Quelles sont les principales actions menées par Groupama Immobilier en matière de décarbonation et de développement durable?

Citons quatre enjeux que nous considérons comme prioritaires et que nous enjoignons l’ensemble des acteurs à se saisir.
Premièrement, la biodiversité, qui est au cœur de notre ADN. Il faut partir du postulat de départ que l’immobilier a « volé », compte tenu de la construction des villes, une part importante de la biodiversité à la planète. Charge à lui de la lui restituer. La faune et la flore reculent, des espèces, animales comme végétales, se tarissent. Il faut que l’homme, dans un réflexe anthropologique salutaire, rende à la nature ce qu’il lui a subtilisé. Pour ce faire, il est nécessaire de se fixer des objectifs ambitieux et mesurables, quantifiables. C’est dans ce but qu’a été lancé le programme BIG (Biodiversity Impulsion Group), coordonné par l’Observatoire de l’Immobilier Durable, et qui fournit une boîte à outils de mesure de la biodiversité.
Deuxièmement, le réemploi. Nous avons été à l’origine, il y a un peu plus de quatre ans, du lancement du Booster du réemploi. Aujourd’hui, le réemploi s’est démocratisé, ce dont nous nous félicitons chez Groupama Immobilier. Il fallait changer d’échelle car les déchets issus de la construction représentent 42 millions de tonnes enfouis par an en France. Dans ces déchets se trouve tout un tas de carbone qui peut être réemployé à condition d’avoir levé les impossibilités techniques. Il faut que les entreprises de construction s’organisent, de même que les cureurs, pour pouvoir mieux réemployer les matériaux. Les bureaux de contrôle doivent également délivrer plus facilement des certifications sur des matériaux ayant une durée de vie résiduelle. Il faut que les assureurs s’engagent sur des bâtiments au sein desquels se trouvent des matériaux issus du réemploi.
Troisièmement, la juste technologie. La génération actuelle a été bercée par l’illusion que la technologie pouvait tout résoudre et satisfaire tous les caprices. Il faut sortir de cette vision car la planète n’est plus en mesure de fournir l’énergie et le carbone nécessaires à l’assouvissement de cette frénésie technologique. Sans parler du coût financier. Une transformation sociétale doit s’opérer afin de trouver le juste milieu, la « juste tech », au sein des bâtiments. Peut-être que décider de maintenir la température de son immeuble entre 20 et 26 degrés, exceptés 14 jours par an, ne serait pas si dramatique que cela; les utilisateurs de bureaux peuvent supporter 14 jours d’inconfort pas an, notamment lors des fortes chaleurs estivales, ce qui ferait économiser de la climatisation. Un immeuble idéal est celui disposant de la meilleure inertie possible et pouvant, ainsi, se dispenser de la climatisation. « Less is more », selon la fameuse expression. Quatrièmement, nous avons lancé cette année l’initiative « 1pact », car nous considérons qu’il doit exister un pacte entre les bailleurs et les locataires pour faire de l’immobilier vertueux. Le législateur a créé le bail vert, qui est une annexe environnementale à joindre aux baux en cours ou renouvelés, co-signé par le propriétaire et le locataire. Chez Groupama, nous considérons que cela est un peu réducteur et largement insuffisant. Nous souhaitons donc que se créent des groupes de travail entre bailleurs et locataires et que le bail vert se transforme en bail vertueux pour avoir des bâtiments plus sobres et mieux occupés.

« Nous luttons contre le parti pris d’automatiquement transformer des bureaux en logements »

Avez-vous des exemples concrets quant à la mise en œuvre des axes que vous venez d’exposer ?

Nous opérons systématiquement le réemploi pour nos opérations. Concernant la juste technologie, nous sommes en passe de concevoir un immeuble place de la Bourse en minimisant le plus possible l’ensemble des éléments techniques pour en faire un bâtiment sobre. De plus, nous avons huit immeubles pour lesquels nous avons développé un plan d’action biodiversité. Il faut aussi ajouter que nous sommes le troisième propriétaire forestier en France avec 22 400 hectares de forêts, et nous avons recruté une personne dédiée au sujet biodiversité dans les forêts pour Groupama.

Considérez-vous que la prise de conscience des acteurs de l’immobilier au sujet de la sobriété carbone et environnementale soit à la hauteur des enjeux ?

Nous nous trouvons dans un moment de fracture absolue du secteur de l’immobilier. Derrière cette crise se cache une réalité : nous avons fait trop d’immobilier commercial. Le télétravail a rebattu les cartes et nous a placé devant la réalité suivante : nous devons économiser des mètres carrés. Admettons que nous ayons 30 % de mètres carrés en trop, cela signifie qu’à l’échelle de la France, nous avons bâti 30 millions de mètres carrés de trop. Comment qualifier ces surfaces superflues ? Je les appelle « l’immobilier indésirable ». Comment différencier un immeuble désirable d’un non- désirable ? Le premier est bien localisé, à proximité des transports et dispose de caractéristiques qui font qu’il ne rencontre pas de difficultés majeures sur le sujet de la transition carbone. A l’inverse, l’immeuble non-désirable est mal situé et énergivore ; ce dernier est définitivement hors- course, cela ne sert à rien d’investir de l’argent pour le rénover, car sa localisation restera problématique.

Malgré tout, les promoteurs n’ont-ils pas intérêt à engager des travaux, y compris sur des immeubles que vous jugez non-désirables, ne serait-ce que pour étoffer leur carnet de commandes dans un contexte de crise généralisée de la promotion en France ?

Nous allons nécessairement reconstruire la ville sur la ville. Nous luttons contre le parti pris d’automatiquement transformer des bureaux en logements. On ne créé pas la ville en faisant uniquement du logement, il ne faut pas tomber dans ce piège. Ce modèle de la ville des années 1970, mono-zonée, n’est plus celui d’aujourd’hui. Le surplus d’immobilier de bureaux doit être trans- formé en quelque chose d’autre, en faisant de la vraie ville à l’échelle des quartiers. L’Etat devra peut-être intervenir en ce sens en mettant en place une fiscalité incitative. La carotte doit toujours être privilégiée par rapport au bâton. Par exemple, nous ne pensons pas que la mise en place d’une taxe sur les bureaux vacants représente une mesure incitative pour les propriétaires de ces immeubles, qui vont être tentés, avec le temps, de les démolir purement et simplement pour ne plus avoir à payer de taxes.

Que pouvez-vous dire au sujet du Sibca ? Le succès des premières éditions est-il un signe encourageant ?

Ce qui m’a marqué, à l’occasion du salon Sibca, c’est le succès qu’ont rencontré les conférences. Le « réseautage » a semblé ne pas être le seul moteur de la présence des professionnels sur le site. C’est bon signe car cela démontre un véritable intérêt pour le sujet complexe que représente le carbone. Les professionnels ont besoin d’être formés et outillés afin de mieux appréhender le sujet. Le «green- washing » a fait son temps, le moment est venu de prendre le sujet à bras le corps. Les professionnels se sont rendus au Sibca pour de la monnaie sonnante et trébuchante, pas pour du toc. D’ailleurs, nous venons d’obtenir la certification BBCA en phase exploitation pour l’un de nos immeubles, situé rue Boudreau, dans le quartier de l’Opéra (Paris 9ème). Et rappelons que Groupama reste, avant tout, un assureur. Or, le changement climatique induit un certain nombre de risques dont il faut tenir compte dans le cadre de la conception des bâtiments. Ce qui va dans le sens du bas carbone car la résilience des bâtiments et leur capacité à rester fonctionnels malgré la dégradation des conditions climatiques est un enjeu important. Nous établissons des fiches de vulnérabilité intégrant un certain nombre de contraintes climatiques pour nos actifs, comme les risques d’inondation, d’exposition à la sécheresse… De même que les risques caniculaires avec lesquels nous devons composer en réalisant des ajustements pour éviter une dépendance excessive à la climatisation. Toute cette anticipation figure dans l’ADN de Groupama.

Astrid Weill (Groupama Immobilier) : "il faut distinguer l’immobilier désirable du non-désirable"