Pourra-t-on prochainement ajouter le télétravail à la liste des acquis sociaux ? Si la réglementation n’a, pour l’heure, rien consacré sur le sujet, nombre de salariés semblent considérer cette évolution comme tacite, implicite, relevant d’une forme de coutume qui ferait office de loi. Depuis la période Covid et le 100 % télétravail imposé par l’Etat aux entreprises durant la pandémie, les habitudes de vie se sont remodelées, le professionnel et le privé (à commencer par la vie familiale) s’imbriquant au point que le retour au bureau, a fortiori en intégralité, est perçu par les salariés visés comme une contrainte, voire une forme de violence. C’est ce qui ressort de l’étude publiée par JLL, dont l’un des principaux enseignements réside dans le fossé de plus en plus béant creusé entre les deux « camps ».

Les employeurs exigeraient ainsi, pour 87 % d’entre eux, un retour au bureau au moins une partie du temps à leurs salariés. Une demande qui semble émaner davantage de patrons et managers français, dont la culture du bureau est bien plus ancrée dans les mœurs que chez les Anglo-saxons. « Les Français sont davantage revenus au bureau que les autres salariés dans le monde : 3,5 jours en moyenne par semaine, contre 3,1 jours dans le reste du monde et même 2 jours seulement aux Etats-Unis » détaille Flore Pradère, directrice recherche et prospective « Work Dynamics » chez JLL. Cette dernière relève aussi un besoin de surveillance accrue des salariés dans notre pays, où la légende, dans certains cas fondée, dans beaucoup d’autres totalement usurpée, de salariés incapables de s’auto-discipliner sans la présence de managers sur leur dos a la vie dure.

Pourtant, les Français ne semblent pas prêts à renoncer à ce nouveau « dû » ou ce qu’ils pensent être comme tel. « Le télétravail est considéré par les employés comme un réel acquis social » poursuit Flore Pradère. « D’ailleurs, 18 % des salariés mentionnent leurs engagements familiaux comme de nouvelles questions à prendre en compte lors de la planification des jours fériés. Pour eux, il n’y a pas de retour en arrière possible ».

Pourquoi cette insistance à vouloir un retour du présentiel de la part des employeurs ? Nombre d’entre eux avancent comme argument principal le pouvoir des rencontres informelles au bureau pour stimuler l’engagement et l’innovation, et gagner ainsi des gains de productivité. Pour ce faire, différents leviers ont été actionnés pour inciter le retour au bureau, comme la montée en gamme des technologies et des espaces de travail, ainsi que la programmation événementielle. Des bonnes intentions accueillies parfois froidement par les salariés, qui dénoncent les lacunes des nouveaux « bureaux hybrides ». En plus du temps de trajet et des conditions de transport, 28 % d’entre eux considèrent le bruit comme un obstacle majeur au travail en présentiel, 22 % regrettent le manque de confidentialité et 18 %, le manque d’espaces de concentration.

Autre sujet de casse-tête pour les employeurs : comment lisser les jours de présence en semaine, sachant que le lundi et le vendredi sont logiquement les jours les plus plébiscités par les équipes pour la mise en place du télétravail ? De fait, seuls 23 % des travailleurs interrogés reconnaissent ne pas avoir de préférence en termes de jours de présence. De plus, qu’apporte réellement la présence sur site par rapport au travail depuis son domicile, sachant que la moitié du temps (51 %) passé dans les bureaux aujourd’hui est consacrée au travail individuel ? 58 % des interrogés affirment que leur domicile favorise davantage le travail de concentration que le bureau, tandis que 45 % avancent que leur domicile est plus propice à leur productivité. D’ailleurs, les écarts de satisfaction les plus importants entre les personnes qui se sentent productives au bureau et celles qui ne le sont pas ont trait à la capacité de concentration, l’acoustique et au besoin de confidentialité. Enfin, relevons que les générations Y et Z (moins de 35 ans) sont les plus rétives à un retour au bureau, tandis que les « boomers » (plus de 55 ans) témoignent, dans l’ensemble, d’une plus grande satisfaction vis-à-vis de l’expérience de bureau.

Le télétravail est-il devenu un "acquis social" pour les salariés ?