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Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable et ancien président de l’Anah, livre cette tribune sur la mobilisation du gouvernement de s’engager sur la fiscalité incitative à l’investissement locatif et l’encadrement des loyers…
Ne boudons pas les bonnes nouvelles, trop rares dans le champ immobilier !
Voilà des années que nous sommes nombreux à nous interroger sur la pertinence économique et l’efficacité sociale, d’une part de la fiscalité incitative à l’investissement locatif, d’autre part de l’encadrement des loyers, et voilà qu’une mobilisation gouvernementale s’engage sur ces deux terrains, qui doit préparer un statut fiscal du bailleur privé et décider de l’avenir de l’encadrement des loyers. Du côté de la fiscalité locative, on sait la situation actuelle de cessation du régime d’incitation qui, de 1985 (le dispositif Quilès) à 2024 (le dispositif Pinel), a tenté de favoriser la production de logements locatifs neufs à loyer maîtrisé, avec un résultat mitigé ; du côté des loyers, la loi Elan de novembre 2018 a fixé pour huit ans un dispositif expérimental d’encadrement à la main des 69 villes qui s’en sont saisis, qui cesse fin 2026 : il est donc doublement nécessaire d’organiser l’avenir, et c’est l’objet bienvenu de ces deux missions qui démarrent.
Vers un statut fiscal du bailleur privé
L’objectif gouvernemental est que la fiscalité qui caractérisera ce nouveau statut soit portée par la loi de finances pour 2026, obligeant la mission à forcer le pas. Elle trouvera appui sur l’excellent travail d’Annaïg Le Meur, députée et actuelle présidente du Conseil national de l’habitat, qui a dressé divers scenarios possibles dans un rapport remis en mai 2024 à la suite d’une mission confiée par la première ministre. Les questions techniques à traiter sont identifiées, au moins au nombre de trois : quelle fiscalité permettra de faire revenir vers le parc résidentiel les personnes morales investisseurs qui l’ont délaissé ces dernières années, au profit du placement tertiaire qui connait actuellement des fragilités nouvelles ? Quelle fiscalité permettra de susciter une génération de bailleurs personnes physiques, susceptibles de conférer à leur investissement un caractère pérenne ? En conséquence, quel distinguo faut-il ou non maintenir entre location nue ou meublée, location de courte durée ou non, location principale ou secondaire… ? Ces briques fiscales sont indispensables à la construction d’un système d’avenir, elles ne sont toutefois pas suffisantes.
Vers un renouveau de l’encadrement des loyers
La réponse dépendra largement du bilan qui sera dressé à partir de l’expérience des 69 villes engagées dans le processus : pour une fois, tirons profit de la méthode expérimentale lancée en 2018 pour huit ans, mesurons les résultats en ne craignant pas qu’ils varient d’un tissu urbain à l’autre, comparons avec les zones dénuées d’encadrement, interrogeons bailleurs et locataires sur la perception qu’ils ont du système, repérons s’il y a un lien entre vacance des logements et encadrement des loyers, bref livrons-nous collectivement à une étude sérieuse de la situation afin d’en dresser un bilan pour l’avenir. Cette enquête est nécessaire, elle guidera sans doute l’articulation d’un système d’avenir, qui pourrait utilement solliciter les associations de bailleurs et de locataires dans sa mise en œuvre, mais ce ne sera pas suffisant.
Vers une offre locative privée à caractère social
Voilà un autre aspect, pas le plus simple, des sujets mis à l’étude : faut-il articuler la relance de l’investissement locatif à un engagement social du bailleur ? Trois thèses s’affrontent à cet égard : celle qui veut distinguer les sujets économique et social en considérant que les mélanger revient à n’en bien traiter aucun ; celle qui, dans la tradition française, considère que l’aide donnée au bailleur doit avoir une nécessaire contrepartie sociale ; enfin, celle qui, à l’allemande, propose deux statuts, l’un de base sans engagement social, l’autre amélioré en cas d’engagement social : sans doute sera-t-il bon de rechercher l’efficacité en privilégiant le système le plus facile à déployer et le plus attractif.
Ce qui est sûr, c’est que les deux missions peuvent être l’occasion de proposer aux bailleurs une fiscalité encourageant leur engagement social (un loyer sensiblement moindre que le loyer dit de marché) dès lors que l’offre est assortie d’un accompagnement du locataire de nature à mettre le bailleur en sécurité. Et cette offre composite pourrait peut-être permettre enfin de mobiliser les logements vacants en zone tendue.
Vers une approche renouvelée du parc locatif privé
La lucidité qui doit nous guider suggère en tous cas que, si un statut fiscal pérenne est indispensable, si un encadrement des loyers peut aussi l’être en zone tendue, si un renforcement de l’engagement social doit être recherché, ces dispositifs ne suffiront pas à installer dans notre pays une situation dynamique de développement indispensable d’un parc locatif privé, adapté aux besoins de ce siècle. L’essentiel, qui devrait nous mobiliser tous, tient en effet au nécessaire abandon de la perception détestable que notre société a du locatif privé : comment penser que les mesures techniques d’accompagnement envisagés, à destination des bailleurs ou des locataires, parviendront à elles seules à réparer ces maux profonds dont souffre ce secteur ? En France hélas, à la différence de l’Allemagne ou la Suisse par exemple, on ne devient pas le plus souvent locataire par choix mais par défaut de ne pouvoir accéder à la propriété ; et on y devient bailleur le plus souvent en rasant les murs tellement l’image du rentier improductif entache chez nous cette activité économique. Comment espérer renouveler un secteur d’activité pourtant essentiel si ses deux acteurs sont si mal portants ? La première démarche consiste donc à conduire une double réconciliation : d’abord celle du locataire avec le logement loué, qui doit devenir confortable, sobre en énergie et bon marché, et dans lequel le locataire pourra construire un projet de vie parce que la stabilité de la relation locative lui sera assurée ; ensuite celle du bailleur avec la société, qui le traitera enfin comme un entrepreneur, délivrant la prestation de service de location d’un logement, reconnu comme tel à l’instar des entrepreneurs ordinaires, et s’appuyant sur des professionnels de la gestion locative eux-mêmes engagés dans une offre de services à valeur ajoutée. Cette évolution nécessaire revêt une dimension culturelle de modification de notre regard (adieu Daumier !) mais au-delà, elle appelle un profond changement de comportement : du bailleur envers le locataire qui est son client et à qui des égards sont dus ; de l’Etat envers le bailleur définitivement traité comme un agent économique ; de la société à l’égard des représentants du couple bailleur-locataire, enfin reconnus comme partenaires sociaux de la relation locative, aptes à développer une politique contractuelle digne de ce nom : encourageons des accords collectifs nationaux et locaux de location, comme une gestion paritaire, à travers les Commissions départementales de conciliation, de la question de l’encadrement des loyers.
Les deux pays voisins où le parc locatif est le plus développé sont l’Allemagne et la Suisse : le bailleur y est traité comme un entrepreneur, le locataire a droit à la stabilité locative, les loyers sont modérés, la régulation est principalement opérée par les associations de bailleurs et locataires, et le bailleur est invité à renforcer son traitement économique (par un amortissement accéléré de l’investissement) chaque fois qu’il accepte de souscrire un engagement social (loyer réduit, parfois clé du logement confiée à la collectivité). Ce cadre pourrait inspirer notre organisation locative future, l’important étant de partager l’impérieuse nécessité de cet élan de place qu’il faut provoquer autour des travaux législatifs qui s’engagent : c’est d’un apaisement profond de la relation locative dont notre pays a vraiment besoin pour qu’elle retrouve son dynamisme, qui suppose, à tous les échelons de notre société, un changement de regard et de comportement.
Philippe Pelletier
Président du Plan Bâtiment Durable et ancien président d’ l’Anah