De l’instauration « ancienne » d’un droit de préemption…

C’est il y a près de vingt ans que loi Dutreil du 5 août 2005 et son décret d’application du 26 décembre 2007 ont créé et définit les modalités d’application d’un droit de préemption commercial sur les cessions de droit au bail et de fonds de commerce ou artisanal.

L’objectif de ce nouveau droit de préemption était (et reste) de préserver, d’assurer et de renforcer la diversité des activités commerciales et artisanales de proximité.

Comme cela existe depuis de nombreuses années pour les cessions d’immeubles, ce droit permet donc à une commune, en cas de projet de cession de droit au bail ou de fonds, de l’acquérir en priorité.

Toutefois, ce droit de préemption doit être mis en place et remplir certaines conditions pour être applicable.

Tout d’abord, conformément aux dispositions des articles L.214-1 et suivants du Code de l’urbanisme, l’instauration d’un droit de préemption est conditionnée par la délimitation d’un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité.

Le projet de délibération de la commune souhaitant mettre en place un tel droit de préemption doit donc être accompagné du projet de plan délimitant le périmètre et d’un rapport analysant la situation du commerce et de l’artisanat de proximité à l’intérieur de ce périmètre et les menaces pesant sur la diversité commerciale et artisanale.

Ce projet est soumis pour avis à la chambre de commerce et d’industrie et à la chambre des métiers et de l’artisanat dans le ressort desquelles se trouve la commune.

Une fois cette étape franchie, la délibération doit être votée et, en cas d’issue favorable, le droit de préemption entre en vigueur.

Toutefois, se pose la question, au-delà du périmètre de sauvegarde, du champ d’application de ce droit de préemption.

Il concerne, en premier lieu, les cessions de droit au bail commercial et de fonds de commerce.

S’y ajoutent, et cela n’est pas toujours connu, les cessions relatives aux fonds artisanaux.

Depuis la loi « LME » du 4 août 2008, les terrains portant ou destinés à porter des commerces d’une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 mètres carrés sont également soumis au droit de préemption lorsque leur propriétaire souhaite les vendre.

Cependant, le droit de préemption commercial n’est pas applicable aux biens ou droits inclus dans le cadre d’un plan de sauvegarde régi par l’article L. 626-1 du Code de commerce ou dans le cadre d’un plan de cession régi par l’article L. 631-22 ou par les articles L. 642-1 à L. 642-17 du Code de commerce.

Enfin, le droit de préemption ne peut pas être légalement exercé par son titulaire en toutes circonstances (CE, 15 décembre 2023, n°470167, Sté NM Market).

En effet, le titulaire du droit de préemption doit justifier, à la date à laquelle il exerce son droit, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300 1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date.

La nature du projet d’action doit également apparaître dans la décision de préemption.

De même, la mise en œuvre du droit de préemption commercial doit répondre à un intérêt général suffisant eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l’occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière.

À la suite de la création de ce nouveau droit de préemption, certaines communes ont rapidement décidé de le mettre en place. On peut notamment citer les villes de Bordeaux, Toulouse, Cannes ou Marseille.

Il est donc indispensable pour les rédacteurs des actes de cession de droit au bail ou de fonds de commerce ou artisanal de vérifier :

1) si un droit de préemption a été instauré et

2) si l’opération en question se situe dans le périmètre de sauvegarde. Juridiquement cela se traduit, le plus souvent, par la signature d’une promesse de cession de droit au bail ou de fonds sous différentes conditions suspensives, dont celle de la purge du droit de préemption de la commune.

En suivant, les parties procèdent à la purge auprès de la commune concernée.

Toutefois, la loi Pinel du 18 juin 2014 a permis aux communes de déléguer l’exercice de ce droit à l’établissement de coopération intercommunal dont elles font partie.

Il doit être précisé que le délai de purge du droit de préemption est de deux mois et qu’à défaut de réponse de la commune dans le délai imparti, la cession projetée peut se faire librement aux conditions convenues.

Le délai de deux mois étant relativement long, les praticiens des cessions de droit au bail et de fonds de commerce ou artisanal ont pour habitude de prendre contact de façon informelle avec la commune pour apprécier le risque que cette dernière préempte.

De notre pratique, et sous réserve de ce qui suit, il ressort que nous sommes peu confrontés à des zones concernées par un droit de préemption sur les cessions de droit au bail et de fonds de commerce ou artisanal. Quand cela est le cas, nous arrivons souvent à avoir un premier avis informel des services compétents et, en toute hypothèse, nous sommes très rarement confrontés à des cas de préemption, la commune en question n’ayant pas l’intention ou les moyens d’acheter le droit au bail ou le fonds concerné.

… à sa mise en place « tardive » par la Ville de Paris…

Lors de l’élaboration du PLUb, la Ville de Paris a souhaité protéger les commerces culturels.

Cette volonté s’est concrétisée par l’adoption du droit de préemption commercial visant à préserver les commerces culturels par la Ville de Paris par délibération n°2024 DAE26 des 6 et 9 février 2024.

Le droit de préemption commercial est entré en vigueur le 7 août 2024.

Depuis, le PLUb de la Ville de Paris a été approuvé par délibération des 19,20,21 et 22 novembre derniers et conforte l’intention de « faciliter le maintien de l’offre de commerces culturels tels que les librairies, cinémas, magasins ».

On notera que contrairement à d’autres villes, le droit de préemption de la Ville de Paris est relativement restreint en ce qu’il ne vise à préserver que les commerces dits « culturels ».

En outre, le périmètre de sauvegarde délimité ne concerne qu’une petite partie de Paris, c’est-à-dire la totalité des 5ème et 6ème arrondissements, ainsi qu’une partie du 7ème arrondissement :

rue du Bac, numéros du 2 au 26 et du 1 au 25 ;
rue de l’Université, numéros du 2 au 42 et du 1 au 25 ;
rue des Saints-Pères, numéros du 2 au 20 ;
toute la rue de Verneuil ;
toute la rue Allent ;
toute la rue de Beaune ;
rue de Lille, numéros du 2 au 50 et du 1 au 37 ;
tout le quai Voltaire.

En complément de ce qui a été dit ci-avant, il doit être précisé que la Ville de Paris a délégué l’exercice du droit de préemption commercial à la SEM Paris Commerces dans la continuité de sa politique d’acquisition de locaux commerciaux stratégiques pour la diversité commerciale.

… dont les modalités de mise en œuvre sont les suivantes…

Lors d’une cession portant sur un bail commercial, un fonds de commerce ou un fonds artisanal, il est dorénavant indispensable de vérifier si celui-ci est situé dans le périmètre délimité par la Ville de Paris.

Dans l’affirmative, la cession devra faire l’objet, à peine de nullité, d’une déclaration préalable à la commune qui peut se faire, à ce jour :

– par lettre recommandée avec accusé réception, à l’adresse suivante : Mairie de Paris – Direction de l’Urbanisme – Sous-direction de l’action foncière, Bureau 7.12.J.F – 121, avenue de France – CS 51 388 – 75639 Paris cedex 13.

– par dépôt en main propre contre récépissé, à l’adresse suivante : 6, promenade Levi Strauss, 75013 Paris, en vous signalant à l’accueil. Horaires d’ouverture : du lundi au vendredi de 9h30 à 11h30 et de 14h00 à 17h00.

Cette déclaration préalable est établie conformément au formulaire Cerfa n°13644*02.

La déclaration devra notamment contenir le prix, l’activité de l’acquéreur pressenti, le nombre de salariés du cédant et la nature de leur contrat de travail (en cas de cession de fonds de commerce ou artisanal), les conditions de la cession et, le cas échéant, le bail commercial en précisant le chiffre d’affaires.

A réception de la déclaration, la commune disposera d’un délai de deux mois pour notifier sa décision de préempter ou de renoncer à l’exercice de son droit de préemption.

Il est rappelé que le silence gardé par le titulaire du droit de préemption dans ce délai de deux mois vaut renonciation à l’exercice de son droit.

… dont les effets seront limités ?

Comme il l’a été indiqué ci-dessus, la mise en place de ce droit de préemption arrive tardivement et peut-être pas au meilleur moment alors que le commerce et l’immobilier font face à une situation économique difficile et incertaine.

Ces dernières années, le nombre de cessions de droit au bail et de fonds de commerce ou artisanal a baissé au regard de la complexité de telles opérations qui impliquent le vendeur, l’acheteur, le bailleur, voire la Ville de Paris pour les autorisations administratives de travaux ou d’enseigne.

S’y ajoute, désormais, la nécessité de purger le droit de préemption de la Ville de Paris.

Toutefois, cette nouvelle contrainte est tempérée par le fait que le droit de préemption est limité à trois arrondissements de la Ville de Paris.

Au-delà de la complexification des opérations de cession de droit au bail et de fonds de commerce ou artisanal dans ces arrondissements, la vraie question qui se pose est de savoir si la Ville de Paris, en pratique, va vouloir ou être en mesure d’exercer ce droit de préemption… surtout au regard du montant de certaines cessions.

La Ville de Paris a prévu de faire un bilan de l’expérimentation du droit de préemption commercial dans trois ans…. Il est probable que les praticiens n’aient pas besoin d’autant de temps pour se faire un avis sur l’impact réel de ce nouveau droit…

Mieux vaut tard que jamais ?