Si les premières règlementations issues du Grenelle de l’environnement ont pu être taxées de déclarations d’intention aux yeux des plus sensibles à la question de l’urgence climatique, il n’en a rien été du décret tertiaire de juillet 2019, rebaptisé Dispositif Eco Energie Tertiaire, qui a imposé des objectifs contraignants de performance environnementale à moyen terme.

Ce Dispositif vise le secteur du bâtiment, premier secteur consommateur d’énergie en France et, plus particulièrement, la grande majorité (83 % environ) des 940 millions de mètres carrés de bâtiments tertiaires.

Les objectifs de réduction de consommation en valeur relative ont frappé les esprits dès la parution du premier décret à l’été 2019 par leur simplicité d’énonciation, mais également par l’ambition des résultats à poursuivre (consommation réduite de 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050).

En revanche, les objectifs de réduction en valeur absolue ont suscité inquiétudes et questionnements qui tardent à recevoir des réponses, disséminées au gré des arrêtés d’application du Dispositif. Sont encore attendues des données pour des secteurs importants comme le commerce et l’hôtellerie, qui feront notamment l’objet de l’arrêté valeur absolue III à paraître.

Les institutionnels de l’immobilier, publics ou privés, se sont mobilisés, dans un premier temps pour comprendre les enjeux de cette règlementation nouvelle, puis pour se mettre en ordre de marche pour parvenir à atteindre ses objectifs dans les délais impartis.

Le Dispositif comporte deux séries d’obligations : (a) les obligations annuelles de déclaration, lesquelles nécessitaient une mobilisation immédiate et (b) la réduction de consommation d’énergie, pour laquelle la première échéance est fixée à 2030.

Les diagnostiqueurs ont, bien sûr, été très sollicités pour aider les assujettis au Dispositif et beaucoup ont créé des départements spécialement dédiés à l’explication de texte et à l’assistance dans les différents états des lieux nécessaires à la mise en place des plans d’actions imposés par le Dispositif.

a) Les obligations déclaratives

La date limite de la première déclaration des assujettis sur la plateforme Operat a été repoussée deux fois, du 30 septembre 2021 au 30 septembre 2022 en raison de la pandémie de Covid-19, puis du 30 septembre 2022 au 31 décembre 2022, en raison d’atermoiements manifestes des acteurs du secteur.

Certains d’entre eux ont même dû être approchés par ces nouveaux services dédiés des diagnostiqueurs, pour prendre conscience de leur assujettissement au Dispositif et entamer leur réflexion sur ce sujet.

Devant le foisonnement des informations disponibles en ligne, la plateforme Operat elle-même a dû appeler à la vigilance, n’hésitant pas à attirer l’attention sur le fait que certains articles publiés dans des revues spécialisées ou diffusés dans des Webinaires, comportaient des informations erronées.

Ce temps de rodage a, toutefois, été largement rattrapé, puisque la quasi-totalité du patrimoine concerné a été identifiée sur la plateforme Operat dans les temps, avec l’indication des consommations afférentes.

La sanction du « name and shame », qualifiée de « pilori immatériel »[1], reste donc, pour l’instant, à l’état de menace non appliquée.

b) La réduction de consommation énergétique

Les données collectées sur la plateforme Operat serviront à calibrer la seconde série d’obligations.

Elles ont, d’ores et déjà, été exploitées pour l’émission des premières attestations annuelles évaluant la consommation d’énergie de chaque ensemble immobilier éligible par rapport aux objectifs fixés.

Dans la perspective de la première évaluation des objectifs en 2030, les assujettis doivent se pencher en priorité sur le choix de la méthode d’atteinte des objectifs en fonction des contraintes pesant sur leurs bâtiments.

La méthode en valeur relative suppose de choisir une année de référence correspondant à une année pleine d’exploitation ne pouvant être antérieure à 2010, quand la méthode en valeur absolue impose d’atteindre une consommation d’énergie finale exprimée en kWh/m²/an pour chaque décennie, fixée en fonction des performances des bâtiments nouveaux de la même catégorie.

Dès cette étape préliminaire, les assujettis ont tout intérêt à se faire assister par les acteurs du diagnostic qui se sont fait une nouvelle spécialité du Dispositif, et sont capables de choisir la meilleure méthode en fonction des performances passées, en réalisant des projections de performance.

Une fois ce choix effectué, vient le temps de la mise au point des plans d’action, qui doivent identifier les interventions à mener.

Si certaines de ces actions consistent en des travaux d’ampleur, d’autres n’impliquent que des ajustements des comportements des usagers.

C’est donc, bien sûr, la sensibilisation des salariés qui constitue la première action à mener, avec un impact immédiat – et à faible coût – sur les consommations.

De façon inattendue, les croisements de législation ont également pris la main des assujettis sur certains sujets : c’est le cas du décret BACS de juillet 2020, dont le champ d’application a été considérablement élargi en avril 2023, qui impose l’installation de GTB (gestion technique de bâtiment) aux bâtiments tertiaires possédant un équipement de climatisation ou de chauffage d’une puissance nominale supérieure à 70 kW, soit la quasi-totalité des bâtiments éligibles au décret tertiaire.

Sur ce sujet, les acteurs ont donc les mains liées, mais bénéficieront des impacts positifs de ces nouvelles installations pour le respect des objectifs du Dispositif.

A date, certains assujettis disposent déjà d’une vision claire des différentes actions à mener sur leur patrimoine pour le respect du premier objectif de 2030, après avoir diligenté des audits sur leurs actifs ; d’autres, au contraire, en sont aux balbutiements de leur réflexion, freinés par une certaine inertie ou plus pragmatiquement par le mode de détention de leurs actifs (en copropriété, par exemple).

A noter, bien sûr, que l’évaluation des coûts est très disparate en fonction des actifs concernés, les gestionnaires avançant des coûts variant de 5 euros/m² pour des plateaux de bureaux récents à 53 euros/m² pour des bureaux anciens situés dans un immeuble Art déco[2], tous les deux à Paris.

Ces coûts sont à rapporter, bien sûr, aux économies d’énergie qui, si elles sont l’objet même du Dispositif, vont permettre aux acteurs de l’écosystème immobilier de réduire leurs dépenses au moment même où le prix des fluides – et en particulier de l’électricité et du gaz – s’envolent.

c) Un focus sur les relations bailleurs/preneurs

Dans notre pratique quotidienne des baux commerciaux, le sujet du Dispositif Eco Energie Tertiaire ne manque pas de susciter des débats.

Le Dispositif cherchant résolument à favoriser la concertation, il élude volontairement la question de la répartition des obligations, visant indifféremment les « propriétaires et occupants » des bâtiments éligibles.

Il en découle naturellement des discussions concernant la prise en charge des coûts associés aux actions – et notamment aux travaux – à réaliser pour parvenir aux objectifs, mais également la responsabilité matérielle de procéder aux déclarations annuelles sur la plateforme Operat.

S’agissant des déclarations et dans un premier temps, les propriétaires soucieux de ne pas s’exposer à la sanction du « name and shame », particulièrement infamante, préféraient conserver la responsabilité de la déclaration, en se faisant consentir un mandat de collecte des données par l’ensemble de leurs locataires.

Un peu rassurés par la facilité avec laquelle la première déclaration a pu être effectuée, le constat est que les propriétaires préfèrent désormais laisser le soin à leurs locataires de déclarer leurs propres consommations, ce qui semble par ailleurs répondre aux souhaits des grands utilisateurs.

Pas de consensus en revanche entre locataires et propriétaires sur le terrain de la prise en charge des travaux liés à l’implantation du Dispositif, voire du coût des audits à réaliser : faute d’accord clair des parties, elles préfèrent le plus souvent renvoyer sans autre précision aux « équilibres du bail », ce qui permettra de réengager la discussion quand les plans d’action seront suffisamment précis pour que chacun puisse déterminer les contours de son engagement financier.

Après un démarrage désordonné, les assujettis semblent donc aujourd’hui à la fois convaincus par la finalité du Dispositif (et par son impact sur leurs factures d’énergie) et par leur capacité à en respecter les obligations.

[1] V.-O. Dervieux, « Name and shame » : publication et affichage, l’impossible droit à l’oubli ?, Gaz. Pal. 1er mars 2016, n° 9, p. 29, cité par J. Jombaert,, la sanction numérique de « name and shame » en droit des affaires, Dalloz Actualités, 4 février 2022
[2] Un gestionnaire d’actifs américain, cité par le « Moniteur » : « Décret tertiaire : les propriétaires font leurs comptes »

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