I – L’état de l’art en la matière en quelques mots

Contexte. L’objet de la taxonomie est simple : il s’agit de lutter contre le changement et le réchauffement climatique. Il s’agit d’un chantier majeur pour toutes les entreprises, financières ou non.

Les autorités publiques françaises et européennes ont constaté que les financements publics ne suffiront probablement pas à financer ces transformations. Les actifs privés doivent, eux aussi, être dirigés vers des activités qui contribuent à un avenir plus favorable au développement durable.

Des textes européens qui prennent le relai des textes français. Concrètement, la Commission Européenne a publié en 2018 un premier plan d’action sur la finance durable. Mais le législateur français avait déjà pris les devants. Ainsi, la loi de transition énergétique de 2015 (article 173) avait déjà imposé à certains acteurs institutionnels (compagnies d’assurance, institutions de prévoyance…) de mentionner dans leur reporting la prise en compte dans leur politique d’investissement « des critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux et de qualité de gouvernance et sur les moyens mis en œuvre pour contribuer à la transition énergétique et écologique ».

L’article 29 de la loi Energie-climat de novembre 2019 remplace désormais l’article 173 de la loi de transition énergétique. La loi Energie-climat de novembre 2019 en profite également pour élargir le périmètre des obligations de reporting à d’autres acteurs financiers (dont les sociétés de gestion de fonds immobiliers) et rapprocher le dispositif français du dispositif européen.

Les textes européens qui, à présent, régissent largement le dispositif de la taxonomie sont variés.

Tout d’abord, la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) de 2017 introduit l’obligation du reporting extra-financier pour les entreprises ayant leur siège dans l’un des pays de l’Union européenne. Elle est transposée dans le Code de commerce. Elle sera complétée par la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) publiée en décembre 2022 qui renforce les règles existantes introduites par la NFRD. Elle vise les entreprises non financières (avec un seuil d’application plus large que celui de la NFRD). Son application démarre en 2024. Il faut retenir que l’objet de ces textes est de fixer les règles en matière de reporting extra-financier pour les entreprises en général.
Le Règlement Taxonomie date de 2020. Il établit les critères permettant de déterminer si une activité économique est considérée comme durable sur le plan environnemental, aux fins de la détermination du degré de durabilité environnementale d’un investissement. Si c’est le cas, il convient de reporter ses activités comme le requièrent la NFRD et la CSRD.

Les textes précités s’appliquent à des entreprises commerciales, réglementées par ailleurs ou non. Cela va des sociétés commerciales classiques (promoteurs immobiliers, par exemple) aux entreprises du secteur bancaire, financier ou assurantiel (banques, sociétés de gestion de fonds immobilier, compagnies d’assurance).

Focus sur le secteur financier… et donc les fonds. Le législateur européen a prévu des textes supplémentaires pour le secteur financier et, en premier lieu, les sociétés de gestion qui commercialisent des produits financiers (dont les fonds immobiliers).

C’est dans cette optique qu’a été publié le Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) en 2019. Il s’agit d’un règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers. Il s’applique depuis mars 2021. Rappelons qu’un règlement est d’application directe en France sans qu’il soit besoin de texte de transposition pris en France, contrairement à une directive européenne. Quand le législateur souhaite clairement un cadre harmonisé sur un produit ou un secteur spécifique, il procède par voie de règlement.

En un mot, le but de ce texte est de créer une grille de lecture commune sur la durabilité des produits financiers (comme des parts de fonds). Il s’agit de permettre au marché (investisseurs et aussi régulateur….) de comparer ce qui est comparable.

La nomenclature des produits financiers en matière de taxonomie en application du SFDR est en substance la suivante.

Les produits « article 9 » : ils ont pour objectif l’investissement durable ou une réduction des émissions de carbone.
Les produits « article 8 » : ce ne sont pas des produits « article 9 », mais ils promeuvent, entre autres caractéristiques, des caractéristiques environnementales ou sociales, ou une combinaison de ces caractéristiques.
Le autres produits (ou « article 6 ») : ils ne tiennent pas compte de la durabilité. Les règles générales « comply or explain » demeurent applicables, mais ils n’ont pas un « labels » article 8 ou article 9.

Et concrètement alors ? Les sociétés de gestion sont aujourd’hui face à un grand travail de catégorisation pour justifier dans quelle mesure leur produit constitue un investissement durable au sens de la règlementation européenne. Pour qu’un produit soit labellisé « article 8 » ou « article 9 », l’investissement doit de manière générale (i) contribuer à un objectif social ou environnemental et (ii) ne pas créer des « incidences négatives en matière de durabilité » (« do not significantly harm »). Il convient de noter que la justification d’absence d’incidences négatives en matière de durabilité demeure très complexe à évaluer, c’est loin d’être une science exacte ! L’AMF (Autorité des marchés financiers, ndlr) a, au demeurant, soumis une proposition afin d’introduire dans le droit européen des exigences minimales environnementales auxquelles les produits financiers devraient répondre afin d’être catégorisés article 8 ou article 9 dans le cadre du règlement SFDR.

La délivrance de ces informations est toutefois soumise à un cadre très standardisé au niveau européen qui sont des Normes Techniques Réglementaires (RTS) qui viennent préciser le cadre de SFDR. Il s’agit du Règlement Délégué du 6 avril 2022 entré en vigueur le 1er janvier 2023.

Même avec ces précisons, il n’en demeure pas moins que les acteurs de marché (sociétés de gestion notamment) ont besoin d’assistance et d’expertise afin d’orienter très précisément leurs diligences en cas d’investissement dans un actif afin que cet investissement soit bien catégorisé comme durable ainsi qu’annoncé à leurs investisseurs (cela implique concrètement de compléter leur grille d’analyse et d’exigences avec leurs partenaires pour tenir compte des exigences réglementaires en matière de taxonomie). La Commission européenne publie régulièrement les « Frequent Asked Questions », dont les réponses seront à considérer comme les références lors des publications par les sociétés de gestion. Il faut aussi se référer aux publications de l’OID – Œuvres pour l’Immobilier Durable, qui permettent notamment d’apprécier si les actifs acquis sont dans le Top15 ou Top 30 en termes de consommation d’énergie primaire opérationnelle (pour les bureaux haussmanniens le Top15 = 195 kWh ep/m²/an, Top30 = 267 kWh ep/m²/an). Néanmoins, pour le domaine immobilier, les problématiques demeurent nombreuses : ne faudrait-il pas davantage se référer à l’énergie finale qu’à l’énergie primaire opérationnelle (l’Aspim a récemment publié une étude en ce sens) ; le recours renforcé à des énergies renouvelables risque de faire perdre aux SCPI leur statut (là encore, l’Aspim émet des préconisations afin de modifier l’article L214-114 du Code monétaire et financier) ; les critères de l’article 7.7 de l’Acte Délégué relatifs aux acquisitions d’immeubles sont-ils à vérifier uniquement à acquisition de l’actif ou tout ou long de sa durée de détention ? Des précisions sont à attendre tant du côté français que du côté européen, qu’il conviendra d’analyser en détail au risque de perdre sa qualification

Dans l’immédiat, l’enjeu aujourd’hui pour les fonds immobiliers est de préserver leur labels « article 8 » ou « article 9 » suite à la publication des textes européens et d’éviter des déclassements dans des catégories moins porteuses.

II – A quoi s’attendre aujourd’hui ?

Vue générale. De manière générale les enjeux de la taxonomie pour les acteurs économiques et, en particulier, le secteur immobilier, sont de trois ordres :

collecter les données nécessaires pour se conformer aux obligations en matière de taxonomie ;
communiquer de manière efficace des éléments utiles aux investisseurs (en évitant une certaine « infobésité ») et
éviter, à terme, de se voir reprocher un « greenwashing » (littéralement de l’ « eco-blanchiment »).

Les autorités devront s’efforcer de trouver un régime équilibré dans cette optique.

Enjeu sur la communication. S’agissant de la communication, la convergence des standards de reporting et la clarification de certains concepts dans la réglementation (concept de « do not significantly harm ») seront fondamentaux dans les prochains mois. Les autorités européennes en sont conscientes et produisent de nombreux écrits à ce sujet.

Vrai enjeu actuel : les données. D’après notre expérience dans d’autres secteurs (financiers notamment), la difficulté ne sera pas tant dans la clarification de certains concepts que de collecter les données nécessaires et éviter que les investisseurs ne soient en réalité fragilisés par un afflux surdimensionné d’informations et de données (« infobésité »).

A ce titre, les acteurs de marché assistent à l’émergence de fournisseurs de données et d’agence extra-financière. Le régulateur européen suit ce segment et ne devrait pas rester inactif.

D’ici à la fin de l’année, le Haut Conseil au commissariat aux comptes devrait être le superviseur de référence en matière de contrôle et de sanction de tous les acteurs de l’audit extra-financier. Il est intéressant de noter que dans le cadre de la transposition imminente de la directive européenne CSRD, les avocats français réfléchissent à leur rôle dans la certification des rapports de durabilité, dès lors qu’il avait été envisagé de permettre à d’autres que les commissaires aux comptes d’accomplir cette mission. La profession d’avocat peut avoir une compétence en matière de données non financière, par exemple en termes d’articulations de données juridiques et de gouvernance des entreprises. Se pose la question du secret professionnel et de savoir si cette activité de certification doit être isolée de celle de l’avocat et selon quelles modalités pratiques.

Enjeu à terme, les procès (et pas seulement d’intention) en matière de « greenwashing ». S’agissant du « greenwashing », le régulateur européen a déjà pris l’initiative de demander aux acteurs un retour d’expérience et de pratiques sur des pratiques ouvertes de « greenwashing » ou non et des rapports en ce sens pour éclairer le marché sont prévus. Concrètement, l’ESMA (autorité de supervision des marchés financiers EU) est en train de retravailler la labellisation et la dénomination de certains fonds.

Comme dans toute activité basée sur l’évaluation et la perception de différents acteurs aux intérêts parfois antagonistes, une judiciarisation des enjeux de taxonomie n’est pas à exclure toutes les fois qu’un investisseur ou un partenaire mécontent s’estimera (avec, sans doute, un certain opportunisme) avoir été trompé dans le caractère durable de son investissement…

Comme dans bien des domaines, la taxonomie a connu une phase de création des règles du jeu. Les cartes sont maintenant distribuées en bonne partie et survient inévitablement la phase du jeu de la règle par les acteurs. Le régulateur en est conscient et le socle juridique demeure en pleine consolidation.

Immobilier et sobriété énergétique : règlementation sur la taxonomie, point d’étape et perspectives...