Depuis le pallier de l’étage jusqu’au rez-de-chaussée, parfois même au-delà du porche de l’immeuble, une file de prétendants s’étire sur plusieurs mètres ; dossier cartonné ou plastifié sous le bras, trépignant d’impatience ou avachis sur les marches de l’escalier en colimaçon, tous affichent cet air anxieux tantôt combatif, tantôt un brin résigné. L’image, qui a illustré nombre d’articles ou de reportages télévisuels, est imprimée dans la mémoire collective et associée à la fin de l’été, lorsque les visites d’appartements des futurs étudiants battent leur plein. Image d’Epinal ou fait réel plus que jamais d’actualité ? A l’orée du mois de septembre 2023, la deuxième proposition est indéniablement celle qu’il faut cocher : Paris et, plus globalement, l’ensemble des grandes agglomérations aux pôles universitaires reconnus connaissent déjà et vont connaître des semaines de tension extrême, où la concurrence pour se loger risque d’atteindre son climax.

Laetitia Caron, directrice générale de la plateforme PAP (Particulier à Particulier) est aux premières loges pour mesurer l’ampleur du phénomène. Si elle reconnaît que la période s’étalant de la mi-août à la fin septembre est toujours tendue sur le marché locatif, les premiers retours pour 2023 dépassent les « normales de saison ». « Pour l’ensemble de la France, nous observons une baisse de l’offre de l’ordre de 15 %, tandis que la demande croît, quant à elle, de 17 %. En Ile-de-France, l’on atteint même 17 % de baisse de l’offre pour 20 % d’augmentation de la demande ! ». Pour corroborer l’image introductive décrite plus haut, Laetitia Caron affirme qu' »en moyenne, un propriétaire de studio reçoit cette année 116 contacts de loueurs potentiels. Si le loyer est en-dessous de 800 euros par mois, la barre des 200 contacts peut être franchie ». Une « course au logement » dont personne ne sort gagnant.

Des faussaires à l’affût

En effet, les propriétaires ne voient pas cet afflux de prétendants d’un œil particulièrement enthousiaste. Certains en souffriraient même plus qu’autre chose. Obligés d’arbitrer entre des dizaines de candidats aux dossiers pour la plupart d’entre eux homogènes, assortis de garants solides d’un point de vue financier, les bailleurs se voient par défaut attribuer le mauvais rôle de juge de paix ; un rôle de composition que la plupart d’entre eux, pour ne pas dire la quasi-totalité, se seraient bien dispensés d’avoir à endosser. « Les dossiers reçus par le propriétaire sont en majeure partie tous cohérents et solides, cela les oblige à se décider de façon souvent arbitraire, faute d’éléments « discriminatoires tangibles » » déplore Laetitia Caron. Sans parler des dizaines et des dizaines d’appels de jeunes, ou même de leurs parents, désireux, sitôt leur dossier déposé et la visite effectuée, d’obtenir une réponse ; si celle-ci se révèle négative, nombre d’entre eux, eu égard à leur dossier pourtant convaincant, ne manqueront pas de solliciter une explication de la part du bailleur, une justification à cette fin de non-recevoir venue étoffer la pile des refus antérieurement essuyés.

Pour avoir une chance de voir sa démarche de recherche d’appartement aboutir, a fortiori dans le contexte actuel, quelques écueils doivent être évités par les futurs locataires. Tout d’abord, ne jamais répondre à une annonce sans envoyer un dossier complet et à jour. « Face à une telle quantité de dossiers, un simple message demandant une visite n’a aucune chance de déboucher sur une réponse positive de la part d’un propriétaire, qui est engagé dans une course contre la montre permanente » détaille la directrice générale de PAP. La plateforme, justement, met à disposition des prétendants un système de téléchargement sécurisé de leur dossier en ligne. Dans ce monde impitoyable qu’est devenu le marché de la location, quelques requins mal intentionnés se sont mis à rôder autour de proies potentielles. Profitant de la vulnérabilité et de la situation d’urgence vécue par les étudiants, des faussaires n’hésitent pas à usurper des identités, à faire miroiter des biens inexistants aux photos chipées sur internet en échange d’envoi préalable de sommes d’argent… « D’une façon générale, il ne faut jamais transférer de l’argent à qui que ce soit avant d’avoir visité un bien et signé le bail » avertit Laetitia Caron. Un autre service lancé par PAP, « Locatech », permet aux locataires d’être accompagnés dans la création de leur dossier de location et transmet les candidatures automatiquement aux propriétaires ; ces derniers peuvent ensuite contacter celles et ceux dont le dossier répond à leurs attentes et à leurs exigences. Un gain de temps et de sérénité pour les deux parties.

Tous contre tous

Reste cette question : comment en est-on arrivé là ? Comment le marché de la location a-t-il pu se dégrader à ce point ? Evidemment, le marché de la vente n’y est pas étranger. Les difficultés croissantes auxquelles font face les primo-accédants ne permettent pas de libérer des places dans le locatif comme c’est d’ordinaire le cas. Les néo-trentenaires, ou ceux vers la fin de la vingtaine, se retrouvent bloqués dans leur accès à la propriété et restent plus longtemps locataires, surchargeant le parc. Néanmoins, un étudiant n’est pas nécessairement désavantagé lorsqu’il se retrouve en concurrence pour un même appartement avec un jeune salarié de quelques années son aîné : grâce à la garantie Visal (à laquelle ne sont plus éligibles les plus de 31 ans), son dossier peut être plus intéressant pour un bailleur si ses garants disposent de revenus solides… Quoi qu’il en soit, si l’on ajoute l’attractivité que constitue la location saisonnière (Airbnb), phénomène qui va s’accentuer grandement à l’occasion d’événements qui vont brasser beaucoup de touristes étrangers, à l’instar de la Coupe du monde de Rugby et des JO 2024, il est peu de dire que la situation n’a rien de rassurante pour les jeunes. « D’ordinaire, la tension locative se détend un peu à partir de fin octobre-début novembre, lorsque la rentrée est bien entamée et que la demande est moindre » explique Laetitia Baron. « Il est rare que des jeunes renoncent à leurs projets d’études faute de logement » développe-t-elle. « En attendant, ils trouvent des solutions temporaires telles que la colocation ou l’hébergement chez une connaissance. Mais le stress généré est d’autant plus important qu’ils doivent ensuite mener de front le début de leur année universitaire avec leurs recherches d’appartement, puis leur déménagement une fois le Graal décroché ! ». Rebelote en 2024 ?

Location d'appartement : le chemin de croix des étudiants