Il fascine depuis plusieurs années, à tel point que la culture populaire s’en est saisie ; « il », c’est le métavers (metaverse en anglais), un monde virtuel et parallèle, une réalité alternative régie par des algorithmes. Les deux plus connus s’appellent Decentraland et The Sandbox. De fait, ce qui relevait il n’y a pas si longtemps encore des romans de science-fiction fait désormais le beurre de quelques entreprises qui en ont fait un juteux business. Au sein de ces univers virtuels, les utilisateurs sont invités à s’y créer un avatar, à savoir une version numérique d’eux-mêmes, pour pouvoir déambuler dans une infinie de lieux reconstitués. Visites de centres commerciaux, concerts, meetings politiques, réunions entre collaborateurs, assemblées générales d’actionnaires… Rien n’échappe au métavers. L’immobilier non plus, avec des investissements de plus en plus conséquents effectués pour acquérir des parcelles, voire des appartements ou des maisons. De grandes marques internationalement reconnues, comme Dolce & Gabanna, Nike ou Adidas, s’y sont mises. Carrefour a également acquis en début d’année une parcelle de 36 hectares pour la somme conséquente de 300 000 euros sur The Sandbox. Un investissement qui n’a pas manqué de faire réagir, tant son intérêt pose question. Pour le géant français, il s’agissait avant tout de ne pas laisser filer le train de la modernité et de l’innovation technologique. Autre fait marquant : le rappeur américain Snoop Dogg a récemment créé un univers qui lui est propre sur The Sandbox, et un acquéreur anonyme n’a pas hésité à investir 450 000 dollars dans une parcelle afin d’être son voisin…

Pas d’encadrement juridique stricto sensu

Simple lubie de multinationales et de personnalités riches à ne plus savoir quoi faire de leur argent ? Ou bien phénomène prometteur quoiqu’encore balbutiant ? Difficile de le dire. Si le recours au métavers apparaît utile pour organiser un certain nombre d’événements ponctuels (réunions, visites virtuelles de musées, concerts, événements sportifs), sa complémentarité avec l’achat immobilier, par définition pérenne dans le temps, semble plus incertaine. Déjà, un petit glossaire des quelques termes propres au métavers n’est pas inutile : dans cet univers virtuel, c’est la cryptomonnaie qui permet de financer les transactions, via des jetons non-fongibles : les NFT. Decentraland et The Sandbox possèdent leur propre cryptomonnaie : le Mana et le Sand. La blockchain, quant à elle, désigne la technologie de stockage et de transmission d’informations dans le métavers ; c’est une sorte de base de données qui fait également office de « cadre juridique » pour les opérations effectuées dans le virtuel. Le « cadre juridique » du métavers mérite justement que l’on s’y intéresse, notamment pour ce qui a trait aux transactions. Selon Margot Lacoste, avocate au sein du cabinet Eversheds Sutherland, il n’existerait justement pas d’encadrement juridique stricto sensu s’appliquant au métavers : « Le seul encadrement existant est celui de la blockchain, qui ne garantit pas le droit de propriété. Le métavers est un univers 3D se superposant à notre monde tangible et réel ».

Opposabilité aux tiers de la possession d’un bien immobilier

Christophe Sciot-Siegrist, avocat associé au sein du cabinet Eversheds Sutherland, précise : « Dans le droit réel, les informations partant d’un vendeur vers un acquéreur transitent par l’intermédiaire d’un officier ministériel qui s’appelle un notaire. Ce dernier a la mission de garantir la légalité, la validité et l’efficacité des actes qu’il rédige. Dans le métavers, il n’y pas de notaires ». Selon lui, « l’un des attributs traditionnels du droit de propriété en France consiste à pouvoir rendre opposable aux tiers la propriété d’un bien immobilier. La publicité foncière permet cela. L’acte signé par les trois parties est publié au Service de Publicité Foncière ». Chose qui n’est pour le moment pas possible dans le métavers, où aucune passerelle n’a été créée entre les différentes plateformes. Ainsi, si l’une d’entre elles venait à fermer, la valeur des jetons non-fongibles qui y étaient jusqu’alors échangés pour effectuer les transactions (par exemple le Mana ou le Sand) deviendrait nulle car ce type de cryptomonnaies ne seraient pas utilisables ailleurs. « En revanche, aucune fermeture du Service de Publicité Foncière n’est possible en France, ce qui garantit l’opposabilité de n’importe quelle transaction sur la durée, quel que soit le contexte ! » compare Christophe Sciot-Siegrist.

Risque de formation d’une bulle spéculative

Margot Lacoste va encore plus loin, définissant le métavers comme « un univers non-régulé et non-rattaché à un quelconque Etat ». « C’est le Far West virtuel » assène-t-elle. Pourtant, le phénomène séduit, bien qu’il soit encore marginal. Deux types d’acquéreurs se distinguent : des particuliers souhaitant être pionniers en la matière ou se créer une réalité à eux pour échapper à celle de leur quotidien, mais aussi des professionnels et notamment des entreprises, comme décrit plus haut. Cependant, le métavers étant surtout un phénomène de niche accessible à peu de gens, les sommes astronomiques qui s’y échangent créent un risque de formation d’une bulle spéculative. « Les deux métavers les plus connus, The Sandbox et Decentraland, n’ont pas, à ce jour, la capacité d’accueillir trop d’utilisateurs sur leur plateforme » développe Margot Lacoste. « La rareté augmente mécaniquement les prix des terrains virtuels. Aujourd’hui, la quasi-totalité des terrains sur ces plateformes sont déjà acquis et la seule façon de s’en procurer un, c’est de l’acheter à un revendeur qui réalise dès lors une plus-value ». D’où le phénomène spéculatif décrit, ce qui vient confirmer le postulat selon lequel le métavers ne serait destiné qu’à une petite élite de passionnés et de « geeks » désireux de se lancer dans une activité immobilière virtuelle. « C’est ce que l’on observe à l’heure actuelle », conclut Christophe Sciot-Siegrist. « Mais l’on peut très bien imaginer de nouvelles plateformes émerger, et qui seront davantage tous publics, à l’image de ce que fait Nifty Island ». A voir si des passerelles seront alors créées entre les plateformes des élites et celles du peuple virtuel, afin de montrer l’exemple à la réalité…

Le métavers : un univers non-régulé et non-rattaché à un quelconque Etat…