Parler de transition écologique de la ville ne relève plus aujourd’hui de l’utopie, mais bien d’une nécessité, voire d’une urgence.

Le réchauffement et les dérèglements climatiques (variant entre chaleurs extrêmes et fortes précipitations), l’épuisement des ressources naturelles et la destruction des écosystèmes, l’accroissement sans précédent des émissions de gaz à effet de serre et de la production des déchets viennent, en effet, questionner la manière de penser, de concevoir et de construire les villes qui représentent les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, alors que la croissance urbaine s’intensifie et que le parc mondial des bâtiments devrait doubler d’ici 2060.

Le consensus est, aujourd’hui, très largement partagé par les acteurs de l’industrie du bâtiment et de l’immobilier qui s’engagent progressivement dans une démarche environnementale pour décarboner les villes et pour construire des quartiers et immeubles bas-carbone afin de limiter l’impact environnemental du bâtiment. Les enjeux sont importants: en France, le secteur d’activité du BTP représente, à lui seul, près de 40 % de la consommation des ressources naturelles et produit chaque année plus de 40 millions de tonnes de déchets en France, dont seulement 1 % sont réemployés. Quant aux émissions totales du parc des bâtiments construits, elles représentent plus de 20 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Le secteur se mobilise et la règlementation environnementale RE 2020 qui s’applique depuis janvier 2022 sur toutes les constructions neuves, publiques ou privées, oblige désormais à prendre en compte le bâtiment dans toute sa durée de vie, de sa construction à sa démolition, en lui imposant d’être positif en énergie.

Au-delà de la réduction des flux de matières et d’énergies, notamment fossiles, et de la transition énergétique de l’immobilier, évoquer la transition écologique urbaine relève, cependant, d’une échelle plus large et complexe car c’est, par définition, concevoir des villes à la fois résilientes face aux menaces mentionnées, durables et respectueuses de la nature et de la biodiversité, mais qui permettent aussi de loger les habitants dans des espaces de vie abordables, sains et sûrs.

C’est également trouver des modèles économiques alternatifs au modèle de la production consumériste de la ville, de ses espaces et de son bâti, fondateur d’une exceptionnelle croissance d’après-guerre que les problématiques de développement durable n’ont pas fait évoluer. Dans un contexte aujourd’hui tout autre, marqué par la rareté des ressources naturelles et le réchauffement climatique dont les conséquences urbaines sont lourdes, c’est également parler de sobriété et de réemploi des matériaux, d’économie circulaire ou de problématiques de durabilité, de densité, de confort et de bien-être qui requestionnent les modèles économiques d’après-guerre et leurs indicateurs. La transition est en marche : les expériences, les prototypes et les innovations se multiplient autour des enjeux de la réparation, de la rénovation du bâti, du recyclage et de la réutilisation des matériaux, de la mise en valeur de nouveaux modes et techniques de construction (éco-conception, construction modulaire, construction 4.0…). De nouvelles filières de production et de nouveaux acteurs économiques se précisent. Les villes s’engagent progressivement dans leur transition bas carbone et la réduction de leur empreinte carbone et écologique : la « ville post-carbone » s’organise avec ses images de « villes circulaires » et « résilientes » calquées sur les écosystèmes vivants capables de s’adapter et se régénérer, privilégiant notamment la réutilisation et l’optimisation de l’usage des sols et de nouvelles formes d’habitat plus denses ou de « ville éponge » qui évitent les surfaces imperméabilisées et récupèrent les eaux.

« La fabrique de la ville recyclée et résiliente nécessite de réunir toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur »

Les problématiques sont, néanmoins, multiples et souvent difficiles à concilier sur le plan économique, sociologique, écologique, thermique, urbain, esthétique… Les questions économiques se posent : comment répondre aux besoins croissants des ménages à se loger, développer une offre immobilière résidentielle et tertiaire tout en accompagnant la transition écologique urbaine? Comment valoriser économiquement les initiatives et les projets à forte utilité écologique ? Comment repenser la chaîne de valeur et, notamment, le rôle économique des entrants dans les nouvelles filières de l’immobilier qui se dessinent? Comment construire autrement alors que la rareté foncière devient un obstacle majeur pour les maîtres d’ouvrage ? Comment promouvoir la densité et le recyclage du tissu urbain tout en conservant la qualité des espaces de vie ?

Repenser de manière holistique la chaîne de valeur et les filières économiques de la construction neuve et de la rénovation

La transition environnementale et écologique fait apparaître de nouveaux acteurs émergents à la recherche d’innovations alors que la crise immobilière, économique, financière et sociétale ébranle et asphyxie le secteur de la promotion immobilière, dans un secteur historiquement très concentré autour du trio maître d’ouvrage/ promoteur immobilier, investisseurs et entreprises du BTP. Par ailleurs, le secteur de la construction et de l’immobilier rassemble un faisceau de filières industrielles, avec chacune des histoires, des cultures et des rapports différents à l’innovation et à la conjoncture. Cette industrie immobilière, qui représente dans nos sociétés un des enjeux majeurs économiques et financiers de notre économie, est aujourd’hui en pleine mutation confrontée à des crises structurelles multiples.

Passer d’un modèle de production très séquencé et linéaire à un modèle plus itératif et plus collaboratif ne peut se faire qu’à deux conditions : identifier les apports en compétence nécessaires aux différents stades de la production immobilière et redéfinir en conséquence la chaîne de valeur qui en découle. Ce qui suppose de revoir le rôle des parties prenantes, leur valeur ajoutée créée et leurs compétences mobilisées, et de prendre en compte dans le calcul de l’équilibre économique et financiers des opérations, les valeurs aujourd’hui invisibilisées, celles des missions réalisées, du niveau de compétences requis et du temps nécessaire pour le faire. Cette valeur doit être décorrélée du coût direct des matériaux, de l’énergie, des capitaux et du foncier. Au-delà de l’application des normes, les différents acteurs de la chaîne de production du cadre bâti vont être conduits à produire des aménagements et des bâtiments qui s’entretiennent et se réparent, qui se transforment facilement et qui donnent aux usagers une réelle envie d’y rester. Eviter l’obsolescence, l’usure et l’insatisfaction dans les usages est un facteur de durabilité qui oblige les acteurs à faire évoluer leurs rapports et leur manière de travailler ensemble.

Nécessité de raisonner à long terme et d’intégrer la qualité

La transition écologique impose également de penser l’aménagement et les immeubles sur le temps long pour établir le juste projet au regard de l’implantation urbaine, des besoins du territoire, du capital foncier existant et des modalités de construction. En sus des innovations techniques concernant les matériaux, le cycle de vie des bâtiments et les structures, il devient essentiel de rétablir et de promouvoir la valeur ajoutée et le rôle économique de l’architecte dans la chaîne de valeur. L’architecte a, en effet, un avantage considérable à la différence des autres acteurs économiques de la chaîne de valeur. Il est, à la fois, le garant du temps long et le seul métier de la construction associé à une charte de déontologie et défenseur de l’intérêt général pour la collectivité et la ville : fournir un cadre de vie agréable pour accroître la valeur pour les propriétaires et les usagers. Au service des grands enjeux sociétaux et environnementaux et garant de la qualités des constructions, sa valeur ajoutée est donc à la fois sociale, environnementale, écologique, patrimoniale et économique sur le long terme. Il peut penser l’immeuble non seulement comme une source de rendement financier pour le ménage ou les grands investisseurs, mais également favoriser un art de vivre au niveau des quartiers et de la ville, comme une source d’économie de matériaux, d’énergie et de mobilité et de création de valeur écologique. Il est indispensable que les jeunes architectes s’en rendent compte et restent à la charnière des divers univers qu’ils côtoient, en maîtrisant à la fois la conception de l’ouvrage en dessinant le projet, mais également la conduite des chantiers lors de sa réalisation.

Une chaire d’enseignements et de recherches dédiée à la transition écologique des villes et de l’immobilier

Afin de réunir toutes les parties prenantes de la production bâtie autour du mécanisme économique qui les relie et de promouvoir un lieu d’enseignement commun aux différents acteurs de la chaîne immobilière, l’Institut Louis Bachelier vient de créer, en partenariat académique avec l’Ecole des Ponts ParisTech et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais, un espace interdisciplinaire neutre sous la forme d’une Chaire partenariale de recherche et d’enseignement répondant à cette carence, autour de quatre piliers structurants : l’Immobilier, le Logement, l’Architecture et l’Aménagement.

La Chaire Economie de la Transition écologique urbaine (Immobilier, Logement, Architecture, Aménagement) est portée, à l’Institut Louis Bachelier, par la Fondation du Risque, fondation d’intérêt public qui contribue à la recherche et à l’enseignement dans les domaines des risque financiers, industriels, environnementaux et démo- graphiques. Le réseau Louis Bachelier héberge plus de 60 programmes de recherche (à vocation économique et financière) et est un espace neutre, ne dépendant d’aucune filière professionnelle.

La transition écologique urbaine, la fabrique de la ville recyclée et résiliente nécessitent de penser de manière holistique afin de réunir toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur, en faisant tomber les barrières entre les mondes professionnels de la finance, de la promotion, de l’architecture et de la maîtrise d’œuvre, de la gestion et de l’usage. La Chaire constitue un pôle d’expertise autour de l’économie immobilière centré à la fois sur la valeur ajoutée des métiers et des compétences pour permettre à tous les acteurs de la chaîne de valeur économique de l’industrie immobilière (aménagement, financement, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, construction) de produire et de construire de manière durable et décarbonée le logement, l’immobilier et les quartiers de ville de demain.

La transition écologique urbaine nécessite égale- ment de former des leaders de demain capables d’élaborer et d’appliquer des solutions innovantes à la problématique du logement, de l’immobilier et de la ville bas carbone. La Chaire développe, dès la rentrée universitaire 2023, de nouveaux enseignements (cours et séminaires) en formation initiale au sein de l’Ecole des Ponts et de l’ENSA Paris Malaquais en économie immobilière, économie de l’architecture et économie de la transition écologique urbaine, disciplines encore souvent émergentes.

La Chaire réunit, au sein de son conseil scientifique pluridisciplinaire (économie, finance, sociologie, architecture, génie civil, écologie…), des universitaires et chercheurs internationaux autour de la transition écologique et environnementale de la ville, du bâti et de l’immobilier avec une mise en perspective internationale.

Enfin, la Chaire est ouverte à des partenariats avec l’industrie pour faire passerelle entre les différents mondes et assurer une contribution holistique à l’ensemble de la chaîne de valeur de la ville résiliente.

Ingrid Nappi : la transition écologique urbaine s’invite dans la réflexion et l’innovation immobilières