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Alain Tourdjman, directeur études et prospectives du Groupe BPCE, est spécialiste des comportements financiers des ménages et des entreprises (logement, épargne et cycle de vie, cession-transmission et croissance des PME-ETI…), il s’efforce de croiser analyse économique, démarche comportementale et approche territoriale dans ses études sur les agents économiques. Nous vous proposons la synthèse des Rendez-Vous de l’Immobilier du Groupe BPCE qu’il a présenté, à l’occasion d’une visioconférence de presse dédiée, le 12 décembre 2024…
L’ancien et le neuf, une transformation structurelle
Depuis 2022, le marché résidentiel a été profondément affecté par une transformation structurelle de ses conditions d’exercice. Qu’il s’agisse de son environnement économique avec la résurgence de l’inflation, la forte hausse des coûts de construction et le basculement sur un nouveau régime de taux d’intérêt, du contexte socio-démographique avec les effets du vieillissement et d’une nouvelle relation au travail et au logement privilégiant la qualité de l’habitat ou bien des préférences géographiques privilégiant des territoires moins denses, les déterminants de la demande et de la solvabilité ont durablement changé. En particulier, les acteurs du neuf ont été enfermés dans un dilemme de hausse des coûts (salaires, matériaux, taux…) et de baisse de la capacité contributive des clients, l’un poussant à la hausse des prix, l’autre nécessitant une baisse, d’autant que la tension foncière ne s’est pas allégée avec une rareté croissante dans les zones denses et une difficulté à le mobiliser dans les zones détendues du fait de l’objectif de « zéro artificialisation nette ».
Au total, le modèle économique des acteurs de la construction a été durablement fragilisé et son potentiel d’activité réduit (défaillances, plans sociaux). Ce secteur reste sinistré, particulièrement concernant la maison individuelle. Avec 250 000 mises en chantier attendues en 2024, la construction revient en France à des niveaux inconnus depuis le milieu des années 1950 sans perspective de reprise avant 2026. En revanche, le marché de l’ancien, bien qu’à nouveau en recul, se maintient en 2024 sensiblement au-dessus des points bas de 2009 et de 2012-2014 et dispose dès maintenant d’un potentiel de rebond.
Des signaux positifs sur la demande des ménages
La vague de novembre du baromètre BPCE L’Observatoire-Audirep montre un regain d’intérêt des ménages pour l’immobilier. Ainsi, après un rebond en juin, la part des Français ayant un projet d’achat a encore progressé en novembre. Cela illustre la prévalence d’une forte aspiration à l’accession, notamment chez les jeunes générations, ces acquéreurs potentiels jugeant majoritairement le moment favorable pour acheter. Les anticipations des Français à la baisse en matière de taux d’intérêt, et à la hausse en matière de prix immobiliers confirment leur représentation positive du marché. Parallèlement, la réduction des taux d’intérêt à l’œuvre ces derniers mois et la reprise des crédits nouveaux s’accompagne d’un début d’allègement des tensions sur les conditions d’emprunt. Ainsi, le taux d’apport et la part des opérations au comptant (sans crédit) qui avaient atteint un record au 1er trimestre 2024, ont amorcé leur normalisation en retrouvant, au 3ème trimestre, un niveau proche de 2023.
Pour autant, ce rebond de la demande des ménages est menacé par les incertitudes économiques et politiques. De plus en plus sensibles au risque de remontée du chômage et préoccupés, à 71 %, par le niveau de la dette publique, les Français se disent massivement inquiets en ce qui concerne les perspectives économiques de la France et les possibilités de hausse des impôts. 25 % et 31 % d’entre eux envisagent respectivement de reporter ou de renoncer à certaines dépenses. Qu’elles se traduisent par une hausse des taux d’intérêt, des impôts ou par un sentiment de paralysie du pays, les incertitudes actuelles pourraient donc neutraliser l’orientation positive de la demande de logements des ménages.
Perspectives pour l’immobilier résidentiel en 2025
Les indicateurs de crédit (remontée de la demande adressée aux banques et baisse des taux) créent un environnement plutôt favorable à un rebond des marchés immobiliers. Cette tendance se poursuivrait en 2025, mais de façon plus limitée qu’espéré initialement avec un taux moyen des crédits de l’ordre de 3,2 %, qui ne reviendrait pas à la situation ex-ante. De leur côté, les prix immobiliers semblent s’engager vers une décélération qui permet aux Français d’anticiper de plus en plus un atterrissage de cette phase baissière, engagée dès la fin 2022 en région francilienne. Grâce au cumul des baisses des taux d’intérêt et des prix immobiliers, le pouvoir d’achat immobilier dans l’ancien des ménages a commencé à se redresser cette année. Un changement d’orientation de la demande vers des zones géographiques moins denses et souvent moins chères est avéré de 2020 à 2023. Il participe à restituer de la solvabilité aux ménages désireux de mener un projet immobilier. Cette tendance influe sur la structure de la demande et pèse sur les moyennes de prix des logements anciens, calculées sur une base statistique en transformation (marchés de report).
Le contexte de crise structurelle et l’atrophie du secteur productif dans l’immobilier neuf devraient limiter toute reprise de la construction en 2025. Les projections pour 2025 sont, au mieux à une légère reprise avec 260 000 mises en chantier, si l’on retient l’hypothèse d’une relance du secteur, notamment dans l’individuel diffus, grâce à la baisse des taux d’intérêt et à la mise en œuvre d’un Prêt à Taux Zéro « universel », même si le contenu et le calendrier de cette réforme en 2025 sont très incertains pour l’heure. Pour la promotion immobilière, la réorientation de la politique du logement vers la rénovation des logements existants et l’abandon du dispositif de défiscalisation de l’investissement locatif dit « Pinel », freinerait tout rebond malgré des concessions sur les prix.
Dans l’ancien, le scénario médian retenu équilibre le redressement potentiel de la demande et les risques de renoncement des ménages liés à l’incertitude politique :
2024 marquerait le creux d’activité du marché des logements anciens avec 775 000 transactions, le couplage chute d’activité (fort ajustement sur les volumes)/pression sur les prix conduisant à une baisse contenue (-2 %) au quatrième trimestre 2024 alors que la valeur réelle des logements avait déjà fortement reculé depuis fin 2022 (sous le jeu de l’inflation). Après un recul de 40 % des nouveaux crédits en 2023, l’année 2024 s’inscrirait de nouveau en baisse de 15 % sur un an, à 118 milliards d’euros (hors rachats et renégociations), expliqué par les effets volume et prix mais aussi par la hausse du taux d’apport et la forte hausse de la part des logements acquis au comptant.
Une reprise limitée interviendrait en 2025 avec 825 000 transactions dans l’ancien, accompagnée d’une tendance à la stabilisation des prix (+1 %) après deux années de baisse. La faible reprise des prix immobiliers couplée à la légère hausse des ventes globales de logements ferait croître en 2025 la production annuelle de crédits immobiliers à 132 milliards d’euros (hors rachats et renégociations). Après un recul en 2024, l’encours ne progresserait que de 0,5 % en 2025, soit une progression inférieure à celle de l’inflation, ce qui prolongerait la tendance au désendettement des ménages en matière de crédit à l’habitat.
Ce scénario médian peut être encadré par deux scénarios alternatifs : l’un favorable en cas de stabilisation voire de réduction du spread de taux avec l’Allemagne et d’une politique plus active de soutien budgétaire au logement ; l’autre défavorable si le spread OAT-Bund s’élargit en même temps que la crise politique s’approfondit en France provoquant un basculement des anticipations de taux d’intérêt des ménages dans un contexte d’incertitude inhibant pour les acteurs du marché.
Rénovation énergétique du logement : élargir le champ des motivations pour activer la mise en œuvre
La France a structuré sa politique de transition énergétique au travers de politiques sectorielles qui ont favorisé une baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais inégalement selon les secteurs d’activité. Pour l’immobilier résidentiel, la logique de contrainte par le DPE s’est imposée avec un calendrier pénalisant progressivement la détention de biens classés G, F et E, à partir du 1er janvier 2025. Pourtant, si le sujet du DPE mord de plus en plus sur les choix de projets immobiliers des ménages (pour 76% des acheteurs, c’est un critère important et un motif de vente pour 43% des vendeurs), les intentions de réaliser des travaux de rénovation énergétique ne progressent que légèrement, et bien en-deçà des ambitions et objectifs affichés par la France.
Un premier obstacle tient à la forte surestimation par les propriétaires d’un logement du DPE de leur bien : 17 % des détenteurs d’une résidence principale pensent posséder un bien classé E, F ou G alors que ceux-ci représentent 37 % du parc en réalité. A cette erreur d’appréciation des besoins réels en rénovation énergétique, s’ajoutent deux éléments de fragilité liés aux intentions de travaux : seulement 5 % des Français les envisagent à court terme, la majorité des intentions étant renvoyée à un horizon plus long et donc plus incertain tandis que moins d’un tiers des projets concerne une rénovation globale, la grande majorité concernant des travaux d’amélioration ponctuels.
En revanche, les autres types de travaux (embellissement, adaptation au grand âge, gros entretien du bâti, agrandissement des surfaces ou création d’annexes) motivent davantage les Français (61 % dont 7 % à court terme), principalement dans leur résidence principale, mais en envisageant moins de recourir au crédit pour les financer (39 %). De plus, une corrélation forte prévaut entre les intentions de réaliser des travaux de rénovation énergétique, et celles de mener des travaux d’une autre nature : même profil type des répondants et forte appétence croisée. A l’heure où le vieillissement du pays s’accélère avec le passage au quatrième âge de la génération du baby-boom (très souvent propriétaire d’un logement individuel), la concordance des calendriers et des publics concernés entre les besoins d’adaptation du logement au grand âge et les objectifs de transition énergétique crée des opportunités.
La rénovation des logements, dans une acception large (incluant travaux de rénovation énergétique, adaptation du logement au grand âge et travaux d’agrément ou de remise en état), peut donc être envisagée de façon globale. La convergence des besoins et des aspirations (baisses de charges, qualité de vie, confort au grand âge…) constitue un faisceau de motivations probablement plus efficace que la seule sensibilité à la transition énergétique pour transformer des intentions de travaux en réalisations effectives.
Alain Tourdjman
directeur études et prospectives
Groupe BPCE