Quel regard portez-vous sur le marché locatif de l’immobilier logistique tel qu’il se présente depuis le début de l’année et comment s’explique son ralentissement ?

D’abord, un mot sur le contexte : entre décembre 2021 et aujourd’hui, les taux d’emprunt sont passés de presque 0 à 5 %, bref une remontée violente. Or, lorsque les taux d’intérêt augmentent, les prix de l’immobilier baissent. Mais avec une certaine inertie résultant d’un temps d’acceptation face à des prix qui avaient flambés en 2021, mais aussi du temps nécessaire au bouclage des transactions, en moyenne de six mois, aujourd’hui un peu plus… Et cette évolution touche l’ensemble des marchés immobiliers.

Par ailleurs, s’agissant plus particulièrement du secteur de l’immobilier industriel et logistique, trois marchés sont à distinguer : la logistique, l’industriel ou encore les locaux d’activités et le marché de l’investissement. Les deux premiers sont des marchés d’utilisateurs qui s’analysent à l’aune de la principale donnée statistique, la demande placée. Or, en son sein, il convient de distinguer la location des acquisitions car ces dernières sont bien plus impactées par la hausse des taux d’intérêt.

Pour ce qui concerne l’immobilier logistique, la demande placée est attendue, pour l’ensemble de l’année 2023, aux environs de 3,7 millions de mètres carrés, soit une baisse de 25 % par rapport à 2022. C’est un marché dans lequel il n’y a plus de transactions supérieures à 100 000 m2 pour l’instant ; où les deux tiers du volume sont composés de bâtiments neufs dans le cadre de clés-en-main et les deux tiers sont des locations. On peut donc dire que ce sont les clés-en-main locatifs importants qui animent ce marché. Et la demande placée s’inscrit en baisse pour plusieurs raisons. D’abord, la remontée des taux d’intérêt avec comme corollaire l’inflation qui ont freiné les décisions des utilisateurs. Ensuite, l’offre s’avère trop faible par rapport à la demande. Le taux de vacance se situe en dessous du seuil de pénurie, sous la barre des 4 %, avec des disparités régionales qui restent, cependant, notables. Par ailleurs, le marché des entrepôts neufs est quasiment à l’arrêt compte tenu de la baisse des prix du neuf. En effet, le prix de revient des entrepôts neufs dans les zones « prime » est, aujourd’hui, quasiment égal au prix de vente. Etant donné qu’il n’y a plus de marges, il n’y a plus de développements… Enfin entre en jeu la baisse de la consommation via le e-commerce, autre impact de l’inflation…

Quelles conditions pour que le marché se redresse ?

Evidemment, un retour de la croissance entraînerait une hausse de la consommation, notamment via le e-commerce et, donc, une demande d’entrepôts en augmentation. Par ailleurs, ce marché de l’immobilier logistique recèle un fort potentiel de croissance des valeurs locatives du fait de la rareté des produits. Au cours des 18 derniers mois, les valeurs locatives ont crû d’environ 15 % avec un loyer moyen aux alentours de 60 euros (HT, HC) du mètre carré. Il serait également nécessaire d’assouplir la directive Zan (Zéro artificialisation nette, ndlr) afin d’accompagner la réindustrialisation française. Rappelons qu’en moyenne, pour un mètre carré d’usine, deux mètres carrés d’entrepôts sont nécessaires. Enfin, dans un contexte de développement des énergies renouvelables, s’il y a bien un endroit où l’on peut installer des panneaux photovoltaïques, c’est sur la toiture des entrepôts. Il faut voir là, pour les propriétaires comme pour les exploitants une réelle optimisation du bâtiment. On estime que l’intégralité du parc immobilier logistique français représente 80 millions de mètres carrés. Or, la puissance de production d’électricité de 5 millions de mètres carrés de panneaux solaires est équivalente à celle d’une centrale nucléaire…

Un actif du portefeuille Olympe de six entrepôts de « classe A », représentant plus de 190 000 m2, dont la promesse de vente à AXA a été bouclée par CBRE.

Qu’en est-il des locaux d’activités ?

Pour ce qui concerne le marché de l’industriel, ou encore des locaux d’activités, et sachant que chez CBRE notre analyse porte uniquement sur le secteur francilien, nous nous attendons également à un atterrissage en baisse. Nous anticipons une demande placée autour du million de mètres carrés, soit une baisse d’environ 30 % par rapport à 2022. En soulignant que sur ce marché, la part des ventes représente 30 % des transactions. Il accuse donc, logiquement, le freinage de ce type d’opération avec comme corollaire, la frilosité des utilisateurs, principalement des PME/PMI, par rapport aux mouvements immobiliers. Le mot d’ordre est plutôt de « réduire la voilure » et de surveiller les coûts. Par ailleurs, le neuf est rare dans ce marché constitué principalement de bâtiments de seconde main. Mais il représente toujours un vrai baromètre de l’économie. En effet, même dans le cadre d’une offre contrainte, le taux de vacance, aujourd’hui aux alentours de 5 % en Ile-de-France, a augmenté par rapport à l’année dernière. Le signe d’une activité en baisse… La stabilisation de ce cycle baissier reste intimement liée à la croissance économique.

A ce propos, ici, des raisons d’espérer ?

Elles sont fortes ! Les marchés des locaux d’activités sont greffés sur les grandes agglomérations, là où la consommation des ménages est la plus active, mais où les capacités de production d’offres neuves demeurent très faibles. Du coup, la perspective de croissance des loyers est réelle. D’ailleurs, au cours des 18 derniers mois, les valeurs locatives sont passées, en moyenne dans l’industriel, de 90 à 110 euros (HT, HC) du mètre carré.

Il convient également de prendre en compte le renouvellement des produits de logistique urbaine avec le développement des entrepôts à étages. Une vingtaine de sites sont déjà en fonctionnement en Ile-de-France. Mais on considère qu’ils ne sont pas en nombre suffisant, notamment dans la perspective du redémarrage du e-commerce. Nous sommes d’ailleurs mandatés pour la commercialisation de quatre futures opérations de bâtiments à étages, soit 200 000 m2 dans Paris et en première couronne. Un pari sur la demande dans le cadre d’une vraie phase de renouvellement d’un marché…

Quelle analyse du marché de l’investissement ?

Aujourd’hui, c’est celui sur lequel se porte le plus d’attention car c’est aussi celui qui est le plus impacté par ce retournement de cycle. Nous l’analysons à l’aune de trois indicateurs clés : les volumes, les taux de rendement et les valeurs vénales. Nous anticipons des volumes divisés par deux. L’année devrait s’achever avec un volume d’investissement dans l’immobilier logistique entre 2,5 et 3 milliards d’euros, comparable à celui de… 2018. Le taux de rendement de l’immobilier logistique « prime » est passé de 3,25 % en janvier 2022 à 4,50 % aujourd’hui. Dans le cadre d’une tendance haussière et d’une probable stabilisation autour des 5 % en début d’année prochaine. Cette augmentation correspond, à loyer égal, à une perte en capital d’environ 25 à 30 %. On comprend mieux que, dans ce contexte, les vendeurs hésitent à présenter des actifs sur le marché… A l’exception de ceux qui vont y être contraints par des règles de LTV (« loan to value », ndlr), par exemple, ou ceux qui réalisent encore une plus-value car ils ont acheté aux mêmes taux de rendement il y a cinq ans et, entretemps, ont encaissé l’indexation des loyers. Ou encore les promoteurs qui arrivent à sauver leurs marges sur des développements initiés avant la crise…

Quelles raisons d’espérer côté investissement ?

Il faut d’abord que le coût de l’emprunt, véritable curseur de l’investissement, se stabilise. Mais il faut également souligner que les bons fondamentaux du marché de l’immobilier logistique, la rareté foncière, la perspective de hausse des valeurs locatives et du redressement du e-commerce en font la deuxième classe d’actifs préférée des investisseurs au niveau mondial (derrière le résidentiel). Et même si la masse des capitaux à investir dans l’immobilier d’entreprise a fondu cette année, de l’« equity » reste disponible dans un marché de l’immobilier industriel et logistique où la demande est plus forte que l’offre… Les opérations de portefeuille, qui rythment habituellement le marché, semblent, par ailleurs, confirmer leur retour après plusieurs mois d’absence…

Projet « Skycenter », à Gennevilliers (92), un ensemble de 32 000 m2 de logistique urbaine à étages, exemple de reconversion de bureaux en logistique, pour la commercialisation duquel CBRE est mandaté.

Quels résultats pour CBRE dans ces marchés ?

Nos résultats sont, bien évidemment, indexés sur les volumes de transactions en vente comme en location et sont donc moins bons que l’année précédente. Néanmoins, nous bénéficions d’excellentes équipes et sommes leaders sur le marché de l’investissement comme sur celui de l’industriel en Ile-de-France. Et nous avons mis en place une nouvelle couverture nationale en logistique qui devrait porter ses fruits l’année prochaine…

A ce propos, quels autres axes de développement ?

L’accompagnement de nos clients sur le marché des data centers qui recèle un gros potentiel en constitue un. Nous travaillons, d’ailleurs, sur quelques sujets importants en la matière. En rappelant que, chez CBRE, quelque 6 000 collaborateurs dans le monde s’occupent uniquement de ce type d’actifs.

Evidemment, le développement du photovoltaïque en représente un autre puisque CBRE a acquis l’un des plus importants fournisseurs de photovoltaïque aux Etats-Unis, la société Altus.

Quelle équipe pour couvrir ces marchés chez CBRE France ?

L’effectif regroupe, aujourd’hui, trois équipes pour servir, respectivement, les utilisateurs, les propriétaires et les investisseurs, soit 90 collaborateurs dédiés à l’immobilier industriel et logistique.

Des exemples de nouveaux mandats de commercialisation et de vente ?

Côté commercialisation, nous travaillons, en logistique, sur d’importants dossiers à l’exemple de 116 000 m2 livrés, neufs, à Amiens (80) ; de 90 000 m2 à développer à Cergy-Pontoise (95) ou encore de 220 000 m2 à proximité de Chartres (28). Autres exemples : nous disposons d’un mandat exclusif pour la commercialisation d’un bâtiment à étages en infrastructure de 76 000 m2 en cours de rénovation dans le secteur parisien de Tolbiac ou encore d’un autre pour la commercialisation d’un ensemble à étages de 32 000 m2 à Gennevilliers (92), une opération de reconversion d’un immeuble de bureaux en logistique…

Côté investissement, nous venons de boucler la promesse de vente par CBRE Investment Management à AXA du portefeuille Olympe d’un volume de 180 millions d’euros de développements en France. Nous travaillons, également, par exemple, sur un ensemble de terrains destinés à de la logistique avec PC obtenus en région parisienne. La rareté des produits est telle que nous avons obtenus, pour ce sujet, plus d’une douzaine d’offres lors d’un premier tour de marché… Nous sommes également mandatés pour la vente d’un portefeuille de parcs d’activités « en blanc » situés dans l’ensemble de l’Hexagone et travaillons même sur un portefeuille de 200 millions d’euros de bâtiments logistiques existants qui sera proposé au marché l’année prochaine… Autant d’exemples qui illustrent le fait que ce marché logistique s’inscrit, certes, en baisse en volume, mais reste dynamique…

Quel(s) conseil(s), respectivement, à un utilisateur et à un investisseur ?

Les utilisateurs doivent, avant tout, faire preuve de patience. En effet, suivant la taille des locaux recherchés et l’emplacement géographique visé, ils n’auront pas la même offre face à eux. Soit ils trouvent dans l’existant, soit ils s’orientent vers du neuf. Dans ce dernier cas, soit ils ont la chance de trouver des opérations à développer avec PC purgés et il faudra qu’ils attendent 18 mois environ, le temps de la construction, soit le PC n’est pas purgé et là, l’attente sera nettement plus longue, au moins 36 mois… Par ailleurs, les utilisateurs doivent regarder s’il n’est pas plus intéressant d’acheter car, aujourd’hui, le niveau des loyers peut être équivalent au coût de l’emprunt… Enfin, le conseil dépend de la nature de l’utilisateur selon qu’il s’agit d’un chargeur ou d’un logisticien. Ce dernier aura souvent plutôt tendance à mutualiser ses prestations à l’intérieur d’un entrepôt pour éviter d’avoir des besoins immobiliers supplémentaires.

Pour ce qui concerne les investisseurs, le conseil est intimement lié à la stratégie suivie. Un « family office » n’aura pas les mêmes attentes qu’un fonds souverain, par exemple, qu’il s’agisse de l’horizon de placement ou du niveau de retour sur investissement. Dans tous les cas, compte tenu des bons fondamentaux des marchés industriel et logistique, le moment est propice pour se mettre en position d’investir en 2024, lorsque la stabilité des taux d’intérêt sera actée. C’est ainsi, d’ailleurs, que l’on observe le retour d’investisseurs absents de ces marchés depuis plusieurs années les trouvant trop chers et qui reprennent position aujourd’hui…

François Le Levier (CBRE) : « le moment est propice pour se mettre en position d’investir en 2024 »…