Il est toujours aussi difficile d’analyser la situation et les évolutions de la construction de logements en France, au point d’ailleurs qu’il n’est guère aisé de savoir combien de mises en chantier sont démarrées chaque année, à plus ou moins 10 % près[1] ! Car les outils d’observation statistique du SDES[2] présentent des défauts pas forcément mineurs que leurs concepteurs reconnaissent, sans pour autant parvenir à les corriger.

La dernière correction apportée par le SDES sur les estimations du niveau de la construction qu’il avait lui-même présentées un mois plus tôt l’illustre parfaitement[3]. Cette pratique de l’auto-remise en cause des statistiques de construction se répétant d’année en année, depuis qu’en 2015 le système Sit@del avait pourtant été revu et modifié[4] pour mettre fin à une dérive que les pouvoirs publics avaient mis pas mal de temps à reconnaître.

Une « nouvelle » méthode porteuse d’espoir

Durant une assez longue période, les « chiffres de la construction » étaient tenus pour refléter une certaine réalité, même si (et cela se « savait ») les services statistiques des DDE étaient parfois amenés à donner aux chiffres un coup de pouce en fin d’année, afin d’éviter que le bilan annuel ne soit trop mauvais[5]. Néanmoins, ces services veillaient à la qualité de la production statistique du ministère en charge du Logement.

D’ailleurs, même si l’exercice n’était pas facile à réaliser, on estime en général que jusqu’au milieu des années 2000 (voire jusqu’à la crise des années 2008-2009), le chiffrage du niveau de la construction (à partir des anciennes séries dites « en date de prise en compte ») était de (relativement) bonne qualité : les travaux de comparaison effectués par le SOeS[6] avaient conclu en ce sens, même si, bon an mal an, une légère sous-estimation du niveau de la construction pouvait être constatée (en moyenne, de l’ordre de 3 000 logements chaque année jusqu’en 2004)[7]. Bien sûr, cette sous-estimation avait enflé au fil des années : de 2010 à 2014, l’écart annuel moyen a même « explosé » pour s’établir à 50 300 logements par an !

Toutes ces perturbations ont été d’autant plus fortes qu’à partir de 2007, la RGPP est venue restructurer les services déconcentrés de l’Etat et notamment les DDE, alors que le ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie tenait le rôle de pilote de cette réforme. L’ensemble des mesures dictées par la RGPP a été inscrit dans la loi du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012. Le redéploiement de l’ensemble des services s’est achevé en 2011, avec la mise en place des dernières DREAL : près de deux ans ayant été nécessaires pour aboutir à la « préfiguration » et au détail des organigrammes à l’échelon départemental.

Mais durant ces années d’écroulement de son système statistique, le ministère en charge du Logement n’avait guère été attentif aux alertes répétées de ceux qui suivent de près les évolutions du niveau de la construction. Alors que dès 2010 le caractère sous estimatif de Sit@del ressortait clairement et qu’il ne faisait plus aucun doute que ce système statistique était déconnecté de la réalité des marchés de la construction, comme toutes les autres sources statistiques disponibles et régulièrement interrogées en attestaient : que ce soient les évolutions des effectifs salariés et de l’intérim publiées par la DARES (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) du ministère du Travail, celles des matériaux de construction mobilisés sur le territoire français ou de la production de crédits immobiliers au neuf, sans oublier les évolutions de l’indice de production industrielle publié par l’Insee.

Une nouvelle « méthode » a finalement été développée par le SOeS afin de publier des estimations mensuelles nationales et des mises en chantier dites en « date réelle estimée » (DRE) qui devaient apporter une correction à la sous-estimation systématique du niveau de la construction[8]. Le nouveau dispositif et les séries publiées rétrospectivement depuis janvier 2000 ont paru satisfaire cet objectif et enfin, il devenait possible de savoir combien on construisait de logements en France.

Et pour l’avenir, la présentation par le SOeS/CGDD des modèles économétriques utilisés pour évaluer les chiffres de la construction se voulait rassurante. Il est vrai que les modélisateurs du ministère en charge du Logement avaient choisi les « meilleures » équations, celles qui permettaient de fournir les résultats les plus probants… sur le passé.

La descente aux enfers de la « nouvelle » méthode

Bien sûr, des questions ont souvent été soulevées et des doutes parfois exprimés après un examen détaillé de la « nouvelle » méthode. Notamment, parce qu’elle suppose implicitement que les données sur les permis de construire sont fiables… mais aussi est surtout parce que la « modélisation » des mises en chantier repose sur une (très) bonne connaissance des taux d’annulation des autorisés et des taux d’ouverture des chantiers qui est loin d’être acquise. On savait donc dès le départ que tous les ans (en juillet dans les premières années), le SOeS devrait réviser ses tables de taux d’annulation des autorisés et d’ouverture des chantiers afin d’éviter la dérive des estimations publiées et par la même « corriger » les statistiques de construction. Mais faute de cette transparence pourtant demandée à d’autres producteurs de statistiques (du secteur privé, évidemment), il n’était guère possible d’aller plus loin dans la réflexion.

Et de toute façon, durant plusieurs années Sit@del ne dérivait plus. Ou plus exactement, les révisions des chiffres de la construction étaient négligeables et les écarts résultant de ces mises à jour n’étaient pas suffisants pour gêner les utilisateurs de Sit@del. Par exemple, la révision de janvier 2023 publiée par le SDES[10] était plus que satisfaisante, même si des ajustements intra annuels venaient parfois polluer le profil mensuel de la courbe des mises en chantier.

Mais depuis, la « nouvelle » méthode semble avoir dérapé ! L’explication apportée par le SDES est claire, bien qu’incomplète :

Elle est claire lorsqu’elle précise l’origine du mal : « pour les logements autorisés en 2023 et 2024, l’estimation des délais et des taux d’annulation n’est pas suffisamment fiable. Par conséquent, on ne cherche plus à estimer les délais et taux d’annulation, mais on privilégie une estimation directe des mises en chantier à partir des observations du mois concerné auxquelles on applique un redressement pour anticiper les remontées d’informations à venir.
Elle peut, néanmoins, sembler incomplète tant que le détail de l’estimation directe n’est pas présenté. Et que le fameux redressement n’est pas explicité. Sauf à se suffire de la précision suivante : « la révision à la hausse des mises en chantier en 2023 et 2024 est due à une extrapolation plus importante des mises en chantier manquantes, compte tenu d’une réévaluation à la baisse, sur les années récentes, de la part des mises en chantier remontées chaque mois ».
Mais quoiqu’il en soit, la dérive de la « nouvelle » méthode est tout sauf anécdotique. Les deux dernières révisions, celles de janvier 2024 et de janvier 2025, ont laissé ressortir un écart global de 124 200 logements sur la période 2019-2024, soit 7 % du total des mises en chantier « estimé » durant ces années (et même 10,4 % pour la seule année 2024).

Ainsi, en 2024, avec 290 600 logements mis en chantier, le niveau de la construction n’a pas été aussi bas qu’en 1954 (263 800 unités), il est simplement comparable à celui de 1997 (291 100 unités). Une simple révision aura tout de même permis de franchir allègrement 43 années…

Pour autant, on n’a pas construit en 2024 beaucoup plus de logements pour 1 000 ménages qu’en 1950 : le ratio était alors de 8,4 logements, il est maintenant de 9,4 en 2024, donc un peu moins qu’en 1952.

Et pour l’avenir, une néo « nouvelle » méthode ?

La publication des dernières statistiques de construction a suscité l’émoi, parmi les utilisateurs de Sit@del, bien sûr. Mais aussi parmi certains observateurs avisés[11].

Aussi, compte tenu des conséquences de révisions successives et mal comprises, il est probable que le SDES proposera, dans les prochains mois (vers la fin de l’été, très certainement) une néo « nouvelle » méthode afin de corriger la tendance persistante à la dérive de Sit@del.

Mais jusqu’à présent, beaucoup de solutions ont été « expérimentées », sans grand succès il vrai. Une piste à la mode peut encore être explorée : l’IA qui dispose de ressources énormes, avec l’avantage de mobiliser le nec plus ultra des sources et des méthodes disponibles. Ainsi, près de 20 ans après le début de la restructuration en profondeur des services déconcentrés de l’administration territoriale, une « machine » aura presque pleinement remplacée les compétences humaines qui, durant tant d’années, avaient permis de savoir combien on construit de logements en France.

L’affaire est passionnante et il faudra la suivre avec attention. En espérant que l’IA permette de préserver un minimum de transparence à la néo « nouvelle » méthode, indispensable à son appropriation et à son utilisation raisonnée.

[1] Titre d’une Chronique évidemment sans rapport avec la formidable trilogie de Stratís Tsírkas, « Cités à la dérive » !
[2] Plus précisément, à 10,4 % près pour l’année 2024 et 7 % pour la période 2020-2024.
[3] SDES : Service des données et études statistiques, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
[4] « Construction de logements – Résultats à fin janvier 2025 », Stat Info Logement, SDES, n° 713, février 2025.
[5] Sur ce point : « A propos des nouvelles séries de mises en chantier de logements », « Immoweek » , 27 février 2015.
[6] Evidemment, à partir de la fin des années 1970, lorsque le niveau de la construction était descendu bas, très bas. Et principalement durant les années 1985 à 2000.
[7] SOeS : Service de l’Observation et des Statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD), un ancêtre du SDES.
[8] Sur ce point : « Chiffres & statistiques », SOeS/CGDD (n° 618, mars 2015).
[9] « Chiffres & statistiques », SOeS/CGDD (n° 618, mars 2015) : « ces nouvelles séries améliorent le diagnostic conjoncturel produit à partir de la base Sit@del2, en corrigeant notamment les éventuels défauts de collecte ».
[10] « Construction de logements – Résultats à fin janvier 2023 », Stat Info Logement, SDES, n° 531, mars 2023.
[11] Par exemple : Pascal Bonnefille, «Statistiques logement : de bien curieuses « révisions » », « Immoweek », 3 mars 2025.

Construction de logements : Sit@del à la dérive(1) par Michel Mouillart