégie et constitue l’un des principaux axes de notre croissance et de notre diversification pour les prochaines années. Le développement de notre activité en Europe répond à un objectif de rééquilibrage de notre portefeuille à l’échelle mondiale du fait du poids historique de nos activités en Amérique du Nord.

La France, principal moteur de notre activité en Europe, est l’un de nos trois principaux marchés avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Aujourd’hui, notre stratégie consiste à accélérer notre diver- sification géographique et à renforcer nos investis- sements en Europe du Nord (Belgique, Pays-Bas), en Europe du Sud (Espagne, Italie), en Europe centrale et dans les pays scandinaves.

Quel regard portez-vous sur les marchés immobiliers en Europe en général et sur les marchés hexagonaux, en particulier ?

Nous sommes vigilants face au contexte macro- économique et aux incertitudes géopolitiques. Dans l’environnement actuel – marqué par une inflation élevée, une remontée des taux d’intérêt, des tensions géopolitiques et de fortes perturbations sur les chaînes d’approvisionnement, et l’augmentation des coûts de construction –, la discipline est cruciale pour saisir les meilleures opportunités d’investissement en France comme dans le reste de l’Europe. Dans le contexte de remontée des taux, nous constatons, d’ailleurs, des ajustements de prix sur certains actifs. De fait, nous sommes prudents sur des opérations immobilières à court terme. De même, si nos stratégies restent axées sur des opportunités de création de valeur – comme le développement, le repositionnement et la restructuration d’actifs –, nous sommes vigilants quant à la hausse des coûts de construction liée à l’inflation. Toutefois, depuis quelques mois, cette pression semble s’atténuer puisque nous observons une tendance à la baisse du coût de l’énergie et de ces coûts de construction, même s’ils restent encore à des niveaux élevés…

Par ailleurs, la hausse des taux de capitalisation peut offrir des opportunités d’acquérir des actifs existants, de qualité, à des conditions plus attractives, d’autant plus que nous avons très peu recours à de la dette pour nos opérations.

L’Europe offre toujours de belles possibilités d’investissement, surtout que nous bénéficions depuis plusieurs années d’une présence locale en Allemagne et au Royaume-Uni. La région reste l’un des marchés d’investissement les plus profonds et liquides au monde grâce à l’importance des capitaux domestiques et une grande diversité des sources de capitaux. Par ailleurs, le marché locatif est encore soutenu, avec des volumes d’offre (existante et future) limitées et, surtout, la résilience des quartiers centraux d’affaires, notamment dans le secteur des bureaux. Enfin, la diversité des marchés européens constitue un atout important : chaque pays possède des fondamentaux différents en termes de valeur, de liquidité et d’investissement, faisant de l’Europe un marché particulièrement attractif pour les capitaux nationaux et internationaux. Ce contexte offre de réelles opportunités d’investissement.

Au cours des derniers mois, Ivanhoé Cambridge a été notablement actif dans la logistique en Allemagne comme au Royaume-Uni ou encore dans le résidentiel en France, via un partenariat avec CDC Habitat, ou encore en Belgique dans le coliving. Allez-vous continuer à investir dans la logistique et le résidentiel ?

La logistique demeure l’un des axes majeurs de notre stratégie en Europe, comme dans le reste du monde. Ce secteur reste porté par des tendances structurelles fortes : l’essor du e-commerce, l’évolution des habitudes de consommation, l’urbanisation croissante et la digitalisation de l’économie. Le secteur bénéficie également d’une forte dynamique locative. En Europe, nous cherchons à créer des plateformes logistiques de premier plan axées sur les principaux « hubs » du continent et nous investissons dans des actifs de première qualité qui peuvent bénéficier d’une future création de valeur. Nous avons doublé la taille de notre portefeuille « Hub & Flow » depuis son acquisition en 2020, pour atteindre désormais plus de 700 000 m2. Initialement situé en France, ce portefeuille s’est étendu en Europe continentale avec l’acquisition en mai 2022 d’un actif de 115 000 m2 à Hambourg, en Allemagne et de deux autres actifs, toujours en Allemagne, dans le cadre de notre partenariat avec Nvelop. Notre stratégie logistique en Europe implique également deux autres plateformes : notre partenariat avec PLP au Royaume-Uni et notre collaboration avec URBZ Capital dans le cadre d’une stratégie dédiée à la logistique du dernier kilomètre à travers laquelle nous avons déployé 400 millions d’euros via une vingtaine d’opérations aux Pays-Bas, en Suède et en Allemagne. Nous aimerions étendre cette approche à la France, en fonction des oppor- tunités… Par ailleurs, nous avons déployé 750 millions d’euros dans « Mileway », dont le portefeuille couvre une grande partie de l’Europe.

Nous sommes toujours positionnés sur le segment du résidentiel et du développement de logements, avec un intérêt particulier pour les logements abordables et les logements verts. Ce marché bénéficie, lui aussi, de tendances structurelles, avec un fort intérêt des ménages de se constituer un patrimoine immobilier dans un contexte de déficit de logements en Europe. Notre récent partenariat en France avec CDC Habitat, doté d’une capacité d’investissement de 500 millions d’euros, démontre notre volonté de nous développer dans ce secteur. Nous disposons déjà d’un important portefeuille de logements résidentiels au Royaume- Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Dans ce secteur, nous ciblons aussi des classes d’actifs plus alternatives comme le coliving, par exemple, à l’image de notre récent investissement dans la plateforme Cohabs, une société dont l’activité principale se situe en Europe et avec une volonté de se développer aux Etats-Unis, spécialisée dans le coliving et dont nous sommes le principal investisseur institutionnel. Nous pensons que le secteur du coliving est extrêmement attractif en raison des évolutions démographiques actuelles, notamment l’urbanisation continue et la mobilité croissante des jeunes professionnels. Nous considérons qu’il s’agit d’un marché en pleine croissance, avec un déséquilibre important entre l’offre et la demande. Le marché du coliving devrait connaître une croissance annuelle d’environ 15 % d’ici 2026. A l’avenir, nous allons rechercher d’autres opportunités d’investissement dans ce secteur en Europe…

Plus généralement, quelle stratégie d’investissement en Europe et, plus spécifiquement, en France ?

Notre priorité, avant d’investir, est d’assurer la préservation de notre patrimoine et de générer une surperformance. Nous cherchons à renforcer la résilience de notre portefeuille avec des actifs qui s’inscrivent dans la durée et préparent les rendements futurs. Dans la période actuelle, nous nous devons d’être encore plus attentifs aux risques et d’être extrêmement clairvoyants pour garder le cap sur les tendances à long terme.

Il est, plus que jamais, nécessaire d’avoir une gestion très dynamique de notre portefeuille existant et de nos projets de développement. La gestion d’actifs va donc jouer un rôle majeur dans les années à venir, en termes de gestion des développements, de repositionnement ou de rénovation des propriétés existantes et, enfin, de commercialisation. Nous nous devons également de mettre en place une stratégie dynamique de recyclage du capital pour maximiser la performance et générer des rende- ments supérieurs. Il est crucial d’être le plus proactif possible, afin d’anticiper les tendances structurelles et les mouvements de marché.

En parallèle, nous développons davantage cette stratégie axée sur la prise de participation dans des plateformes opérationnelles. L’industrie immo- bilière devient elle-même de plus en plus opérationnelle. Pour investir dans les secteurs porteurs et les classes d’actifs alternatives, il nous faut investir dans des plateformes opérationnelles auxquelles sont adossés des actifs et des projets de développement. De telles prises de participations nous offrent l’accès à un savoir-faire, une expertise et à un management avec lequel nous pouvons dialoguer pour orienter leur stratégie. L’avantage d’une telle approche nous permet d’être impliqué dans l’ensemble de la chaîne de création de valeur, ce qui nous permet d’optimiser notre performance. De même, nous avons toujours à cœur de développer des projets qui participent à la revitalisation de quartiers et à la régénération urbaine. Cette démarche implique de répondre aux besoins des utilisateurs et des occupants de nos propriétés. Pour cette raison, nous adoptons des stratégies « develop-to-core » qui nous permettent de nous engager dans des opérations et des investissements afin de créer des produits innovants, de grande qualité et adaptés aux occupants.

Enfin, nous avons la volonté de renforcer notre exposition aux classes d’actifs alternatives, qu’il s’agisse des sciences de la vie, du coliving, des résidences étudiantes, des data centers, du self- storage ou encore des studios de cinéma ou de tournage audiovisuel. Ces classes d’actifs constituent une source de diversification importante pour renforcer la résilience de notre portefeuille et générer une performance supérieure. Nous sommes convaincus que ces secteurs vont atteindre une taille critique dans les années à venir. Dans ces secteurs, il est nécessaire d’investir de manière différente, à savoir à travers des prises de participations dans des partenariats ou des sociétés opérationnelles amenées à se développer.

Quels sont, selon vous, les points forts des marchés hexagonaux par rapport à leurs concurrents européens ?

Le marché français de l’immobilier bénéficie d’une plus grande centralisation. L’activité est, en effet, principalement concentrée sur Paris et la région parisienne. Cette situation évite une certaine dispersion dans les investissements et permet, surtout, d’avoir une gestion d’actifs plus optimale et plus efficace. Par ailleurs, au cours des dernières années, le marché français a démontré une plus grande résilience par rapport à ses concurrents européens. Cette résilience se reflète d’ailleurs dans l’économie française qui, jusqu’à maintenant, semble mieux résister au contexte macroéconomique et géopolitique que certains pays voisins, tels que l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui souffrent davantage.

Comment voyez-vous évoluer les marchés de l’immobilier d’entreprise ?

Dans le secteur des bureaux, nous croyons fortement aux projets de restructuration car nous pensons qu’il y aura une prime pour ce type de projets. Notre ambition est de nous inscrire dans cette dynamique, de rendre le parc immobilier existant plus vertueux. La restructuration des actifs participe à la transition énergétique car nous sommes convaincus que décarbonation et performance financière vont de pair. Nous travaillons sur une stratégie « brown- to-green » qui devrait nous permettre de créer de la valeur en bénéficiant de primes vertes à moyen terme et en évitant les décotes brunes (ou « brown discount ») à long terme. Nous ne voulons pas seulement décarboner nos investissements : nous voulons surtout investir dans la décarbonation. Nous devons revoir l’évaluation des actifs pour prendre en compte le facteur carbone. La majorité du parc immobilier à travers le monde est « brown » et nous voulons donc investir dans ces actifs pour les moderniser et leur donner une seconde vie grâce à cette stratégie « brown-to-green ». Cette approche renforcera la résilience de notre porte- feuille tout en attirant et en fidélisant les locataires à la recherche de biens à faible émission de carbone. Dans le segment des bureaux, nous nous intéressons aussi aux projets mixtes – combinant commerce, bureaux et logements – et au domaine des sciences de la vie. Au niveau mondial, nous avons déjà une exposition de 2 milliards d’euros dans les sciences de la vie, ce qui fait de nous l’un des plus grands investisseurs dans cette classe d’actifs. Nous avons commencé aux Etats-Unis – et nous avons un projet majeur à Boston – et nous avons continué à investir dans cette classe d’actifs, notamment en Inde. En Europe, nous avons investi dans la plateforme Kadans aux Pays-Bas.

De nouvelles initiatives en matière de RSE ?

La prise en compte des facteurs ESG reste, plus que jamais, un sujet majeur pour l’ensemble de notre industrie. Les enjeux ESG constituent, d’ailleurs, une priorité stratégique d’Ivanhoé Cambridge et font partie intégrante de notre vision et de notre activité. Preuve de notre engagement, nous avons dévoilé, en avril 2021, un plan ambitieux dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone opérationnelle pour l’ensemble de notre portefeuille international d’ici 2040. Au-delà de l’enjeu environnemental, nous souhaitons également avoir un impact significatif et durable sur les populations où sont situées nos propriétés afin d’améliorer la vie des occupants. Cet objectif passe à la fois par la mise en place de services et de programmes de bien-être, et le développement d’une offre de logements abordables.

Au-delà de la performance financière, nous sommes de plus en plus soucieux de l’impact environnemental et social/sociétal de nos investissements. Nous sommes convaincus que performance financière et performance ESG vont de pair. Il est donc impératif d’aligner la performance financière avec la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux. L’alignement de ces trois aspects est aujourd’hui primordial pour générer une performance durable. À ce titre, nous sommes convaincus que l’alignement des intérêts de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de l’immobilier est essentiel pour atteindre cet objectif. Ainsi, pour impliquer davan- tage nos gestionnaires d’actifs et de biens immobiliers, nous avons travaillé à l’inclusion de clauses financières incitatives liées à la performance ESG dans les contrats de gestion. La création de structures de « rémunération incitative verte », qui intègrent des cibles ESG aux côtés des objectifs financiers, renforce la prise en compte de nos objectifs ESG. Nous agissons également auprès de nos locataires avec la mise en place de baux verts incluant des clauses et objectifs durables.

Vous dirigez également l’Asie- Pacifique chez Ivanhoé Cambridge. Un mot sur les marchés de cette région ?

La région Asie-Pacifique constitue l’une de nos priorités pour les années à venir. Nous souhaitons accélérer notre croissance et accroître significativement notre exposition dans la région au cours des prochaines années. Fin 2022, nous avons d’ailleurs ouvert un nouveau bureau à Sydney, en Australie, afin de consolider nos relations avec nos partenaires dans ce pays où nous avons déjà réalisé plusieurs investissements importants au cours des dernières années dans les secteurs de la logistique, du résidentiel, des sciences de la vie et des immeubles à usages mixtes. L’ouverture de ce nouveau bureau témoigne de notre volonté de renforcer nos investissements dans les principaux marchés de la région, à Singapour, en Australie, en Inde et au Japon. Nous venons, d’ailleurs, d’annoncer un important partenariat en Inde avec Mapletree, visant à lancer une nouvelle plateforme d’investissement, dont la capacité s’élèvera à plus de 2,5 milliards de dollars canadiens, qui permettra de développer, d’acquérir et d’exploiter des espaces de travail destinés au secteur des technologies…

« Au-delà de la performance financière, nous sommes de plus en plus soucieux de l’impact environnemental et social/sociétal de nos investissements »…

Karim Habra (Ivanhoé Cambridge ) : « la gestion d’actifs va jouer un rôle majeur dans les années à venir »...