Serait-ce le charme d’un premier jour d’octobre ensoleillé qui agirait ? Toujours est-il qu’en ce mardi matin, le quartier d’affaire de La Défense apparaît pimpant, vivant, vivifiant. Les tours en verre scintillent sous ce soleil automnal discret mais présent, des animations égayent la dalle et distraient les badauds tandis que les travailleurs, écouteurs dans les oreilles et boisson chaude à la main, se dépêchent de gagner leurs tours respectives. De la musique est diffusée à différents endroits, les panneaux publicitaires interactifs à la mode new-yorkaise constituent le panorama visuel et des lieux de végétalisation s’épanouissent un peu partout. Des panneaux aux allures de roses des vents indiquent les points cardinaux de ce labyrinthe tout de béton et d’acier, et les tours correspondantes.

À voir ce dynamisme ambiant, l’on aurait du mal à donner du crédit aux adjectifs négatifs accolés au quartier d’affaires : dépassé, vieillot, anachronique, en déclin. Pourtant, si le quartier tente de se réinventer, sous l’impulsion notamment de l’établissement public Paris La Défense, les chiffres attestent de la réalité des difficultés endémiques et structurelles qui plombent l’avenir du site à court, moyen et, surtout, long termes.

Élan visionnaire

Des chiffres qui viennent d’être révélés par le cabinet Deloitte, mandaté par l’AUDE pour dresser un audit du quartier d’affaires. En introduction, Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine et président de Paris La Défense, a déclaré qu’il ambitionnait de faire de La Défense « le premier quartier d’affaires post-carbone ». « Nous voulons renouer avec l’élan visionnaire qui a présidé à la naissance du quartier. » Il en faudra, de l’élan visionnaire pour trouver une porte de sortie aux immeubles obsolètes, qui représentent tout de même 25 % du parc tertiaire.

Armel Ract-Madoux et Gérard Colcombet, du cabinet Deloitte, ayant activement participé à la réalisation de cette étude, ont ensuite pris la parole pour en présenter les principales conclusions. Déjà, le taux de vacance des surfaces de bureaux est passé de 5 % avant la crise du Covid à 14,7 fin 2023, et 19 % si l’on intègre les surfaces de bureaux libérées, mais pas encore en phase de commercialisation. Soit un taux cinq fois supérieur à celui de Paris intra-muros (4 %). Les mesures d’accompagnement (réduction consentie sur le loyer à la signature du bail) ont pourtant augmenté de moitié au cours de la même période, atteignant parfois jusqu’à 45 %. Cela n’a pas eu d’effet significatif sur la réduction de la vacance.

Dans ce contexte défavorable, les projets immobiliers, en construction neuve comme en redéveloppement, ont nettement ralenti. Avant la crise sanitaire, le quartier représentait 21 % des surfaces de bureaux en chantier à l’échelle du Grand Paris, une part ramenée à seulement 8 % en 2024. « Cette situation découle d’une crise structurelle créée par plusieurs facteurs conjoncturels » a développé Gérard Colcombet. « Le télétravail a naturellement changé la donne, ce qui a conduit les entreprises à libérer des surfaces à hauteur de 13 % au cours de la décennie 2020 au sein de la métropole du Grand Paris ». Conjuguée à cela, l’obsolescence du parc immobilier est criante. Deloitte révèle dans son étude que 37 % du parc a été bâti avant 2000 sans faire l’objet d’une rénovation depuis ; cela signifie que 1,5 million de mètres carrés deviendront obsolètes dans les 15 ans à venir…

L’obsolescence est induite par plusieurs facteurs : non-conformité réglementaire au décret tertiaire, inconfort d’usage et inadaptation aux nouveaux modes de travail. « Les tours doivent être redéveloppées pour être relouées » poursuit Armel Ract-Madoux. « Le problème, c’est que les conditions actuelles ne rendent pas le redéveloppement viable, avec une hausse des coûts et une baisse du chiffre d’affaires anticipée. Le risque majeur est que les propriétaires de tours obsolètes suspendent leurs projets de rénovation en attendant des jours meilleurs, transformant de fait leurs actifs en friche tertiaire, voire qu’ils les démolissent purement et simplement, étant entendu que les surfaces existantes continuent de générer des coûts, même vacantes. » Donnée choc : en 2024, la valeur d’une tour obsolète est en moyenne proche de zéro !

Statut quo ou action?

Le cabinet Deloitte estime à 410 millions d’euros le montant des recettes fiscales générées par La Défense chaque année, notamment via les versements de la taxe annuelle sur les bureaux et de la taxe foncière ; des recettes perçues par différents échelons des collectivités. Les communes de l’OIN de La Défense perçoivent, via la taxe foncière, 74 millions d’euros annuels, soit 13 fois plus que la dotation que ces communes accordent, toujours annuellement, à Paris La Défense (5,6 millions d’euros). « Le quartier de La Défense a un rôle-clé à jouer dans l’intérêt national, mais ne perçoit pas autant de ressources qu’il n’en génère » resitue Armel Ract-Madoux. « L’augmentation des charges d’entretien du quartier creuse le déficit de Paris La Défense ! » Pour les acteurs privés, la spirale infernale peut être schématisée comme suit : hausse de la vacance/baisse des loyers/baisse de la valeur des immeubles/baisse des investissements et des réhabilitations/obsolescence des immeubles et dégradation du quartier/baisse de l’attractivité. Pour les acteurs publics, le scénario du pire se traduit ainsi : baisse de l’attractivité/moins d’investissements privés/moins de recettes de fonctionnement/moins d’investissements publics/dégradation du quartier. Pour conclure leur étude, les experts de Deloitte ont envisagé deux scénarios aux finalités diamétralement opposées : le premier maintenant le statut quo (c’est-à-dire en n’agissant pas), le second en décidant d’agir.

Dans le premier scénario, le taux de vacance pourrait atteindre près de 40 % en 2034, et ce y compris en partant du postulat (qui n’a rien de certain) que les nouvelles tours actuellement encore en chantier seraient louées à 100 %. Ce premier scénario engendrerait un recul de 15 % des recettes de gestion de Paris La Défense. Dans le second scénario, surnommé « Action », les experts préconisent un redéveloppement des tours qui redeviendraient économiquement viables, grâce à un assouplissement des contraintes réglementaires pour faciliter la conversion de tours de bureaux en logements. Il est préconisé la création d’une foncière publique afin de permettre à Paris La Défense d’entrer au capital des opérations. Il est également demandé une exonération conjointe de la taxe bureaux et de la taxe foncière durant la période des travaux de réhabilitation. Avec ces différents leviers activés, il est estimé que 360 000 m2 minimum pourraient être convertis d’ici 10 ans. Enfin, un potentiel de création de 5 000 logements étudiants en 10 ans est anticipé si ce scénario « Action » était activé, soit 150 000 m2.

Le préfet des Hauts-de-Seine, Laurent Hottiaux, a conclu cette réunion par ces mots : « c’est un moment charnière pour La Défense. (…) Il nous faut recréer tout un écosystème et redonner envie aux nouvelles générations de venir y travailler et y vivre. Les stratégies de redressement doivent être partagées avec le nouveau gouvernement afin q’un nouveau cycle vertueux soit entamé ! »

La Défense : opération réinvention !