Plus de trente-cinq ans après sa mort, Daniel Balavoine inspire toujours autant, et pas uniquement dans le domaine musical. Union improbable, c’est le secteur immobilier qui s’empare aujourd’hui de l’un des titres-phares du chanteur de Starmania pour illustrer l’une de ses problématiques majeures : quand on arrive en ville. La ville, justement : ses opportunités, ses contraintes ; ses alternatives de transformation, sa part d’immobilisme inéluctable. Pour évoquer le sujet, étaient réunis autour de la table trois acteurs spécialistes de cette thématique : Isabelle Barraud-Serfaty, économiste et directrice de la société de conseil et d’expertise en économie urbaine Ibicity ; Paul Citron, docteur en aménagement (boursier de la Fondation Palladio), urbaniste indépendant et président de Surface + Utile, et Barthélémy Doat, co-fondateur d’Agora pour l’habitat et fondateur de la structure de conseil Madelus, spécialisée dans l’univers de l’immobilier social et solidaire.

« Les oiseaux et les arbres ne connaissent pas le cadastre »

Premier constat, asséné d’emblée par Isabelle Barraud-Serfaty : « c’est la donne qui change les acteurs et non l’inverse ! » Du champ de betteraves (sic) au terrain bâti, la création de valeur économique est une constante pour les acteurs de l’immobilier, promoteurs, aménageurs et investisseurs. Depuis quelques années, une nouvelle donne, donc, est venue rebattre des cartes jusqu’ici trempées dans le formol : l’injonction aux sobriétés. « Les sobriétés ne sont plus silotées, séparées, elles forment un tout » a précisé Isabelle Barraud-Serfaty. « Il y a la sobriété foncière, la sobriété énergétique, la sobriété d’usage : tout se rejoint. La nature devient une nouvelle infrastructure en elle-même. Pour paraphraser le paysagiste Gilles Clément, les oiseaux et les arbres ne connaissent pas le cadastre ». Le paysagiste ajoute même que la lecture paysagère est celle des animaux et des végétaux, la lecture du cadastre étant celle des planificateurs. De ce fait, tout se mêle : la végétalisation ne connaît pas de frontières entre domaine public et propriété privée ; les mètres carrés sont mutualisés et doivent être exploités à 100 %, y compris les trottoirs et les toits. Le recyclage urbain est aujourd’hui devenu un phénomène continu, ininterrompu, qui ne se réfléchit plus tous les 20 ou 30 ans.

Externalités positives de l’économie durable et solidaire

Paul Citron, de son côté, a dressé un état des lieux du marché tertiaire : « il est aujourd’hui acquis que la population active va stagner au cours des vingt prochaines années. Si l’on ajoute l’amplification du télétravail, les surfaces de bureaux vont être de plus en plus vacantes. Du côté des supermarchés, nous assistons également à une fréquentation moindre. Le constat qui s’impose est donc que les besoins en bureaux et commerces vont continuer de baisser dans les années à venir. Nous nous dirigeons vers une crise de la valorisation des actifs en immobilier économique ». Une crise, vraiment ? « Plutôt un bouleversement, car ce phénomène ne s’annonce pas cyclique, avec un retour à l’état initial à la clé ». Soit. Donc que faire de ces surfaces inutilisées, sachant que toutes ne sont pas transformables en logements, pour des raisons aussi bien techniques que géographiques ? « Ceux qui détiennent la solution de cette équation existent déjà dans la fabrique de la ville, ce sont les acteurs de l’économie durable et solidaire (EDS) » s’est enthousiasmé Paul Citron. Les acteurs de l’EDS désignent tout à la fois les coopératives, mutuelles, associations ou fondations ; elles adoptent des modes de gestion démocratiques et participatifs. 10 % du PIB est aujourd’hui assuré par les acteurs de l’EDS, qui emploient 14 % des salariés du secteur privé et utilisent 35 millions de mètres carrés. Les externalités positives de l’EDS, son impact sociétal et les avantages macro-économiques que l’Etat tire d’elle sont significatifs, selon Paul Citron. En tout cas suffisamment pour que cela représente une solution d’avenir viable et cohérente. « Les entreprises engagées dans une démarche sociale et solidaire sont fiables ; d’ailleurs, encadrées comme elles le sont pas divers organismes, les associations ne présentent que peu de défauts de paiement auprès de la Banque de France » a vanté Paul Citron. Ne reste plus qu’à trouver et actionner les bons leviers pour inciter et fluidifier cette mise à disposition des surfaces vacantes à destination de ces nouveaux acteurs.

Hybridation souhaitable et souhaitée

Barthélémy Doat est l’un de ces acteurs grâce à Agora pour l’habitat, une coopérative créée en juin 2022 dans la région lyonnaise. Son modèle ? Une foncière solidaire où les investisseurs, à partir de 4 000 euros d’apport, peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt de 25 %. Grâce à trois partenaires institutionnels, dont un bailleur social, Bartélémy Doat a mis sur pied cette structure permettant à des locataires aux conditions de ressources modestes d’investir également dans la foncière et d’avoir la possibilité, in fine, d’acquérir le logement qu’ils louent à un prix non spéculatif. « Cette solution permet de briser deux barrières d’entrée à l’accession : la constitution d’un apport conséquent et la course après des prix de logements toujours plus élevés et ce, grâce à un plafonnement initial » a détaillé Barthélémy Doat. Le ménage qui occupe un logement épargne quoi qu’il arrive durant tout le temps de sa location, qu’il active ou non son option d’achat à l’issue de son bail. De son côté, Agora pour l’habitat acquiert des immeubles en bloc en profitant de décotes de TVA. « Nous avons levé plus d’un million d’euros depuis un an ! » se réjouit le co-fondateur. « Il faut être réaliste, la philanthropie pure et dure ne correspond pas à l’immobilier, tous les acteurs sont à la recherche d’un modèle économique tenable. C’est juste que l’économie durable et solidaire permet une nouvelle orientation, plus en accord avec les problématiques sociétales actuelles, liées à l’environnement, mais aussi à l’humain. Ainsi, grâce à notre solution, nous permettons à chacun de nos locataires d’être acteur de sa propre solution de logement ». Isabelle Barraud-Serfaty de conclure : « il existe une hybridation de plus en plus forte entre, d’un côté, les acteurs de l’économie durable et solidaire et, de l’autre, les acteurs classiques de l’immobilier. Une relation purement concurrentielle n’est pas souhaitable, il faut à l’inverse une collaboration étroite, fructueuse ». Surtout, la logique mercantile, purement spéculative, consistant à édifier des immeubles « en blanc », « des murs pour des murs », semble dépassée. Le nouveau mantra semble être devenu : faire correspondre un bien immobilier à un usage !

Quand on arrive en ville…