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Sébastien Legrix de la Salle, avocat associé et Romane Spannaccini, élève avocate au sein du cabinet DS Avocats, commentent un arrêt récent de la Cour de cassation. La question posée était de savoir si un congé offrant le renouvellement et modifiant les clauses et conditions du bail expiré, hors loyer, est nul pour défaut de motif ou s’analyse en un congé avec refus de renouvellement ? Explications…
Les baux commerciaux sont des contrats dont les trames évoluent régulièrement pour s’adapter aux nouvelles pratiques et aux nouvelles contraintes législatives et/ou jurisprudentielles.
Toutefois, sans à recueillir l’accord du locataire, cette adaptation n’est pas possible en cours de bail.
Les baux commerciaux étant des contrats d’une durée relativement longue, a minima de neuf années, cela peut conduire à avoir, au terme de leur durée contractuelle, des clauses obsolètes au regard des pratiques de marché.
Ainsi certains bailleurs, lors du renouvellement des baux, tentent de revoir la rédaction de ces derniers en tout ou en partie. Il n’est, d’ailleurs, pas rare de voir un bailleur proposer à son locataire une trame de bail totalement différente de celle du bail expiré.
Si cela ne pose pas de problème dans le cadre d’une discussion amiable avec son locataire, il en va différemment lorsque le bailleur prend l’initiative de délivrer un congé en proposant un nouveau loyer et la modification de tout ou partie des clauses du bail expiré.
C’est tout l’intérêt de l’arrêt de la Cour de cassation du 11 janvier 2024 (Civ. 3, 11 janvier 2024, n° 22-20.872) qui rappelle les dangers auxquels s’exposent les bailleurs dans un tel cas.
Le principe : un renouvellement aux clauses et conditions du bail expiré
En matière de renouvellement d’un bail commercial, selon une jurisprudence constante, ce dernier s’opère aux clauses et conditions du bail expiré (notamment Civ. 3e, 12 oct. 1982, JCP 1984. II. 20125 ; 19 déc. 2012, n° 11-21.340).
Cette intangibilité des clauses d’un bail commercial renouvelé a, depuis, été consacrée par le législateur dans le cadre de la réforme du droit des obligations, à l’article 1214 alinéa 2 du Code civil.
Les seules exceptions à ce qui précède sont le loyer de renouvellement qui, à défaut d’accord entre les parties, doit être fixé par le juge des loyers, la durée du bail qui est régie par les dispositions de l’article L. 145-12 du Code de commerce et les modifications législatives (telles que celles issues de la loi Pinel par exemple), qui s’imposent aux parties. Enfin, les bailleurs et les locataires peuvent toujours modifier à l’amiable les clauses des baux qui les lient.
Un congé modifiant les clauses du bail équivaut à un refus de renouvellement du bailleur
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si un congé offrant le renouvellement et modifiant les clauses et conditions du bail expiré, hors loyer, est nul pour défaut de motif ou s’analyse en un congé avec refus de renouvellement ?
En première instance, par une décision du 24 octobre 2019, le Tribunal de grande instance d’Angoulême a jugé que le congé n’encourait pas la nullité, mais devait s’analyser en un refus de renouvellement, au regard des modifications de contenance des lieux loués et des obligations des locataires, et qu’en conséquence le bailleur était débiteur d’une indemnité d’éviction.
Le bailleur ayant interjeté appel, la Cour d’appel de Bordeaux a été amenée à se prononcer sur le sujet.
Dans son arrêt du 21 juin 2022 (n° 19/06161), cette dernière a infirmé le jugement de première instance en considérant que :
La Cour de cassation, dans un arrêt limpide du 11 janvier 2024, annule purement et simplement l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux.
Elle rappelle, tout d’abord, le principe exposé ci-dessus en matière de renouvellement d’un bail commercial : « à défaut de convention contraire, le renouvellement du bail s’opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix ».
Elle ajoute « qu’un congé est un acte unilatéral qui met fin au bail par la seule manifestation de volonté de celui qui l’a délivré ».
Cet attendu de la Cour permet d’attirer l’attention des praticiens sur le fait que la partie à l’origine du congé ou d’une demande de renouvellement ne peut unilatéralement y renoncer, même en l’absence de réponse de l’autre partie, sauf à exercer, lorsque cela est possible, les droits d’option ou de repentir prévus par le statut des baux commerciaux.
Enfin et surtout, le Cour retient qu’un « congé avec offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes du bail expiré, hors le prix, doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction ».
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer dans ce sens dans un arrêt du 5 décembre 2001 (Civ. 3, 5 déc. 2001, n°00-12.350).
La messe est donc dite, un congé avec offre modifiant les conditions du bail à renouveler est, en définitive, un congé avec refus de renouvellement et implique le paiement d’une indemnité d’éviction au locataire.
Le bailleur exposé au risque de devoir indemniser le locataire évincé
Le refus de renouvellement de la part du bailleur l’expose, en application de l’article L. 145-14 du Code de commerce, à devoir verser à son locataire une indemnité d’éviction dont le montant principal correspondra a minima à la valeur du droit au bail voire, si elle est supérieure, à celle du fonds de commerce en cas de perte de ce dernier. A ce montant principal s’ajoutent des indemnités accessoires qui peuvent, selon les circonstances, être très importantes.
Bien évident, le bailleur peut exercer son droit de repentir en vertu de l’article L. 145-58 du Code de commerce et, finalement, proposer le renouvellement du bail avec un loyer qui devra, sauf accord entre les parties, être fixé par le juge de loyers.
Toutefois, en application de cet article, le droit de repentir ne peut plus être exercé si le locataire a quitté les locaux objet du congé ou a loué ou acheté d’autres locaux pour y transférer son activité.
Ainsi, un bailleur qui tentait simplement d’améliorer les conditions d’un bail tout en gardant son locataire pourrait, finalement, se retrouver sans locataire et avoir à lui verser une indemnité d’éviction.
Ce risque est loin d’être négligeable dans le contexte actuel et face à l’évolution des modes de consommation qui conduisent certains locataires à faire des arbitrages dans le patrimoine locatif et ce, quelle que soit la nature des locaux loués.
En conclusion : risque ou opportunité pour les bailleurs et les preneurs
Cet arrêt de la Cour de cassation est donc un rappel, en matière de baux commerciaux, et notamment de renouvellement, que la liberté des parties est relative.
Il est, dès lors, primordial lorsque l’on est bailleur, dès la signature du bail, d’être très attentif à sa rédaction pour retarder son obsolescence et ce, compte tenu du droit illimité du locataire au renouvellement de son bail aux clauses et conditions du bail expiré.
A l’échéance du bail, si le bailleur souhaite le faire évoluer, il privilégiera, dans le cadre de la fixation du loyer de renouvellement, un accord amiable avec son locataire sur les clauses du nouveau bail, quitte à lui accorder des contreparties financières et/ou conventionnelles.
Du côté du locataire, s’il avait pour projet de quitter les locaux, la réception d’un congé modifiant les conditions du bail lui donnera l’opportunité de partir de ces derniers, mais aussi de prétendre au versement d’une indemnité d’éviction.