Il suffit d’une simple recherche Google : une fois tapés les mots-clés « copropriété » et « scandale » dans la barre de recherche, une longue liste d’articles se succèdent, recensant pratiques véreuses en pagaille, passages devant les tribunaux mouvementés et indices de confiance en berne. En 2010, une affaire en particulier a cristallisé l’attention, Urbania, du nom de l’administrateur de biens visé par une plainte de la Société Générale. La banque s’était alors aperçue qu’elle et plusieurs autres établissements bancaires avaient été « truandés » par le syndic en question à hauteur de 500 millions d’euros, somme avancée à Urbania et dont elles ne reverraient pas de sitôt la couleur. Le syndic, au lieu de placer la somme de 200 millions avancée par la Société Générale, l’avait utilisée pour acquérir des fonds de commerce et des parts minoritaires de différentes sociétés. Ce qui constitue ni plus ni moins qu’un détournement de fonds. Le scandale fut énorme, la déflagration retentissante.

Des abus en cascade

« L’image crapuleuse qui a longtemps collé à la peau des syndics provient de ces affaires à l’écho médiatique important » resitue Anne-Claire Davy, cheffe de projet schéma régional de l’habitat et de l’hébergement au sein de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France. « Au-delà de cette étiquette peu flatteuse, il y a aussi la réputation du syndic qui ne répond jamais au téléphone, est désinvesti, met des semaines à contacter un professionnel pour changer une ampoule cassée dans le hall d’un immeuble ». Même son de cloche du côté de Franziska Barnhusen, chef de projet énergie au sein du même Institut : « c’est vrai qu’il y eu beaucoup d’abus qui ont entaché la profession, que la bonne gestion n’est pas toujours au rendez-vous. La surcharge de certains portefeuilles peut constituer une explication, les syndics étant débordés de tous côtés et ne pouvant plus répondre de façon satisfaisante aux besoins immédiats des copropriétés dont ils ont la charge ». Cette image négative fait partie des trois grandes catégories d’enjeux soulevés par l’Institut Paris Région dans son étude intitulée : « les mutations contemporaines des syndics de copropriété ». Etude à laquelle ont collaboré Anne-Claire Davy, Franziska Barnhusen, Gaëtan Brisepierre (cabinet GBS), Claire Julliard (OGGI Conseil) et Sylvaine Le Garrec (consultante). Le Puca (Plan Urbanisme Construction Aménagement), qui finance régulièrement de grands programmes de recherches nationaux autour d’une problématique déterminée, a opté pour le sujet de la régénération des copropriétés comme nouvel axe de travail.

Pas un simple exécutant

Premier écueil auquel l’équipe a été confrontée : les difficultés rencontrées par les syndics à être perçus comme de véritables relais des pouvoirs publics, à dépasser les enjeux de gestion courante. « Les bailleurs sociaux sont historiquement perçus comme des partenaires de l’action publique, à l’inverse des syndics » déplore Franziska Barnhusen. Pour y remédier, il a fallu à l’équipe comprendre la profession de syndic, son histoire, ses ressorts, ses mutations. En résumé, mieux la connaître pour en faire un relai de qualité. Trois grands groupes de syndics se détachent et forment, à eux trois, le panorama général de la profession : les indépendants de taille variable (du micro-cabinet à la structure plus étoffée), les grands groupes immobiliers (Foncia, Nexity, Citya, Icade…) et les nouveaux entrants à la culture startup. Les rapports peuvent être conflictuels entre ces différents segments à la culture et à l’approche différentes. « Traditionnellement, le syndic de copropriété dispose d’une grande autonomie, n’est pas un simple exécutant » explique Franziska Barnhusen. « Les acteurs traditionnels craignent de perdre cette autonomie avec le développement des plateformes de prestataires de services qui fleurissent, de se voir dépossédés de leur savoir-faire et expertise pourtant reconnus ».

Mandataires contre prestataires

C’est aussi sur le rapport au droit que les divergences entre « anciens » et « nouveaux » apparaissent. « Les syndics sont traditionnellement des mandataires de confiance et défendent une gestion des immeubles de rapport, dans une proximité étroite avec les grands propriétaires fonciers » détaille Anne-Claire Davy. « La profession est en passe de basculer, sous l’impulsion des nouveaux entrants, dans une approche davantage assimilable à un prestataire de service, ce qui enterre l’ancienne relation privilégiée entre le syndic et les propriétaires, cet intuitu personae à la consonance juridique assumée ». Dit autrement, les acteurs traditionnels assimileraient davantage leur fonction à celle des notaires et non à un simple prestataire de service interchangeable s’inscrivant dans la culture startup. Seulement, les scandales qui ont émaillé la profession (relatés plus haut) ont entraîné un tour de vis de la part de l’Etat, notamment avec la loi Alur de 2014 qui régule dorénavant de façon plus étroite les syndics via la conclusion d’un contrat-type intégrant un certain nombre de prestations ne pouvant donner lieu à une rémunération complémentaire. « Certains professionnels ont pu prendre ça comme une sorte de mise sous tutelle avec une forme de perte d’autonomie quant à la gestion des immeubles » décrit Franziska Barnhusen.

Féminisation de la profession

L’ultime grand axe relevé par l’étude a trait à la mutation de la profession et à l’adoption de nouvelles pratiques, à l’image d’une digitalisation accrue. « Nous nous sommes aperçus que les assemblées générales systématiquement programmées en soirée posaient problème, que les jeunes générations, dans leur désir d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, n’étaient plus disposées à sacrifier plusieurs soirs par semaine à leur travail » indique Franziska Barnhusen. La féminisation de la profession explique aussi ce changement de paradigme. L’allègement des portefeuilles est également évoqué, dans un objectif qualitatif. « Il faut libérer du temps, des moyens et des personnes afin de consacrer davantage d’expertise à un immeuble ayant des besoins spécifiques et requérant un accompagnement plus serré et régulier » poursuit-elle. Cela dans le but aussi de répondre aux nouvelles exigences relatives à la rénovation énergétique et au redressement des copropriétés en difficulté.

Digitalisation des tâches

Enfin, sur le volet de la digitalisation, les assemblées générales dématérialisées, par visioconférence, sont de plus en plus réclamées par les gestionnaires de syndics. Tout comme la mise à disposition de nouveaux outils et logiciels, notamment pour ce qui concerne la gestion administrative courante (traitement des mails, des demandes…). « Il est important de digitaliser le plus de tâches possibles sans valeur ajoutée afin que les gestionnaires se concentrent sur des tâches stratégiques et relationnelles, en lien direct avec les copropriétaires » défend Anne-Claire Davy. Là encore, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne entre, d’un côté, les grands groupes ayant les moyens et les compétences en interne pour développer de nouveaux outils et, de l’autre, les acteurs plus modestes pour lesquels cette nouvelle donne réclame une montée en compétence plus importante, ainsi que l’achat de logiciels. L’homogénéisation de la profession n’est, en tout cas, pas d’actualité…

Repenser le modèle des syndics de copropriété