Quel rapide bilan du marché locatif tertiaire francilien tel qu’il se présente depuis le début de l’année ?

Avec 1,2 million de mètres carrés commercialisés à fin septembre, le retrait (-8 %) du volume placé en Ile-de-France s’établit à un niveau inférieur à la moyenne observée post-crise sanitaire. Ce qui reflète bel et bien les incertitudes liées à notre environnement économique, politique et géopolitique. Les « timings » de décision se sont allongés au cours des derniers mois toutes surfaces confondues. Dans un contexte de « go/no go » quasi généralisé chez les grands utilisateurs, nombreux (près d’un sur deux) ont fait le choix de renégocier leurs baux plutôt que de déménager. Une évolution qui explique en grande partie le recul plus marqué de 16 % du volume observé en grandes surfaces (supérieures à 5 000 m²). Le marché des petites et moyennes surfaces (jusqu’à 5 000 m²) se montre, quant à lui, bien plus résilient avec un retrait limité à 6 % en volume. Elles surperforment même à La Défense (+20 % par rapport à 2024), contrebalançant en partie la quasi absence de grandes transactions : Nexans sur « Lightwell » d’URW (6 500 m²) réalisée par nos équipes demeure la seule transaction de ce type enregistrée depuis le début de l’année. Quant au Quartier central des affaires (QCA), il rattrape au troisième trimestre son retard et ressort à l’équilibre en volume placé grâce à huit grandes transactions, dont celle réalisée sur l’actif « prime » du « 21 Madeleine » pour plus de 20 000 m².

Le loyer « prime » de 1 250 euros (HT, HC)/m2 a, d’ailleurs, été triplement confirmé par des sociétés internationales leaders dans les domaines du conseil, de la finance et de la net-économie. Les bureaux de grande qualité bien localisés ont toujours vocation à surperformer. Inversement, Paris hors QCA affiche un recul marqué de 29 %, témoignant d’un marché parisien qui a rarement été aussi sélectif, voire élitiste.

Ensemble « Lightwell », propriété d’URW à La Défense, dans lequel Nexans a pris 6 500 m2 de bureaux, une transaction de BNP Paribas Real Estate.

Quel(s) enseignement(s) peut-on en tirer ?

Nous opérons actuellement dans un marché francilien très compartimenté et qui nécessite un fort degré d’expertise pour accompagner utilisateurs et investisseurs.

Nous avons affaire à une véritable polarisation des transactions de moyennes surfaces. Le 8ème arrondissement représente près de la moitié des deals du QCA. De même pour le 15ème qui s’arroge une transaction sur deux intervenues sur la rive gauche depuis le début de l’année. La commune de Saint-Ouen gagne, elle aussi, le match face à Saint-Denis. Enfin, La Défense amorce un second virage. Après le « ratissage » en profondeur du secteur Péri-Défense ces dernières années, La Défense attire en 2005 des sociétés parisiennes en recherche d’économies et, plus récemment, boulonnaises en quête de centralité.

A ce propos, vous évoquiez, au premier semestre, un « point d’inflexion sur la dynamique géographique », la périphérie ayant mieux tiré son épingle du jeu par rapport à Paris intra-muros. Une évolution appelée à se poursuivre ?

Le rééquilibrage géographique est désormais amorcé : un retour à la normale en quelque sorte.

Paris intra-muros, qui captait 50 % des transactions au premier trimestre 2024, voit aujourd’hui son volume reculer de 18 % sur un an en dépit d’un marché plus offreur. A l’inverse, plusieurs secteurs périphériques surperforment, « boostés » à chaque fois par un deal de plus de 20 000 m² : Neuilly-Levallois (+9 %) et la Boucle Sud (+6 %), ainsi que la Première Couronne Sud (+147 %).

Cette évolution démontre la capacité des marchés périphériques à capitaliser sur les incertitudes économiques et à profiter du regain d’intérêt des utilisateurs pour des immeubles bien localisés, performants et financièrement attractifs.

Et pourtant la périphérie ne représente, au 1er octobre, que 30 % des nouveaux programmes en construction (70 % des chantiers en cours dans Paris). Cet effet ciseaux devrait mécaniquement participer à la raréfaction de l’offre neuve de qualité en périphérie dans les prochaines années. La Défense illustre parfaitement cette tendance. Il faudra, en effet, attendre mi-2027 pour voir arriver une opération neuve de plus de 20 000 m², en l’occurrence « Nirvana » de GCI.

« Il faudra attendre mi-2027 pour voir arriver une opération neuve de plus de 20 000 m² à La Défense, en l’occurrence « Nirvana » de GCI »…

Qu’en est-il des grandes surfaces qui semblent donc marquer le pas ? Le “retour au bureau” peut-il être perçu comme un “nouveau relais de croissance” ?

Le marché des grandes surfaces est particulièrement concentré cette année avec un nombre réduit de transactions. Seulement 32 deals à fin septembre et nous en prévoyons environ 45 cette année, à comparer à 74 avant la crise sanitaire et 57 depuis.

Quant au « retour au bureau », les signes avant-coureurs sont bel et bien là. Le télétravail, qui concernait encore environ 26 % des salariés en 2023, est descendu à 22 % en 2024 et devrait poursuivre sa baisse avec la renégociation des accords triennaux en cours dans de nombreuses entreprises. Les annonces opérées par de grands groupes dans la presse concernaient en 2023 quasi exclusivement les Anglo-saxons qui avaient largement recouru au télétravail, voire parfois au 100 % « full remote ». La prise à bail des 16 000 m² de « Marché Saint-Honoré » par JP Morgan illustre parfaitement cette tendance faisant suite à l’annonce d’un retour au bureau cinq jours sur cinq. 2024 marque un tournant avec un champ désormais élargi aux sociétés françaises et européennes. Les secteurs bancaires, de l’industrie et des services ont clairement incité dernièrement à un retour progressif sur site, véritable catalyseur de futures recherches s’exprimant dès 2026. Nos équipes accompagnent actuellement plusieurs grands clients dans cette démarche susceptible de déboucher sur des mouvements d’extension ou des mouvements plus massifs sous deux ans… Il y a fort à parier que les utilisateurs ayant octroyé plus de deux jours de télétravail et fortement réduit leur empreinte immobilière figureront parmi les premiers consommateurs de mètres carrés supplémentaires…

Plus globalement, comment voyez-vous évoluer ce marché d’ici la fin de l’année ?

Traditionnellement, le second semestre est plus actif que le premier et 2025 devrait suivre cette tendance. Plusieurs opérations importantes sont actuellement en négociation et pourraient se concrétiser d’ici la fin de l’année…

Nous anticipons, désormais, un atterrissage autour de 1,65 million de mètres carrés placés sur l’ensemble de 2025, contre 1,75 million en 2024. Un volume en deçà des standards historiques, mais qui témoigne, malgré tout, d’une certaine résilience du marché. Celui-ci reste sous tension, mais certains signaux sont encourageants : la bonne tenue du « mid-market », la stabilité des loyers « prime » avec une demande soutenue pour les immeubles les plus performants et, bien entendu, le phénomène de « retour au bureau » dont l’impact est encore difficile à mesurer.

Quelles perspectives pour les valeurs locatives et les mesures d’accompagnement ?

Elles devraient être en lien avec la polarisation croissante du marché décrite précédemment.

Dans Paris QCA, les loyers « prime » atteignent, désormais, 1 250 euros (HT, HC)/m² et 50 % des transactions se signent au-delà de 900 euros (HT, HC)/m². Les utilisateurs recherchent la qualité maximale, dans une logique de « flight to quality », quitte à payer plus cher. En « mid market » tout particulièrement, les deals se concentrent à 80 % sur des immeubles disposant de grands plateaux de plus de 1 000 m² et offrant, la plupart du temps, des services, ainsi que des espaces extérieurs qualitatifs. « Capital 8″ a, ainsi, réussi à enchaîner plusieurs signatures ces derniers mois… Un véritable défi pour les investisseurs d’intégrer ce cercle fermé des actifs « prime », voire « ultra prime ».

En périphérie, les loyers demeurent très compétitifs (300 à 400 euros/m²), ce qui soutient l’activité. Ces loyers compétitifs s’accompagnent d’une percée d’espaces en « plug and play », opérés ou pas, notamment sur La Défense et la Boucle Sud, répondant aux enjeux actuels de trésorerie et de flexibilité de certains utilisateurs.

Les mesures d’accompagnement se stabilisent autour de 24 %, en moyenne, mais avec des écarts notables : bien qu’en progression, moins de 20 % dans Paris intra-muros, contre plus de 35 % à La Défense ou en Première Couronne Nord. Le marché fonctionne ainsi à deux vitesses : le « prime » se maintient à des niveaux élevés, tandis que les autres segments doivent proposer davantage d’incitations, voire se repositionner ponctuellement.

« »Capital 8 » a réussi à enchaîner plusieurs signatures ces derniers mois »…

Quels résultats pour le pôle bureaux location Ile-de-France de BNP Paribas Real Estate Advisory dans ce marché ?

Des résultats que nous qualifierions de « résilients » à l’instar du « mid market ».

Ce contexte de marché difficile nous a permis d’améliorer encore nos parts de marché : 33 % à la demande pour les surfaces entre 1 000 et 5 000 m². Sur ce cœur de marché, nous avons, depuis le début de l’année, représenté le preneur dans un deal sur trois en Ile-de-France. Quant aux grandes surfaces supérieures à 5 000 m², l’équipe grandes opérations travaille à la finalisation de huit deals à la demande d’ici la fin de l’année dans un marché qui n’en a enregistré que 32 sur les neuf premiers mois de l’année…

Ces résultats sont intimement liés à l’écosystème unique de BNP Paribas Real Estate Advisory avec des équipes transaction agiles couvrant parfaitement le territoire, des équipes conseil expérimentées adossées à un « coverage » de la banque très solide, sans oublier des équipes support de grande qualité. Cette complémentarité entre terrain et expertise data/études est un atout majeur : elle nous permet d’accompagner aussi bien les grands groupes internationaux que les acteurs locaux, avec une vision à 360° du marché. C’est cette combinaison d’expérience, de proximité et d’innovation qui fait aujourd’hui notre force.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un utilisateur en recherche de bureaux ?

Le premier conseil, c’est d’anticiper. Le marché entre dans une phase de transition : si l’offre immédiate augmente, l’offre neuve de qualité pourrait peu à peu se raréfier dès 2026, notamment hors Paris intra-muros. Les grands volumes de qualité risquent donc de devenir plus rares dans certains marchés…

Deuxième conseil : hiérarchiser ses priorités entre localisation, accessibilité, image, performance environnementale.

Enfin, il faut rester ouvert à des localisations alternatives : certaines périphéries franciliennes offrent aujourd’hui un excellent compromis entre coût, qualité et services.

Au final, planifier tôt, cibler avec précision et garder une approche agile.

Eric Siesse (BNP Paribas Real Estate Advisory France) : des « signaux encourageants » sur le marché locatif…