Dans son rapport annuel sur le mal-logement qui est présenté ce 2 février, la Fondation souligne ainsi qu’« alors que les chiffres de l’emploi annoncent une précarité́ économique en progression, l’impact réel de la crise ne sera visible que dans quelques mois et ses effets marqueront les années à venir ».

Les confinements et la crise sanitaire ont montré, comme le précise Manuel Domergue, de manière plus prégnante encore que les années précédentes, les dangers du surpeuplement et la détresse des personnes sans domicile. Pour qualifier ce qu’ont vécu les plus pauvres depuis maintenant un an, le directeur des études de la Fondation parle de « double peine » et de « bombe à retardement ». Double peine, car la crise du Covid, qui a débuté par un confinement, a créé un état de panique général, rien n’étant prévu pour les personnes à la rue. Les premières semaines, les distributions de nourriture, les maraudes et l’hébergement d’urgence étaient à l’arrêt. Pour les personnes vivant en bidonvilles, l’accès à l’eau fut encore plus difficile. Une mobilisation de l’ensemble des acteurs (Etat, collectivités locales, associations, mais aussi particuliers) a fort heureusement permis de réorganiser un peu les dispositifs de prise en charge : 30 000 places d’hébergement ont notamment été créées dans des hôtels devenus vacants et, relève Manuel Domergue, « pour la première fois, un soir, le 115 de Seine-Saint-Denis a pu satisfaire toutes les demandes d’hébergement ». Pour autant, selon lui, certains des hébergements trouvés au cours de la période n’étaient pas adaptés à la situation créée par le Covid, comme « l’hébergement d’un nombre important de personnes dans un gymnase », par exemple.

Une chaîne du logement bloquée

Ce contexte difficile n’est hélas, selon la fondation, pas prêt de s’améliorer, dans la mesure où la chaîne du logement, et en particulier celle du logement social, est bloquée. La baisse de 20 % des attributions de logement HLM, la faiblesse de la production – 95 000 logements agréés en 2021 a indiqué la présidente de l’Union Sociale pour l’Habitat, Emmanuelle Cosse – sont autant d’absences de perspectives pour les plus de 300 000 personnes sans domicile fixe. La réponse politique à cette donne incertaine et dramatique est, pour Christophe Robert, insuffisante. « La protection sociale mise en place durant la période a fonctionné et a été efficace pour de nombreuses personnes, mais beaucoup sont passées « entre les mailles du filet et craignent de basculer » explique-t-il. Les aides financières ont, selon lui, été « insuffisantes, tardives et ponctuelles » ; elles ont, par ailleurs, « oublié des personnes en difficulté, comme les travailleurs bénéficiant de l’allocation adulte handicapé, par exemple ». Ces aides n’ont, de plus, pas concerné ceux occupant des « petits boulots » ou des emplois non déclarés.

Pas de geste durable pour les chômeurs et les allocataires

La Fondation regrette, ainsi, que « depuis 2017, tout geste durable, pour les chômeurs et les allocataires, ait été écarté. Ceci renvoie à une distinction entre « bon et mauvais pauvre » déplore Christophe Robert, une distinction « difficilement supportable en temps normal, mais aujourd’hui insoutenable, à l’heure où la crise provoque plus de 800 000 suppressions d’emplois et un taux de chômage, pour 2021, de 11 % ». Et de critiquer « le choix du gouvernement qui « multiplie les aides affectées à certains publics, des aides certes utiles, mais limitées à quelques bénéficiaires » et « donne la priorité au soutien des entreprises et des ménages les plus aisés ». Pour le délégué général de la fondation Abbé Pierre, « la politique menée est peu distributive depuis 2017 : coupes dans les APL, désindexation des aides, RLS, suppression de l’APL Accession… ». Une politique qui a permis « 10 milliards d’euros de coupes sur le budget de l’Etat ».

Investir dans le logement

« La réalité du logement a été occultée par les pouvoirs publics comme le montre le plan de relance, dans lequel le logement social fait, lui aussi, figure de grand oublié » répète Christophe Robert ; il appelle alors à revenir sur quelques-unes des décisions prises notamment dans le cadre de la réforme du logement social : « les solutions face au mal-logement passent forcément également par le monde HLM. Si on revient sur les ponctions financières opérées sur les organismes HLM et que l’État refinance l’aide à la pierre, il devient possible d’augmenter de façon significative la production de logements sociaux et très sociaux à destination des ménages pauvres et de mettre en œuvre de façon efficace le Logement d’abord ». Autre souhait de la Fondation : la création d’un fonds spécial pour baisser temporairement les loyers des ménages entrant dans le parc avec de très faibles ressources. Enfin, autre piste pour résoudre une partie de cette crise du mal logement : faire de la rénovation énergétique des logements une priorité nationale : « pour lutter efficacement contre la précarité énergétique, les incitations ne suffisent plus et de véritables obligations de rénover, progressives, réalistes et adaptées aux particularités des situations, doivent enfin être votées dans le projet de loi climat prévu en 2021. Il en va de l’efficacité des politiques et de la parole donnée à la Convention citoyenne pour le climat et à l’égard de nos engagements internationaux pour le climat » considère la Fondation.

Mal-logement : pour les plus pauvres, le pire est à venir redoute la Fondation Abbé Pierre