Quel rapide portrait du marché de l’investissement en immobilier tel qu’il se présente depuis le début de l’année ?

Alors qu’à la fin du troisième trimestre, la France évolue dans un climat d’incertitude politique et économique, le marché de l’investissement en immobilier d’entreprise aborde une nouvelle phase de transition. La demande des investisseurs reste bien présente, mais la sélectivité se renforce dans un environnement marqué par des arbitrages stratégiques plus rigoureux, une prudence accrue et une géographie de marché en recomposition. Le marché de l’immobilier d’entreprise ne traverse pas une crise de confiance, mais une période de recalibrage. Les investisseurs ne se retirent pas : ils ajustent leur approche face à un contexte macroéconomique et géopolitique toujours difficile à lire. Sur les neuf premiers mois de l’année, 8,7 milliards d’euros ont été investis en France, un volume en progression de 7 % par rapport à la même période en 2024. Un chiffre en apparence solide, mais qui masque un fléchissement plus net au troisième trimestre : 2,7 milliards d’euros investis entre juillet et septembre, contre 3,2 milliards un an plus tôt. Cet essoufflement est imputable à l’allongement des processus de décision et à une visibilité politique affaiblie qui freine la concrétisation des transactions.

Les bureaux et les commerces poursuivent-ils sur leur lancée du début de l’année ?

Après un début d’année très dynamique, le marché des bureaux a connu un ralentissement au troisième trimestre, mais reste la classe d’actifs dominante avec 42 % des volumes investis sur les neuf premiers mois (3,6 milliards d’euros). La performance s’appuie sur un marché francilien très porteur, notamment dans le Quartier central des affaires (QCA) et à La Défense, où plusieurs grandes transactions ont été réalisées (à l’exemple de celles sur la tour Trinity ou le « Solstys »). La part des bureaux dans les transactions supérieures à 100 millions d’euros progresse fortement (52 %, contre 34 % en 2024) et la concentration en Ile-de-France atteint 87 %. Les investisseurs institutionnels sont revenus en force, représentant 72 % des volumes investis et les stratégies « core » et « core + » pèsent 50 % des montants engagés. Le secteur du commerce confirme, quant à lui, son regain d’activité après un printemps plus calme, atteignant 29 % des volumes investis (2,5 milliards d’euros sur neuf mois, contre 2,2 milliards d’euros en 2024). Plusieurs transactions majeures ont été réalisées, notamment l’acquisition par Ardian d’un portefeuille d’actifs parisiens pour 840 millions d’euros et celle par Pontegadea du 223, rue Saint-Honoré pour 170 millions d’euros. La dynamique reste portée par des opérations emblématiques, mais la disponibilité de grandes transactions demeure limitée. Les commerces affichent donc une reprise solide, avec des volumes en hausse et des transactions phares, mais la dynamique reste plus sélective et dépendante de quelques opérations majeures.

>> La cession du 88, rue de Rivoli, Paris 4ème, acquis par Immobilière Dassault auprès de Pimco…

Plus généralement, quelle prévision de volume global d’investissement sur l’ensemble de l’année ?

A fin septembre, 8,7 milliards d’euros ont donc déjà été investis dans le compartiment de l’immobilier d’entreprise en France. Près de 8 milliards d’euros d’actifs sont en phase d’exclusivité ou sous promesse de vente, ce qui laisse entrevoir une fin d’année potentiellement très active. Nous anticipons un atterrissage compris entre 13 et 15 milliards d’euros pour l’exercice 2025, sous réserve que les grandes opérations en cours se concrétisent. Si certains deals sont retardés par l’incertitude politique, le niveau annuel pourrait rester proche, voire dépasser celui de 2024 (12,8 milliards d’euros). Les dossiers en phase de marketing représentent plus de 6,5 milliards d’euros, assurant une continuité des transactions début 2026…

A ce propos, comment voyez-vous évoluer ce marché au cours des prochains mois ?

Les taux de rendement « prime » restent stables, soutenus par l’assouplissement monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE), mais l’accalmie demeure précaire. Les investisseurs privilégient la prudence et seuls les actifs les plus qualitatifs conservent une forte liquidité. Le cycle de correction des prix de vente des bureaux semble toucher à sa fin, avec un retour progressif de la liquidité sur les sous marchés les plus résilients. Les actifs obsolètes et les localisations périphériques restent en retrait. La part des bureaux devrait donc se consolider, portée par les transactions en cours de finalisation. De son côté, le marché des commerces présente une double dynamique : stabilité pour les empla cements premiums et attractivité renouvelée sur certains segments périphériques. Plusieurs transactions importantes pourraient animer la fin d’année, mais leur concrétisation dépendra des conditions de marché. Après un repli au troisième trimestre, la fin de l’année 2025 pourrait être marquée par la finalisation de cessions de portefeuilles logistiques significatifs, permettant de rattraper le niveau de l’an dernier si les deals aboutissent. Enfin, les actifs résidentiels, hôtellerie et santé poursuivent leur progression, représentant plus de 35 % des volumes investis dans le secteur de l’immobilier d’entreprise au sens large. Le secteur hôtelier reste dynamique, tandis que l’immobilier de santé demeure plus discret, faute d’opportunités. Le marché devrait rester actif jusqu’à la fin de l’année, avec une consolidation des bureaux et une sélectivité accrue sur les autres segments. La prudence des investisseurs face à l’incertitude politique et financière pourrait ralentir certains processus, mais le pipeline solide laisse espérer une fin d’année dynamique et une bonne continuité en 2026…

Quelles perspectives pour les rendements des diff érentes classes d’actifs ?

L’environnement monétaire évolue favorablement, sans pour autant déclencher une revalorisation immédiate du marché. L’assouplissement progressif de la politique de la BCE a permis une stabilisation fragile des taux « prime », mais les investisseurs restent concentrés sur la prime de risque relative entre immobilier et obligations souveraines. Les investisseurs ont réajusté leurs modèles de valorisation, mais restent attentifs à l’évolution des taux longs. Tant que l’OAT 10 ans restera au-dessus de 3,5 %, les scénarios de compression des taux « prime » demeureront limités.

Quels résultats pour Knight Frank dans ce marché ?

Malgré un environnement encore marqué par la prudence, nos équipes capital markets ont pu accompagner cette année plusieurs transactions emblématiques. Par exemple, en commerces, la cession du 88, rue de Rivoli, dans le 4ème arrondis- sement (5 000 m2 acquis par Immobilière Dassault auprès de Pimco pour environ 100 millions d’euros), celle du restaurant Five Guys, place des Innocents, dans le 1er (acquis par AEW auprès de La Française pour 11.4 millions d’euros) ; en bureaux, la vente d’un immeuble de plus de 22 000 m2 en Péri-Défense pour le compte d’un institutionnel français ; en logistique, nous sommes intervenus sur des portefeuilles d’envergure comme, récemment, la cession « off market » d’un entrepôt de 35 000 m2 en Moselle (acquis par le promoteur-développeur ADM, en joint-venture avec un fonds spécialisé). Notre capacité à couvrir toutes les classes d’actifs et à rester très proche de la conclusion de chaque deal nous permettent de sécuriser des mandats de qualité et de concrétiser des opérations dans un contexte toujours exigeant. Nous avons ainsi sécurisé plusieurs opérations significatives par la signature récente de promesses : trois immeubles résidentiels (à Paris et en première couronne), un ensemble immobilier d’activité en Vefa en Ile-de-France, une des ventes de fonciers les plus importantes en France pour un développement de data center ou encore trois centres commerciaux en régions…

Quelle stratégie de développement aujourd’hui ?

Notre stratégie repose sur une organisation renforcée du département capital markets, qui compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs. L’équipe s’articule désormais autour de quatre pôles d’investissement : « living & care », piloté par Chrystèle Villotte ; « offices », dirigé par Daniel Erith ; « industrial & logistics »/« data centers », co-dirigé par Kate Begg et Victor Ragueneau et « retail investment », sous la responsabilité de Benjamin Sebban. Cette structuration consolide notre capacité à accompagner nos clients et à intervenir sur l’ensemble des classes d’actifs stratégiques du marché. Nous sommes également en passe de développer notre activité hôtellerie, sous la direction de Benjamin Sebban et en lien étroit avec nos bureaux internationaux, afin d’élargir encore notre offre globale de services et conseil en investissement. Cette dynamique s’inscrit dans une stratégie plus large de diversification et de création de valeur durable pour nos clients.

Des exemples de nouveaux mandats ?

En exclusivité, nous comptabilisons une dizaine de mandats, notamment un immeuble de bureaux rive gauche pour une quarantaine de millions d’euros et plusieurs opérations de commerce dans Paris, notamment sur des emplacement « prime ». Enfin, nos équipes ont lancé ou sont en passe de lancer une quinzaine de processus de vente, sans compter plusieurs opérations « off market » de tailles significatives. On pourrait citer un ensemble mixte sur les Champs-Elysées, un portefeuille de résidences gérées ou encore un immeuble de bureau « core + » dans Paris.

Quel(s) conseil(s) à un acheteur ? Et à un vendeur ?

Nous conseillons à nos clients vendeurs de se préparer au mieux quant à la qualité de l’information à mettre à disposition du marché : audits notariaux, techniques, environ nementaux, énergétiques, mais aussi fiscaux. Au-delà des ventes d’actifs, d’autres approches sont possibles et notre département dispose des ressources nécessaires pour mener à bien ces opérations : refinancement, recapitalisation, joint-ventures… Les actifs parfaitement gérés et pour lesquels nous aurons pu anticiper au mieux les éventuels « red flags » trouveront toujours preneurs, sous réserve, bien entendu, de les présenter à des conditions de prix qui reflètent la réalité du marché. En ce qui concerne les acquéreurs, cela dépend naturellement de leur profil de risque et des classes d’actifs privilégiées. Nous trouvons le marché français particulièrement attractif actuellement, avec une adaptation de l’offre à la demande de plus en plus rapide qui devrait nous permettre de retrouver plus de fluidité…

Antoine Grignon (Knight Frank) : "un marché français particulièrement attractif"…